Afghanistan.
Les ministres français et canadien des Affaires étrangères
sont venus plaider à Kaboul pour une implication accrue des
Afghans dans une sortie de crise du pays confronté à
l’insurrection des Talibans. Mais toute solution doit mettre
à contribution le Pakistan voisin.
Craintes d’enlisement
Les
occidentaux craignent un enlisement en Afghanistan et
veulent de ce fait une implication accrue des Afghans dans
un retour à la paix et la sécurisation du pays confronté à
l’insurrection grandissante des Talibans. Tel était le
message délivré par les ministres français et canadien des
Affaires étrangères, Bernard Kouchner et Maxime Bernier, qui
ont achevé dimanche une visite de deux jours en Afghanistan.
M. Kouchner a ainsi martelé le terme d’« afghanisation »
pour signifier que, pour Paris, la population afghane doit
pouvoir assumer davantage ses responsabilités. « On ne va
pas se retirer demain et on ne va pas rester éternellement
», a-t-il expliqué. Son homologue canadien a aussi insisté
sur la nécessité de confier aux Afghans une partie des
responsabilités de la sortie de crise. Il a annoncé que les
forces canadiennes déployées en Afghanistan se
consacreraient davantage à la formation des forces afghanes
de sécurité. A l’heure actuelle, celles-ci tournent autour
des 60 000 hommes et devraient atteindre à la fin de l’année
80 000 soldats. Ces effectifs avaient été prévus en 2002,
une période plus paisible après le renversement des Talibans
à la fin décembre 2001, mais ils devraient être revus
aujourd’hui à la hausse.
La visite des deux ministres précède une Conférence des
donateurs prévue le 12 juin à Paris, qui travaillera sur la
reconstruction et les besoins de ce pays ravagé par des
décennies de guerre. Elle a eu lieu une semaine après
l’annonce par Paris de l’envoi de 700 soldats français
supplémentaires dans l’Est de l’Afghanistan, en réponse à un
appel pressant du Canada à ses partenaires de l’Alliance
atlantique. « La décision française d’envoyer des soldats
supplémentaires dans l’Est a permis aux Américains qui y
sont postés de venir renforcer les troupes canadiennes dans
le sud », s’est félicité M. Bernier. La France et le Canada
participent à la Force internationale d’assistance à la
sécurité (Isaf) de l’Otan, forte de 50 000 hommes, qui
soutient aux côtés de l’Operation Enduring Freedom,
coalition sous commandement américain (20 000 hommes), les
forces afghanes face à l’insurrection meurtrière des
islamistes radicaux talibans. Les soldats de l’Operation
Enduring Freedom devraient être rejoints par un millier
d’autres marines, actuellement présents en Iraq.
Les Canadiens avaient menacé de rapatrier leurs 2 500
soldats s’ils n’avaient pas un soutien militaire
supplémentaire dans la province de Kandahar, car c’est dans
le sud que se concentrent l’essentiel des attaques des
insurgés, et Ottawa y a déjà perdu 82 hommes depuis 2002. La
menace canadienne de retirer ses troupes a également incité
les Etats-Unis à envoyer des renforts, où quelque 2 300
marines déployés dans le cadre de l’Isaf ont commencé jeudi
dernier leurs opérations dans le sud du pays, notamment dans
la province de Kandahar, bastion des Talibans qui y
multiplient les attaques.
Deux soldats de l’Isaf ont été ainsi tués et deux autres
blessés dimanche dans une explosion. L’incident, sur lequel
aucune précision n’a été fournie, s’est produit dimanche
dans un lieu non précisé dans le sud du pays où
l’insurrection des Talibans est la plus forte. C’est aussi
dans cette région qu’il y a une forte présence de bandes
criminelles, notamment trafiquants de drogue. La nationalité
des victimes n’a pas été précisée conformément à la
politique de l’Isaf qui en laisse le soin aux pays
d’origine. En tout, depuis le début de l’année, 40 soldats
étrangers ont été tués en Afghanistan, la plupart au combat.
D’autre part, au moins 11 policiers ont été tués dans la
nuit de dimanche à lundi dans une attaque revendiquée par
les Talibans, dans la province de Kandahar, dans le sud.
