Al-Ahram Hebdo, Enquête | Un commerce déprécié
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 Semaine du 16 au 22 avril 2008, numéro 710

 

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Enquête

Bouquinistes. En raison des travaux de la troisième ligne du métro souterrain, le marché du livre d’occasion d’Ezbékiya a été transféré, pas très loin, il est vrai, mais dans un emplacement où règne le désordre. Etat des lieux.

Un commerce déprécié

Les visiteurs du célèbre marché du livre d’occasion de Sour Al-Ezbékiya ne le trouveront plus à son emplacement habituel rue Al-Azhar à Ataba. Le marché vient en effet de changer de résidence sur ordre du gouvernorat du Caire. Il a été installé quelques centaines de mètres plus loin devant le théâtre des marionnettes dans le même quartier. La raison ? Les travaux de la troisième ligne du métro souterrain qui doit relier Ataba à l’aéroport du Caire doivent commencer à l’emplacement où était situé le marché. Bien que le nouvel emplacement soit assez proche de l’ancien, les bouquinistes sont mécontents. « Nous sommes plus à l’étroit ici. Il y a des vendeurs à la sauvette de toutes sortes. De plus, personne ne nous a prévenus que nous allions changer de place. La décision a été prise du jour au lendemain », assure Am Mohamad. Ce n’est pas la première fois que ces bouquinistes quittent leur emplacement. Installés dans les années quarante et cinquante à Sour Al-Ezbékiya à Ataba, ils ont été déplacés en 1987 dans le quartier d’Al-Azhar, puis à Darrassa au début des années 1990. Enfin en 1998, ils reviennent à nouveau à Ataba, leur lieu d’origine où le gouvernorat leur a fourni des kiosques pour abriter leurs livres au lieu de les exposer sur les trottoirs.

Le nouvel emplacement près du théâtre des marionnettes ne possède ni l’histoire, ni le charme, ni le prestige de l’ancien sour et qui faisaient que de nombreux Cairotes et intellectuels le comparaient aux quais de la Seine avec leurs célèbres bouquinistes. Les marchands ambulants remplissent les lieux. Ils crient pour vanter leurs produits : de la vaisselle et des produits ménagers de toutes sortes. Il faut franchir un grillage pour arriver à un espace rectangulaire où sont dispersés les 130 kiosques des bouquinistes. On trouve des livres de toutes sortes, de toutes les époques et en diverses langues. Les marchands affirment qu’en changeant à nouveau de place, ils perdent de nombreux clients : « Pour atteindre nos kiosques, les clients doivent passer par un espace encombré par des centaines de marchands ambulants et leurs clients qui bloquent complètement le passage conduisant à nos kiosques », raconte Sabri Al-Sergani. Pour Hag Ali, un autre bouquiniste, les déplacements continuels ont affecté le gagne-pain des marchands. « Ce nouvel emplacement manque de propreté et d’éclairage. Des tas d’ordures sont partout, le trottoir manque d’aménagement sans compter que nous sommes obligés de fermer à 17h puisque nos kiosques n’ont pas d’électricité », assure-t-il.

L’histoire de Sour Al-Ezbékiya commence en 1949, lorsqu’un groupe de bouquinistes se sont rendus chez le premier ministre wafdiste Moustapha Al-Nahhas pacha, se plaignant d’être pourchassés par la municipalité et les militaires anglais. Al-Nahhas pacha donne ses ordres au ministre de l’Intérieur, Fouad Séragueddine pacha, de les laisser vendre leurs livres librement. Ils passaient les livres sous les bras dans les cafés célèbres sous les arcades de la place Ataba. En fin de journée, ils se reposaient sur le sol à côté des grilles du jardin Al-Ezbékiya. Progressivement, ils s’y installèrent et le lieu fut quasiment appelé Sour d’Ezbékiya pour la vente des livres. Et en 1957, les marchands ont obtenu des permis pour exercer leur métier.

Suite à leur transfert, les marchands affirment avoir envoyé aux intellectuels et aux grands journalistes des lettres dans lesquelles ils réclament leur soutien. « Ne faudrait-il pas considérer ce commerce comme faisant partie du patrimoine culturel et qui donc devrait être protégé par les intellectuels ? », se demande Hag Ali. En tant que plus ancien vendeur de livres, il réclame un emplacement qui convient à la valeur culturelle et littéraire de ce marché. L’urbaniste Milad Hanna critique la politique de l’Etat vis-à-vis de ce marché. « Ce marché qui était un minaret culturel pour nos grands écrivains comme Naguib Mahfouz, Yéhia Haqqi et d’autres est devenu un simple marché du livre situé au milieu d’une zone où la laideur et l’informel sont rois. Ce marché qui a une grande spécialité : rares livres de littérature, de sciences, d’art, de différentes techniques et de religion pourrait être transformé en un lieu touristique et culturel. C’est le cas de toute notre histoire et de tout notre patrimoine qui sont négligés », lâche Hanna. Du côté du gouvernorat, Mahmoud Yassine, gouverneur adjoint de la région Est du Caire, justifie ce transfert. « On a dû transférer rapidement le marché car tout retard allait coûter à l’Etat des millions de L.E. comme amende à la compagnie responsable de l’exécution de la troisième ligne du métro souterrain », explique Yassine. Pourtant, l’itinéraire de la troisième ligne du métro était connu depuis longtemps. « Aucune préparation préalable n’a été faite par le gouvernorat. Comme si l’Etat avait découvert brusquement que le métro allait passer par notre emplacement », critique un des marchands. Le gouvernorat du Caire promet aux vendeurs de nouveaux kiosques en arabesque. Une cinquantaine de ces kiosques seront fournis au début du mois de mai. Durant quatre mois, 20 autres kiosques seront fournis aux marchands chaque mois pour que l’ensemble atteigne 130 kiosques.

Marianne Youssef

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