Mahalla.
Une semaine après les affrontements des 6 et 7 avril entre
manifestants et forces de l’ordre, un calme précaire règne
sur la ville. Mais la situation reste tendue et les
problèmes de la ville entiers.
Ville sous haute surveillance
Sur
l’autoroute tout près de Mahalla, la file de véhicules
ralentit brusquement. Des barrages de sécurité sont
installés ici et là à l’entrée de la ville. A hauteur des
barrages, des policiers surgissent, arrêtent les véhicules
et les fouillent systématiquement du regard. De la main, ils
font signe à certains véhicules de se ranger sur le bord de
la route pour un contrôle plus strict. En ce dimanche 13
avril, Mahalla a tout l’air d’une caserne fortifiée. Dès
qu’on traverse les barrages pour s’engouffrer à l’intérieur
de cette cité industrielle de 2 millions d’habitants, le
dispositif de sécurité retient immédiatement l’attention.
Les policiers sont déployés dans les grandes artères et
autour des grandes places. Après les événements qui ont
secoué la ville les 6 et 7 avril où des affrontements ont eu
lieu entre manifestants et forces de l’ordre, le calme est
revenu à Mahalla. Et la vie a repris son cours normal. Mais
l’amertume est toujours de mise. Les visages sont las et
fatigués. « Nous, les Mahallaouis, ne sommes pas violents.
Personne ne sait ce qui s’est passé la semaine dernière.
Nous avons même été surpris par le cours des événements »,
lance Hag Mohamad, propriétaire d’un magasin situé face à
l’une des écoles incendiées lors des affrontements. Hag
Mohamad revient sur les événements. « Il y a eu un appel à
la grève. Déjà, un mois avant les faits, nous avions reçu
des tracts nous incitant à la grève. Nous pensions que cette
grève serait déclenchée à partir de l’usine de textile. Le 6
avril, tout était calme jusqu’à 15h. Soudain, il y a eu un
rassemblement de citoyens. Ils n’étaient pas les ouvriers.
Certains d’entre eux étaient des jeunes chômeurs de notre
quartier, les autres nous ne les connaissons pas. Lorsqu’ils
sont arrivés à la place Al-Chone, la sécurité les a
interceptés. Les choses ont dégénéré et les manifestants ont
mis le feu aux voitures et aux écoles ».
Les affrontements ont fait un mort et plusieurs centaines de
blessés. Les services de sécurité ont arrêté 631 personnes.
Une partie d’entre elles a été déférée devant le parquet,
accusée d’incitation aux troubles, une autre partie a été
placée en détention provisoire. Certains de ces suspects ont
été blessés durant les affrontements et ont été transférés à
l’hôpital de Tanta où ils sont sous haute surveillance.
Qui
était derrière les événements du 6 avril ? Est-ce le
mouvement Kéfaya qui a appelé à la grève ? Les
manifestations étaient-elles spontanées ? Y a-t-il eu des
manipulations ? Personne ne le sait et les rumeurs vont bon
train. « C’est un coup monté de la sécurité. Maintenant, ils
ont un prétexte pour dominer la ville », lance Abdel-Rahmane,
jeune commerçant. Pour d’autres, ces manifestations étaient
le résultat naturel des mauvaises conditions de vie des
citoyens, la pénurie de pain et la médiocrité des salaires.
« Comme partout en Egypte, les gens ici en ont marre des
prix qui grimpent. Ils n’arrivent plus à vivre décemment. De
plus, nous avons un taux élevé de chômage et le crime est
très répandu », lance Am Hassan, un autre commerçant.
Dès leur arrivée dans la ville, les appareils de sécurité
ont pris des mesures draconiennes. 25 universitaires qui
voulaient se rendre dans la ville pour manifester leur
solidarité aux personnes blessées dans les récents heurts
ont été arrêtés. Et un match de l’équipe locale de Ghazl Al-Mahalla
contre l’équipe de Haras Al-Hodoud en championnat de
première division qui devait se jouer sur le terrain de la
première a été transféré à Tanta sans que le public ne soit
averti.