Sept autres personnes, dont quatre policiers, ont été
également tuées dimanche dans deux attaques distinctes dans
le sud et l’Est de l’Afghanistan dont l’une revendiquée par
les Talibans.
Une bombe a ainsi visé le véhicule d’un chef tribal dans la
province de Khost (Est). Lors d’une autre attaque perpétrée
dans le sud de l’Afghanistan, quatre policiers afghans sont
morts et sept autres ont été blessés dans une embuscade
tendue par des Talibans. Un porte-parole présumé des
Talibans a revendiqué l’attaque qui s’est produite dans le
district méridional de Gereshk, dans la province du Helmand.
Les provinces du sud de l’Afghanistan sont les plus touchées
par l’insurrection des combattants fondamentalistes, surtout
des Talibans, qui cherchent à détruire les institutions de
l’Etat et s’attaquent également aux quelque 70 000 soldats
des forces internationales qui le soutiennent.
D’autre part, le 8 avril, 17 ouvriers civils employés à la
construction d’une route avaient été tués lors de l’attaque
de leur convoi par des Talibans près de Qalat, la capitale
provinciale. Les violences ont atteint un sommet en 2007
avec plus de 8 000 morts, dont 1 500 civils, et plus de 160
attentats suicide ont été dénombrés par les Nations-Unies.
Et les Talibans ont annoncé une offensive au printemps,
après les rigueurs de l’hiver afghan. Face à cette
aggravation de la situation, l’Otan, et en particulier les
Etats-Unis, pressent depuis des mois leurs partenaires de
renforcer les troupes, en particulier dans le sud.
La dimension pakistanaise
Mais tout effort supplémentaire de la part des Occidentaux
resterait vain tant que ne sera pas réglée la « dimension »
pakistanaise du conflit afghan. Le chef de la diplomatie
française n’a pas manqué de le souligner lors de sa visite à
Kaboul lorsqu’il a rappelé dimanche que la résolution du
conflit afghan passait nécessairement par une implication
plus importante du Pakistan, où les Talibans disposent de
bases arrières grâce à une frontière poreuse. « Il faut des
moyens militaires pour que la sécurisation de l’Afghanistan
se poursuive (...) mais il faut aussi avoir une vision
régionale et en particulier vis-à-vis du voisin pakistanais
», a déclaré le ministre au cours d’une visite à la base
aérienne militaire de l’Otan à Kandahar.
La frontière très poreuse entre les deux pays, longue de 2
500 km et traversant une zone très accidentée et extrêmement
difficile à contrôler — les contreforts himalayens de
l’Hindou Kouch notamment —, permet aux Talibans, et à leurs
alliés d’Al-Qaëda, d’entretenir des bases arrières dans les
zones tribales du nord-ouest du Pakistan, d’où ils lancent
des raids contre les forces afghanes ou les quelque 70 000
militaires des forces internationales présentes en
Afghanistan. Les quelque 700 hommes dont la France a annoncé
le déploiement le seront dans l’Est du pays, le long de
cette frontière, où ont lieu des combats fréquents avec les
Talibans et les miliciens d’Al-Qaëda.
« Régler en particulier le problème de la ligne Durand, ce
serait très beau, j’en ai parlé hier avec le président Hamid
Karzaï », a ajouté M. Kouchner. Cette frontière
artificielle, qui sépare des populations de même ethnie, les
Pachtounes, d’où sont principalement issus les Talibans, est
la source d’une longue discorde entre les deux voisins. La «
ligne Durand », définie en 1893, est héritée de la
colonisation britannique et les deux pays revendiquent
régulièrement des parties du territoire de l’autre. M.
Kouchner a rapporté que le ministre afghan des Affaires
étrangères, Rangeen Dadfar Spanta, lui avait indiqué avoir «
pris rendez-vous avec la nouvelle équipe au Pakistan »,
issue des élections législatives du 18 février dernier. Le
chef de la diplomatie française n’a pas écarté l’hypothèse
d’une conférence régionale. Tant Kaboul que Washington
jugent que les bases arrières des Talibans et de leurs
alliés d’Al-Qaëda sont désormais dans les zones tribales
autonomes du Pakistan.
Hicham Mourad