Art Culinaire.
Cela devient une vraie marotte pour de nombreux Egyptiens
qui, séduits par les programmes et présentateurs vedettes
des chaînes télévisées, s’ouvrent sur des recettes de tous
les pays.
La mondialisation par les bons petits plats
Faut-il
passer par le ventre, pour conquérir le cœur d’un homme ? La
nourriture est-elle devenue le seul moyen de divertissement
pour les Egyptiens ? Cela n’est guère de la fiction mais une
réalité. L’art culinaire ne cesse d’intéresser les Egyptiens
et occuper une importante partie de leur quotidien. Il a
envahi les pages des journaux, les sites Internet et les
chaînes satellites. A citer par exemple Maa Ossama atyab sur
la chaîne de Doubaï, La Cuisine de Manal sur Abou-Dhabi, Des
Plats de partout avec Chérif Madkour sur la Chaîne
égyptienne de la famille et de l’enfant, Les Pommes vertes
sur MBC, Mona Amer sur Dream, et Fatafeat, la première
chaîne spécialisée dans l’art culinaire et dont le public ne
cesse de s’élargir. Sachant que les téléspectateurs sont
assoiffés d’une nouvelle culture culinaire, ces programmes
enregistrent, d’après Ahmad Zoheiri, producteur de
programmes dans une chaîne satellite, un chiffre record
d’audience. C’est en 1997 que Mona Amer a introduit ce genre
d’émissions à la télévision égyptienne. « Manger est un
instinct naturel. C’est grâce à la nourriture que l’être
humain est en vie, et donc l’homme sera plus attaché à la
femme si elle sait combler ce besoin », c’est ainsi que Mona
Amer explique sa propre philosophie sur l’art culinaire.
Sehhi wa moufid (sain et nutritif), tel est le titre de son
émission, dont l’objectif est d’offrir aux téléspectateurs
des recettes simples, rapides mais surtout digestes. Pendant
11 ans, elle a su séduire les foyers égyptiens. Mona Amer a
tenu à présenter son émission dans sa propre cuisine qu’elle
chérit particulièrement. Chaque coin est rangé avec soin et
tous les ustensiles nécessaires à la préparation de ses
plats savoureux sont à la portée de sa main. Avec élégance
et agilité, elle bouge dans tous les sens, mais ses gestes
restent précis et adroits.
Elle prépare, explique en même temps et n’oublie surtout pas
d’énoncer les éléments nutritifs de chaque aliment.
D’apparence pourtant distinguée, elle ne porte pas de gants
pour pétrir sa pâte et ramasse la viande ou les légumes
coupés avec ses mains. Méthodique et simple, elle suscite
l’admiration de nombreuses femmes — qui déclarent avoir
beaucoup appris d’elle — et même de la gent masculine.
Aujourd’hui, ces émissions sont animées par de nouvelles
stars. Des artistes culinaires qui présentent de nouveaux
ingrédients et de nouveaux instruments de cuisine. Ils ont
permis aux Egyptiens de découvrir les spécialités des autres
pays, bousculant ainsi la cuisine égyptienne qui se base
surtout sur les vieilles recettes de grands-mères. « Au
cours de ces dernières années, les médias ont réussi à nous
ouvrir à d’autres horizons. Bien que notre cuisine soit
savoureuse, elle n’est pas tellement riche ni variée. Et
c’est toujours les mêmes plats que l’on prépare depuis des
années, il y a vraiment de quoi en avoir marre », explique
Karima, dentiste et qui passe son temps à zapper d’une
chaîne à l’autre pour chercher la nouvelle recette. Elle
connaît par cœur les heures de diffusion des diverses
émissions, et avec le temps, elle a fini par collectionner
pas mal de recettes, toutes inscrites soigneusement sur un
cahier qu’elle conserve précieusement comme un trésor. Une
bonne référence pour diversifier ses plats. Des recettes
qu’elle transmet à des amies pour les initier aux mets
diététiques et éviter l’hypertension ou le diabète.
Un boom de la cuisine
S’agit-il
donc d’une vogue ? La septuagénaire libanaise Mariam Nour
n’arrête pas de faire son apparition sur les chaînes
satellites, s’étalant sur les avantages de la nourriture
saine. Une philosophie de vie visant à manger sain et à se
soigner naturellement. D’autres études assurent qu’un mal
d’estomac pourrait provoquer plus de 120 maladies. « C’est
une tendance universelle. C’est dû au changement culturel et
économique qui a lieu partout dans le monde », réplique la
sociologue Malak Rouchdi, professeure à l’Université
américaine et qui a écrit plusieurs articles sur la
nourriture et un livre qui s’intitule Recette de cuisine et
espace culinaire. « Les gens font plus attention à leur
nourriture, à leur santé, etc. Du coup, plusieurs industries
nourrissent alors cette tendance. L’Egypte, qui n’est pas
donc isolée, commence à répondre à ces évolutions. Elle
découvre de nouveaux ingrédients, et de nouveaux instruments
ont remplacé les anciens. La cuisine égyptienne répond aussi
à la révolution en matière de communication et les moyens
d’apprentissage ne manquent pas. Un flux d’informations
largué par divers canaux. Un procédé de commercialisation
qui apparaît même sur les boîtes d’emballages sur lesquelles
on imprime parfois quelques recettes », avance-t-elle.
