Au-delà de sa mission auprès des animaux,
Amina Abaza
veut imposer l’estime de l’autre en général. Sa
détermination est récompensée : elle vient d’être désignée «
première ambassadrice égyptienne des droits des animaux »
par la Société internationale de protection des animaux.
Le respect d’abord
«on n’a pas un cœur pour les hommes et un cœur pour les
animaux, on a un cœur ou on n’en a pas ». C’est la rengaine
d’Amina Abaza qu’elle répète à toutes les interviews de
presse. Le 4 octobre dernier, c’est-à-dire lors de la
Journée mondiale des animaux, elle vient d’être désignée «
première ambassadrice égyptienne pour les droits des animaux
», par la Société internationale de protection des animaux,
basée en Angleterre. Un titre qui précède un autre, datant
du 28 septembre, celui de l’association allemande de la
protection des animaux Hans-Rönn-Stiftung.
Née au Caire et éduquée par un père qui lui a inculqué
l’amour et le respect des valeurs morales telles
l’honnêteté, la modestie et l’intégrité, Amina Abaza n’est
que la fille du romancier Sarwat Abaza. Ce dernier est en
fait l’auteur du fameux film sur le despotisme, Chie min
al-khof (la peur), lequel critiquait implicitement l’époque
nassérienne. « Mon père n’était pas un homme riche. C’était
un homme simple du gouvernorat de Charqiya qui, sa vie
durant, a vendu pas mal de terres, mais jamais son stylo.
Sous Nasser, il n’a pas écrit un seul article faisant
l’éloge du régime, au moment où l’on égorgeait les gens et
on les jetait en prison », affirme Amina Abaza. Et d’ajouter
: « Mon père écrivait uniquement ce qu’il ressentait. Un
jour, je lui ai raconté que j’avais vu comment les patients
étaient maltraités dans les hôpitaux. Je lui avais alors
demandé d’écrire quelque chose sur eux. Il m’a répondu :
Même toi, tu n’as pas le droit de me dire ce que je dois
écrire », se souvient-elle.
Tel père, telle fille. Amina Abaza a hérité de cet esprit
d’indépendance d’un père qui ne craignait rien et ne cessait
de critiquer ceux qui faisaient fortune rapidement et de
façon malhonnête.
Quand il s’agit de revendiquer des droits humains, la fille
aussi se montre d’un franc-parler hors pair. « Pourquoi ne
pas défendre ses droits tant qu’on n’est pas fautif ?
Chapeau à Noha Rouchdi, la jeune fille qui a récemment
intenté le premier procès pour harcèlement sexuel. Elle a
brisé un tabou ». Et d’ajouter : « Je n’aime pas le citoyen
passif. Pourquoi se taire alors qu’on a des moyens à
déployer ? ».
Amina Abaza a été élevée dans un entourage hétérogène,
regroupant des étrangers, et multi-religieux avec des
chrétiens, musulmans et juifs ... « Des gens de tous bords
étaient invités par mon grand-père, un poète qui tenait chez
lui un salon littéraire dans le quartier de Zamalek. J’étais
chanceuse de voir et d’entendre tous ces intellectuels dont
entre autres Tewfiq Al-Hakim, Naguib Mahfouz, Taha Hussein,
Abdel-Rahmane Al-Charqawi. Chacun d’eux avait sa manière de
voir les choses et ses principes ».
Très tolérante, acceptant la différence, elle précise : «
L’autre n’est pas un fantôme. Pourquoi émigrer en Occident,
s’y installer pour travailler ou bénéficier d’un traitement
médical et en même temps le détester ? Pourquoi juger les
gens selon les apparences, les religions et les couleurs ?
Je déplore toute sorte de discrimination. Notre société
actuelle est dans un état atroce, qui ne s’intéresse qu’aux
apparences et à l’argent ». Une société qui diffère
complètement de celle où elle a vécu son enfance.
Ancienne élève des religieuses du Sacré-Cœur, ces dernières
lui ont appris énormément. « Ce sont les religieuses
catholiques qui m’ont inculqué cet esprit de solidarité et
de charité. Je me rappelle qu’une fois par mois, avec mes
camarades, nous sortions acheter des provisions pour les
distribuer à des familles pauvres », déclare Amina Abaza,
pour qui être francophone d’Egypte n’est pas seulement se
vouer à affronter l’américanisme, mais aussi pouvoir vivre
cette culture à l’aise dans une société devenue très
conservatrice.
Un conflit qu’elle vit quotidiennement. Directrice de la
section de traduction au sein de la Chaîne satellite
égyptienne, Amina Abaza refuse le regard que pose la société
sur tout ce qui provient de l’étranger, multipliant les
tabous. « Dans mon travail, j’essaie de donner une image
vraie de ce que nous sommes, en traduisant des films,
feuilletons et programmes égyptiens vers le français. Je
joue le rôle d’intermédiaire, comprenant les deux mentalités
». Dans sa relation avec ses collègues, elle refuse cet
esprit borné sur tout ce qui est différent, au niveau
religieux comme culturel.
Elle se remémore alors toute la génération des francophones
de sa jeunesse. « C’était toujours dans une ambiance
familiale très chaleureuse que nous célébrions les fêtes
chrétiennes. Bien que la maison de ma grand-mère soit mise
sous surveillance. Elle n’avait pas beaucoup d’argent, mais
invitait toute la famille à fêter Noël », se souvient Amina,
qui comme sa grand-mère n’a jamais honte de déclarer ses
crises financières. Tout le monde peut passer par des
moments de difficulté, c’est normal.
