Afrique du Sud. Le nouveau président, Kgalema Motlanthe, doit faire face à une crise multiforme, politique, économique et sociale.

 

Lourde tâche

 

A peine élu président d’une Afrique du Sud en pleine crise politique, Kgalema Motlanthe a cherché à garantir la stabilité des institutions en nommant aussitôt son gouvernement et annonçant une accélération de la politique sociale. Le numéro deux du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), est ainsi devenu le troisième chef d’Etat depuis l’avènement de la démocratie multiraciale en Afrique du Sud en 1994, après Nelson Mandela et Thabo Mbeki. Ce dernier a été poussé à la démission par l’ANC, la semaine dernière, sur fond de luttes intestines et de soupçons d’instrumentalisation de la justice. Le nouveau chef de l’Etat hérite d’un pays en proie à une crise économique, sociale et politique.

Dans son discours inaugural peu après son élection par l’Assemblée nationale, M. Motlanthe, 59 ans, a assuré qu’il ne permettrait « pas que la stabilité de notre ordre démocratique soit mise en cause ». « Je ne désire pas dévier de ce qui fonctionne. Ce n’est pas à moi de réinventer la politique » décidée par l’ANC, a-t-il ajouté, se plaçant clairement dans la ligne du parti. Ce conciliateur, choisi par l’ANC pour rassembler une formation déchirée par les luttes internes et se réconcilier avec un électorat excédé tant par les dissensions que par les échecs du gouvernement Mbeki, a évité toute mise en cause de son prédécesseur, auquel il a au contraire rendu hommage. Respectueusement surnommé « Mkhuluwa » (grand frère), le successeur de Thabo Mbeki est connu pour sa capacité à calmer les situations les plus enfiévrées.

A ceux qui craignaient un tournant radical de la politique économique imposée par l’aile gauche de l’ANC désormais majoritaire, M. Motlanthe a répondu en reconduisant le respecté Trevor Manuel, ministre des Finances depuis 12 ans et artisan de la croissance de la première économie du continent. M. Motlanthe a reconduit la moitié du gouvernement précédent. Les plus proches fidèles de M. Mbeki ont suivi vers la sortie leur chef de file, accusé d’avoir voulu barrer à son rival Jacob Zuma la route de la présidence. Le nouveau chef d’Etat a ainsi changé de poste deux des ministres les plus contestés du gouvernement Mbeki, la ministre de la Santé Manto Tshabalala-Msimang, remplacée par l’intègre Barbara Hogan, et celui de la Sécurité Charles Nqakula, dont les fonctions sont reprises par Nathi Mthethwa, chef du groupe parlementaire de l’ANC et partisan d’une refonte de la police. Les atermoiements des deux gouvernements Mbeki, président depuis 1999, dans la lutte contre le sida sont dénoncés, tant en Afrique du Sud qu’à l’étranger, comme responsables de l’explosion de l’épidémie dans le pays, l’un des plus touchés par le virus.

L’ex-président s’est enfermé dans le déni face à la pandémie de sida, faisant prendre des années de retard à la distribution de médicaments antirétroviraux (ARV) à l’écrasante majorité de la population qui dépend du système public. Ceux qui prônent la prévention, « convaincus que nous (les Africains) sommes des dissolus porteurs de microbes (...), proclament que notre continent est condamné à la mort à cause de notre irrépressible dévotion à la chair », assénait-il en 2001. Son gouvernement a fini par lancer en 2007 un programme cohérent d’ARV. Mais plus de 5 millions de Sud-Africains sont contaminés. Ils étaient 850 000 en 1995.