Ancien centre de rayonnement à l’époque des pharaons,
Mahalla était jusqu’à la conquête arabe un centre pour la
fabrication des vêtements et des tissus. Aujourd’hui encore,
la ville est considérée comme le bastion de l’industrie du
textile. C’est pour cette raison qu’on y trouve des
activités liées au prêt-à-porter. On y trouve aussi des
usines pour la fabrication des huiles et du savon. Au cours
des dernières années, cette industrie du textile a gravement
été affectée en raison de la politique d’ouverture
économique et la vente du secteur public ainsi que le recul
du coton égyptien qui a perdu sa place de choix sur les
marchés mondiaux. En l’absence de tout investissement
étranger, la ville connaît un taux de chômage largement
supérieur à la moyenne nationale et un taux de criminalité
particulièrement élevé. Craignant la grogne ouvrière, l’Etat
a systématiquement œuvré en vue d’écarter les influents
leaders ouvriers des usines de textile et de resserrer
l’étau autour des mouvements syndicaux. C’est dans ce
contexte que se situent les récents événements : avec une
industrie en perte de vitesse, un chômage élevé et des
conditions de vie de plus en plus difficiles, l’inévitable
devait se produire.
Mahalla renferme 8 grandes usines de textile toutes
dépendant de la compagnie de tissage et de filature de
Mahalla Al-Kobra.
Pour accéder à l’une de ses usines, appelée Mahalla 2, il
faut passer par un fort dispositif de sécurité. Des agents
de sécurité en civil sillonnent les lieux. A l’intérieur, le
travail se déroule normalement. Les ouvriers qui n’ont pas
participé à la grève du 6 avril racontent ce qui s’est
passé. « Ce jour-là, le 6 avril, dès 8h, nous avons reçu la
visite d’une poignée de directeurs. Ils se sont relayés à
nous faire des discours pour nous dire qu’il ne fallait pas
participer à la grève », note Ayoub Abdel-Ghani, jeune
ouvrier de l’usine. Après les événements des 6 et 7 avril,
le premier ministre Ahmad Nazif s’est rendu à Mahalla pour
rencontrer les ouvriers. Le chef du gouvernement les a
félicités de ne pas avoir pris part à la grève et a décidé
de leur accorder un mois de salaire aux ouvriers de filature
et 15 jours de prime aux ouvriers du tissage. Nazif a
d’autre part promis d’injecter 450 millions de L.E. de
nouveaux investissements dans la Compagnie de tissage et
filature. Mais les ouvriers qui se plaignent de la
détérioration de leurs conditions de vie et qui avaient déjà
conduit une grève de quatre jours en septembre dernier en
guise de protestation ne semblent pas convaincus. « Après le
départ du premier ministre, la direction nous a dit que
certaines denrées alimentaires seraient fournies aux
ouvriers à des prix réduits au sein de l’usine. Mais ce ne
sont là que des calmants administrés par le gouvernement.
Nous voulons une véritable amélioration de notre niveau de
vie », assure Ibrahim Métoualli, technicien âgé de 42 ans.
Le salaire moyen d’un ouvrier en début de carrière est de
230 L.E. tandis que pour un ouvrier en fin de carrière, ce
salaire ne dépasse pas les 1 000 L.E. De plus, les services
dont bénéficient les ouvriers sont médiocres, notamment en
matière de logement, de santé et de transport. Les propos
d’Ahmad Nazif ont été perçus par certains comme un message
clair aux ouvriers que s’ils restent calmes, ils pourront
obtenir des gains et que seul le gouvernement peut résoudre
leurs problèmes. Mais même s’ils n’ont pas répondu à l’appel
à la grève du 6 avril, les ouvriers envisagent une nouvelle
action si leurs conditions ne s’améliorent pas. « Nous avons
entendu dire qu’il y aura une nouvelle hausse des prix au
mois d’octobre », lance Saïd Al-Charqawi, qui travaille à
l’usine depuis 45 ans. Et de conclure : « Si nos
conditions ne s’améliorent pas, nous ferons un nouveau
sit-in ». Il fait allusion au dernier sit-in en date
organisé par les ouvriers de Mahalla en décembre 2007 et qui
a duré sept jours.
Ola
Hamdi