Paceint Al-Khodari, ingénieur et mère de trois enfants,
partage cet avis. Elle estime qu’elle profite beaucoup du
site Internet Wasfa Sahla pour avoir des recettes bien
savoureuses et avec les proportions exactes. Par ailleurs,
la télévision est le moyen idéal pour initier à l’art
culinaire, car cela donne l’occasion aux téléspectateurs de
suivre les étapes de préparation, la manière d’éplucher les
légumes et d’utiliser les ustensiles ou appareils
nécessaires. « Une jeune fille n’a plus le temps d’apprendre
à faire la cuisine avec sa mère. C’est de la vieille
histoire. Mais l’art culinaire évolue chaque jour »,
explique Paceint, qui assure qu’elle a consacré une grande
partie de son argent pour équiper sa cuisine.
Des plats chinois, des sauces françaises, des mets exotiques
figurent au menu de la famille égyptienne et c’est nouveau.
« Mona Amer a réussi à révolutionner la cuisine égyptienne.
Elle l’a enrichie par des touches personnelles qu’elle a
acquises au cours de ses voyages et grâce à ses nombreux
contacts avec des personnes de différentes cultures »,
poursuit Naglaa, 45 ans, fonctionnaire.
Cette diversité a créé un nouveau goût alimentaire donnant
plus de chance à la créativité. « Le monde est devenu comme
un melting-pot. C’est peut-être la nourriture qui va devenir
une monnaie courante en pleine globalisation. Il serait
alors difficile de fusionner tous les éléments culturels de
chaque pays, mais un plat savoureux pourrait traverser les
frontières et se placer sur la table d’une famille d’un bout
à l’autre du monde. Le goût comme sens pourrait devenir plus
puissant malgré la diversité des langues et des cultures »,
avance Howaida Abou-Heif qui présente sur MBC le programme
Les Pommes vertes.
Un revirement
Ces diverses influences ont ébranlé la cuisine égyptienne.
Au cours de la dernière décennie, des chefs de cuisine,
femmes au foyer, experts en nutrition ont provoqué une
véritable révolution en ce qui concerne l’art culinaire. A
chacun sa philosophie, sa technique et ses outils. Tareq
Réda, fondateur et président de l’unité de traitement de
l’obésité au Centre national de la nutrition, qui apparaît
sur les chaînes égyptiennes et satellites, assure qu’il
défraie la chronique. « Je veux bouleverser le mode de vie
des Egyptiens », dit-il. Selon les statistiques du Centre
national de la nutrition, 46 % de la population égyptienne
souffre d’obésité. « Beaucoup de plats gras se sont imposés
sur la table égyptienne dont la vraie cuisine nationale est
nutritionnellement idéale ».
Et d’expliquer : « Les pharaons se nourrissaient
essentiellement de céréales et de poissons, et donc ce sont
des aliments très nutritifs que j’essaie d’utiliser dans
diverses recettes », explique Réda, en poursuivant : « Une
lecture profonde du Coran permet d’asseoir un bon équilibre
alimentaire. A chaque fois que Dieu décrit la splendeur du
paradis, il mentionne les fruits. Cela apparaît plus de 30
fois dans le texte coranique, ce qui laisse comprendre que
les fruits sont excellents pour l’homme. Le poisson a été
cité deux fois. La volaille et la viande bovine une seule
fois ». Et d’ajouter : « Les recherches ont prouvé que le
poisson est l’une des meilleures sources de protéines. En
plus, le Coran mentionne l’olivier. Son huile est l’une des
meilleures pour la santé ». Ce dernier va même plus loin en
parlant des bienfaits d’une cuisine saine. « Je veux
vulgariser une culture alimentaire saine. On peut manger
convenablement sans nuire à son corps. Or, 60 % des
Egyptiens ont des problèmes de santé provoqués par une
mauvaise nutrition. Je veux apprendre aux gens comment
choisir leurs fruits et légumes, comment les laver, les
conserver ou les congeler ».
L’art culinaire est évoqué avec passion. Tareq Réda ne rate
aucune occasion pour transmettre son message et donner ses
conseils à la télévision. Devenu très médiatique, il pense
même fonder une association pour diffuser ses idées.
D’autres présentateurs utilisent des astuces différentes à
l’exemple de Howaida Abou-Heif qui prend pour référence les
livres de son père, un médecin nutritionniste, et ce pour
rendre les mets des Egyptiens moins gras. « Je veux
apprendre aux gens comment préparer une béchamel ou des
légumes farcies avec le moins de matières grasses et de
calories, comment préparer un dessert délicieux et sain. Je
choisis souvent un thème et je prépare ma recette en m’y
référant. Par exemple, les maladies qui surviennent après 40
ans, l’obésité des enfants, les mets qui stimulent la
mémoire, etc. », confie Abou-Heif.
Certains programmes essaient de répondre aux évolutions
économiques dont souffrent les Egyptiens. « Acheter un
gâteau avec la hausse du prix du sucre ou de la farine est
devenu un luxe », confie Karima Younès, qui a su pallier ce
problème à travers ses recettes.
« J’arrive ainsi à économiser près de la moitié du coût de
la préparation », avance Karima qui n’hésite pas à offrir
ses tartes lorsqu’elle rend visite. Une chose qui a poussé
Mona Amer, accusée au début de sa carrière de s’adresser à
la couche aisée, de prendre en considération les conditions
de la famille égyptienne. « Tout d’abord, je calcule le coût
de chaque plat avant de le préparer. Celui-ci va souvent de
pair avec les revenus de la classe moyenne. Je veille à ce
que la quantité de viande soit réduite et j’augmente la dose
de légumes », explique Mona Amer, qui a recours à d’autres
plats de partout dans le monde pour faire face à la crise.
Dina
Darwich