 

Criminalité et inégalités sociales

Et l’Afrique du Sud détient des taux records de meurtres, viols et vols avec violence. Le pays détient le 2e plus haut taux de meurtres au monde, avec 50 personnes tuées chaque jour. M. Motlanthe a affirmé à cet égard sa « détermination à écraser le crime et la violence, quelles qu’en soient les victimes », dans une allusion indirecte à l’inefficacité de la police dans les quartiers pauvres. Régulièrement, les habitants des townships manifestent leur colère. La xénophobie fleurit. En mai, elle a explosé dans les quartiers pauvres de la capitale économique, Johannesburg. Plus de 60 personnes ont été tuées dans une vague de violences contre les étrangers, accusés de prendre les emplois et d’attiser la criminalité. Mbeki a mis plus d’une semaine à réagir et récusé les arguments de ceux qui l’invitaient à s’attaquer aux racines du problème. Incapable d’accepter la critique « qu’il prend comme une insulte personnelle » selon l’ancien député de l’ANC Andrew Feinstein, l’ex-président rejetait la réalité d’une criminalité qualifiée d’« inacceptable » par ses pairs d’Afrique. Les membres de l’Union Africaine (UA) qui dressaient ce constat en 2007 étaient, pour lui, victimes d’« une perception populiste ».

Même la croissance est aujourd’hui menacée. Mbeki n’a pas su gérer un mécontentement croissant vis-à-vis de sa politique sociale. En juillet, l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) dénonçait l’échec de l’Afrique du Sud démocratique à corriger les inégalités héritées de l’apartheid. « La population noire continue de souffrir de manière disproportionnée du chômage, de la pauvreté et d’un accès inégal à l’éducation », constatait l’OCDE. Depuis l’instauration de la démocratie en 1994, l’Afrique du Sud a connu une croissance sans précédent, dépassant 5 % en 2004. Mais le chômage, qui ne touche que 4 % des blancs, s’élève à 23 % (personnes cherchant activement un emploi). Avec 43 % des 48 millions de Sud-Africains vivant avec moins de deux dollars par jour, les frustrations montent.

Pour y répondre, le nouveau président a promis d’accélérer les efforts engagés en 2004 pour réduire par deux la pauvreté d’ici 2014. Les difficultés économiques ne se limitent pas aux inégalités. En janvier, éclatait une crise énergétique qui aurait pu être prévenue : un rationnement de l’électricité a obligé les mines d’or, principale source de revenus du pays, à fermer temporairement. Depuis dix ans, l’opérateur public d’électricité Eskom réclamait d’investir dans de nouvelles infrastructures.

Le tableau n’est cependant pas totalement sombre. Sur la scène régionale, Mbeki a joué un rôle actif dans la résolution des conflits et a contribué à rendre aux Africains fierté et responsabilité dans la gestion des crises continentales, participant lui-même aux accords de paix au Burundi ou en Côte-d’Ivoire et, tout récemment, arrachant un accord de partage de pouvoir au vieux président zimbabwéen Robert Mugabe. Et le nouveau président a promis de continuer sur la même voie tracée par son prédécesseur.

Si M. Motlanthe parvient à rétablir la stabilité et la crédibilité du gouvernement à l’heure où l’ANC et l’Afrique du Sud traversent leur période la plus turbulente depuis l’avènement de la démocratie en 1994, cet homme très peu connu du grand public sera en pole position pour un mandat complet en 2014. M. Motlanthe, qui a été élu numéro deux de l’ANC lors du congrès de décembre 2007 — qui avait vu le camp du populaire Zuma, soutenu par le Parti communiste et la confédération syndicale Cosatu, renverser celui du pouvoir en place —, va devoir préparer le terrain à la présidence pour le chef de l’ANC, en convainquant la majorité pauvre d’une volonté politique de répondre à leurs besoins. Mais il devra aussi rassurer les classes moyennes méfiantes vis-à-vis du tribun zoulou, dont elles dénoncent les déclarations contradictoires et les déboires judiciaires.

Pour l’instant, il est entendu qu’il dirigera le pays jusqu’aux prochaines élections générales au deuxième trimestre 2009 et cédera alors la place pour cinq ans à Zuma. Ce dernier a déjà dit qu’il ne briguait qu’un seul mandat.

Hicham Mourad