Une manière idéale de voir les choses, qui peut paraître en
contradiction avec le tas d’objets hétéroclites et
d’antiquités décorant somptueusement son domicile à Zamalek.
Elle se défend : « Vous croyez que ces objets antiques sont
chers ? Pas du tout. Mon mari est un collectionneur. Il
parcourt presque toutes les ventes aux enchères et se rend
dans le quartier d’Al-Attarine, à Alexandrie, pour dénicher
ces objets dont quelques-uns sont hérités de ses parents ».
Un goût très raffiné, sans aucun doute. Son mari, l’homme
d’affaires Raouf Méchreqi, est une personnalité
accueillante, aux traits nobles. « Mon mari a vécu une autre
Egypte, celle du bon vieux temps des années 1950 et 60. Il
trouve une grande difficulté à s’adapter à notre époque. Car
le pays ressemble plutôt à une monarchie du Golfe, à une
société bédouine », regrette Amina. Et d’ajouter : « Mon
mari est comme sous le choc. J’essaie de le soutenir
moralement ».
Pourtant, Amina elle-même affronte le même état d’esprit.
Elle s’y est peut-être habituée depuis ses études à la
faculté de lettres, section française. « C’est à
l’Université du Caire que j’ai beaucoup appris. C’était une
ambiance différente de la charité chrétienne qu’on nous
inculquait à l’école. Mes souvenirs à l’université ne sont
pas si merveilleux. C’était le moment de mon éveil face à un
nouveau monde, plus méchant et hypocrite », affirme
strictement Amina Abaza.
Grâce à son mari, partageant nombre de ses idées, elle a pu
fonder une association pour la protection des animaux. « Je
me sentais mal en voyant un animal blessé, tué cruellement
ou maltraité. Je déteste l’injustice. Mon mari m’a dit qu’au
lieu de pleurer ces animaux, il fallait agir. Au début,
j’avais honte qu’on se moque de moi ou que l’on critique
cette banalité ».
Privée d’enfants, Amina Abaza a versé tout son amour sur ces
êtres faibles, sans affection ni attention. C’est en 2001
qu’Amina Abaza s’est engagée dans ce projet, avec la
création de son association caritative reconnue par le
ministère égyptien des Affaires sociales. Cette association
est la plus ancienne du genre en Egypte et au Moyen-Orient.
Ses locaux se trouvent dans un immeuble modeste, situé dans
une ruelle de Chabramant (aux alentours du Caire). Une
équipe de vétérinaires et d’agents y travaillent. « Jusqu’à
l’année passée, tous étaient bénévoles. Cette année, ce
n’est plus le cas. Car les cas d’animaux blessés ou torturés
ont augmenté. C’est pourquoi j’ai dû augmenter le nombre de
vétérinaires. Je ne fais pas payer les pauvres paysans, mais
ce n’est pas le cas des gens aisés. Je n’hésiterais pas à
vendre mes bijoux pour financer l’association. Car l’Etat
n’accorde pas un sou à la protection des animaux ».
La fondatrice ne peut pas obliger les gens à aimer les
animaux, mais elle leur demande simplement de ne pas les
maltraiter. « Ce sont de faibles créatures qui ressentent la
faim, la soif, la peur, la douleur, sans pouvoir l’exprimer.
Elles sont chassées, torturées, piégées, électrocutées pour
leur fourrure, maltraitées dans les abattoirs, exploitées
dans les cirques, enfermées dans les zoos, abandonnées et
méprisées ».
Même si elle a souvent encouragé d’autres associations à
œuvrer dans le même domaine, Abaza est toujours critiquée. «
Je me rappelle que dans l’une des émissions télévisées, on
m’a d’abord remerciée de défendre les droits des animaux,
mais on n’a pas tardé à me le reprocher. Que faites-vous des
droits des enfants de Palestine ? me répète-t-on ». En toute
assurance, elle répond : « Pourquoi on me critique et me
traite de criminelle ? Pourquoi mêler les droits de l’animal
aux droits des enfants de Palestine ? ».
Malgré tout, elle a réussi quelques exploits : fêter en
Egypte la Journée internationale de l’animal. Aider à la
restauration du Zoo du Caire, dans un état lamentable.
Arrêter le commerce des animaux. Parvenir à tourner et
photographier les maltraitances cruelles des animaux dans
les abattoirs égyptiens.
Amina Abaza ne cesse de recevoir d’autres genres de
critiques. Car elle incarne pour d’aucuns l’image de la
Brigitte Bardot égyptienne. Elle réfute l’idée y voyant une
déconsidération. « Pourquoi cette mission noble doit-elle
être considérée comme une simple imitation de l’étranger ?
En dépit de mon admiration pour Brigitte Bardot, je ne
l’imite pas. Je suis vexée car on pense que je veux attirer
l’attention, à la recherche d’une médiatisation ou d’une
célébrité quelconque. Le dieu chez les pharaons était
symbolisé par un chat, un hibou ou une vache », défend-elle,
ajoutant : « Il faut admettre que nous, les Egyptiens, nous
ne connaissons pas grand-chose à la culture de la protection
des animaux. Nous avons besoin de support et de conseils.
Par exemple, en Europe, le vétérinaire est beaucoup plus
estimé. En Egypte, il est médiocrement appelé le médecin des
animaux. Il nous faudra des années en Egypte pour faire
évoluer les mentalités ».
Névine Lameï