Bouquinistes.
En raison des travaux de la troisième ligne du métro
souterrain, le marché du livre d’occasion d’Ezbékiya a été
transféré, pas très loin, il est vrai, mais dans un
emplacement où règne le désordre. Etat des lieux.
Un commerce déprécié
Les
visiteurs du célèbre marché du livre d’occasion de Sour
Al-Ezbékiya ne le trouveront plus à son emplacement habituel
rue Al-Azhar à Ataba. Le marché vient en effet de changer de
résidence sur ordre du gouvernorat du Caire. Il a été
installé quelques centaines de mètres plus loin devant le
théâtre des marionnettes dans le même quartier. La raison ?
Les travaux de la troisième ligne du métro souterrain qui
doit relier Ataba à l’aéroport du Caire doivent commencer à
l’emplacement où était situé le marché. Bien que le nouvel
emplacement soit assez proche de l’ancien, les bouquinistes
sont mécontents. « Nous sommes plus à l’étroit ici. Il y a
des vendeurs à la sauvette de toutes sortes. De plus,
personne ne nous a prévenus que nous allions changer de
place. La décision a été prise du jour au lendemain »,
assure Am Mohamad. Ce n’est pas la première fois que ces
bouquinistes quittent leur emplacement. Installés dans les
années quarante et cinquante à Sour Al-Ezbékiya à Ataba, ils
ont été déplacés en 1987 dans le quartier d’Al-Azhar, puis à
Darrassa au début des années 1990. Enfin en 1998, ils
reviennent à nouveau à Ataba, leur lieu d’origine où le
gouvernorat leur a fourni des kiosques pour abriter leurs
livres au lieu de les exposer sur les trottoirs.
Le nouvel emplacement près du théâtre des marionnettes ne
possède ni l’histoire, ni le charme, ni le prestige de
l’ancien sour et qui faisaient que de nombreux Cairotes et
intellectuels le comparaient aux quais de la Seine avec
leurs célèbres bouquinistes. Les marchands ambulants
remplissent les lieux. Ils crient pour vanter leurs produits
: de la vaisselle et des produits ménagers de toutes sortes.
Il faut franchir un grillage pour arriver à un espace
rectangulaire où sont dispersés les 130 kiosques des
bouquinistes. On trouve des livres de toutes sortes, de
toutes les époques et en diverses langues. Les marchands
affirment qu’en changeant à nouveau de place, ils perdent de
nombreux clients : « Pour atteindre nos kiosques, les
clients doivent passer par un espace encombré par des
centaines de marchands ambulants et leurs clients qui
bloquent complètement le passage conduisant à nos kiosques
», raconte Sabri Al-Sergani. Pour Hag Ali, un autre
bouquiniste, les déplacements continuels ont affecté le
gagne-pain des marchands. « Ce nouvel emplacement manque de
propreté et d’éclairage. Des tas d’ordures sont partout, le
trottoir manque d’aménagement sans compter que nous sommes
obligés de fermer à 17h puisque nos kiosques n’ont pas
d’électricité », assure-t-il.
L’histoire de Sour Al-Ezbékiya commence en 1949, lorsqu’un
groupe de bouquinistes se sont rendus chez le premier
ministre wafdiste Moustapha Al-Nahhas pacha, se plaignant
d’être pourchassés par la municipalité et les militaires
anglais. Al-Nahhas pacha donne ses ordres au ministre de
l’Intérieur, Fouad Séragueddine pacha, de les laisser vendre
leurs livres librement. Ils passaient les livres sous les
bras dans les cafés célèbres sous les arcades de la place
Ataba. En fin de journée, ils se reposaient sur le sol à
côté des grilles du jardin Al-Ezbékiya. Progressivement, ils
s’y installèrent et le lieu fut quasiment appelé Sour d’Ezbékiya
pour la vente des livres. Et en 1957, les marchands ont
obtenu des permis pour exercer leur métier.
Suite à leur transfert, les marchands affirment avoir envoyé
aux intellectuels et aux grands journalistes des lettres
dans lesquelles ils réclament leur soutien. « Ne faudrait-il
pas considérer ce commerce comme faisant partie du
patrimoine culturel et qui donc devrait être protégé par les
intellectuels ? », se demande Hag Ali. En tant que plus
ancien vendeur de livres, il réclame un emplacement qui
convient à la valeur culturelle et littéraire de ce marché.
L’urbaniste Milad Hanna critique la politique de l’Etat
vis-à-vis de ce marché. « Ce marché qui était un minaret
culturel pour nos grands écrivains comme Naguib Mahfouz,
Yéhia Haqqi et d’autres est devenu un simple marché du livre
situé au milieu d’une zone où la laideur et l’informel sont
rois. Ce marché qui a une grande spécialité : rares livres
de littérature, de sciences, d’art, de différentes
techniques et de religion pourrait être transformé en un
lieu touristique et culturel. C’est le cas de toute notre
histoire et de tout notre patrimoine qui sont négligés »,
lâche Hanna. Du côté du gouvernorat, Mahmoud Yassine,
gouverneur adjoint de la région Est du Caire, justifie ce
transfert. « On a dû transférer rapidement le marché car
tout retard allait coûter à l’Etat des millions de L.E.
comme amende à la compagnie responsable de l’exécution de la
troisième ligne du métro souterrain », explique Yassine.
Pourtant, l’itinéraire de la troisième ligne du métro était
connu depuis longtemps. « Aucune préparation préalable n’a
été faite par le gouvernorat. Comme si l’Etat avait
découvert brusquement que le métro allait passer par notre
emplacement », critique un des marchands. Le gouvernorat du
Caire promet aux vendeurs de nouveaux kiosques en arabesque.
Une cinquantaine de ces kiosques seront fournis au début du
mois de mai. Durant quatre mois, 20 autres kiosques seront
fournis aux marchands chaque mois pour que l’ensemble
atteigne 130 kiosques.
Marianne Youssef