Kenya.
L’ex-secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, tente une
nouvelle médiation, au moment où le président et
l’opposition campent sur leurs positions.
Montée des périls
Les
leaders kényans sont sous fortes pressions internationales
pour les amener à sortir de la crise majeure dont souffre le
pays depuis l’annonce contestée, le 30 décembre, de la
victoire du chef de l’Etat sortant, Mwai Kibaki, à
l’élection présidentielle. Ces pressions se sont
intensifiées après l’échec jeudi dernier d’une médiation
dirigée par le chef d’Etat ghanéen et président de l’Union
Africaine (UA), John Kufuor, et au lendemain de l’appel de
l’opposition à des manifestations nationales — immédiatement
interdites par la police — pour protester contre la
réélection controversée du président, les 16, 17 et 18
janvier.
Rien ne semble désormais pouvoir arrêter la détérioration de
la situation qu’un succès de la médiation, qui débute ce
mardi, de l’ex-secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, qui
a appelé « tous les dirigeants kényans (...) à s’abstenir de
toutes mesures ou actions susceptibles de compromettre la
recherche d’une solution à l’amiable ». Il a engagé le
gouvernement et l’opposition à coopérer avec son équipe, qui
comprend Graça Machel, veuve de l’ancien président
mozambicain, Samoral Machel, et épouse de l’ex-président
sud-africain Nelson Mandela, et Ben Mkapa, ancien chef de l’Etat
tanzanien. Mais lundi, le camp présidentiel a donné le ton
sur les chances de réussite de cette médiation. « Si Kofi
Annan vient, il ne vient pas à notre invitation », a affirmé
le ministre kényan des Routes et des Travaux publics, John
Michuki. « Nous avons gagné les élections, donc nous ne
voyons pas l’objet de la venue de quiconque pour une
médiation sur un partage du pouvoir ». Le gouvernement
kényan juge inutile depuis le début de la crise un recours à
une médiation internationale, tout en se disant prêt à
accueillir toute personnalité favorisant un dialogue dans le
pays.
Jusqu’à présent, les interventions de plusieurs présidents
et ex-présidents africains, de la secrétaire d’Etat adjointe
américaine aux Affaires africaines, Jendayi Frazer, ainsi
que du prix Nobel de paix et archevêque sud-africain,
Desmond Tutu, n’ont pas permis de débloquer la situation,
chaque partie campant sur sa position. Alors que le chef de
l’opposition du Mouvement démocratique orange (ODM), Raila
Odinga — qui accuse M. Kibaki d’avoir fraudé afin de lui
voler la victoire à la présidentielle lors d’un scrutin
entaché d’irrégularités — réclame l’organisation d’un
nouveau scrutin, M. Kibaki a dit envisager une coalition de
large ouverture intégrant l’opposition. Semblant inflexible,
le président réélu a nommé la semaine dernière un
gouvernement partiel, immédiatement rejeté par Raila Odinga.
Des groupes représentatifs de la société civile ont
également dénoncé l’aggravation de la situation provoquée,
selon eux, par la formation d’un gouvernement partiel qu’ils
considèrent comme un pas de plus dans la politique du « fait
accompli » de M. Kibaki depuis sa réélection contestée du 27
décembre dernier. Des diplomates en poste au Kenya ont aussi
accueilli très froidement cette annonce de M. Kibaki,
jugeant qu’elle portait atteinte aux efforts internationaux
pour un compromis négocié.
Mais des analystes estiment que cette politique du fait
accompli semble payer. Ils jugent qu’Odinga est en perte de
vitesse, Kibaki ayant renforcé sa position ces derniers
jours en nommant la moitié du gouvernement, en veillant au
fonctionnement de l’Etat et en rappelant le Parlement.
Celui-ci doit tenir sa séance inaugurale ce mardi 15
janvier, ce qui pourrait être source de nouvelles tensions,
car le parti d’Odinga y a obtenu 99 sièges sur 222, contre
43 au Parti de l’unité nationale (PNU) de Kibaki.
Contrairement à la présidentielle, truffée d’irrégularités
selon les observateurs internationaux, les élections
législatives qui se tenaient le même jour ont été jugées
globalement satisfaisantes.
Le chef de l’Etat devra donc tenter de faire adopter des
lois face à près d’une moitié des élus qui considèrent son
gouvernement comme illégitime. « Ce sera un champ de
bataille où tous les moyens seront employés », prédit le
politologue Mutakha Kangu. « Il y a beaucoup de colère,
c’est cela qui commande tout. C’est très préoccupant pour
les Kényans ». Faiblement représenté, le PNU devra s’appuyer
sur les petites formations pour tenter de gouverner. Kangu
s’attend à une inflation de pots-de-vin, étant donné la
hauteur des enjeux. Les parlementaires kényans ont une très
médiocre réputation aux yeux de l’opinion publique, qui les
voit dans leur majorité comme des paresseux avides d’argent.
Après les élections de 2003, la première décision des élus
fut de quadrupler leurs salaires. Ensuite, le quorum requis
de 30 députés sur 222 fut rarement atteint, sinon lors des
débats sur leurs propres émoluments. La sanction est venue
des urnes, où beaucoup d’anciens députés ont perdu leur
siège le 27 décembre. Vingt ministres de Kibaki, ainsi que
son vice-président, n’ont pas été élus.
La persistance du blocage malgré les pressions de la
communauté internationale et de la société civile fait payer
aux civils le prix lourd de la crise : Quelque 500 000
Kényans auront besoin d’une assistance humanitaire dans les
prochaines semaines, ont annoncé vendredi les Nations-Unies
à Genève. Le bureau de l’Onu pour la coordination des
affaires humanitaires (Ocha) estime que 255 000 personnes
ont été déplacées par les violences — dont certaines se sont
même réfugiées à l’étranger —, ce qui aggrave les risques de
malnutrition. « La malnutrition empirera rapidement si
l’insécurité et le manque d’accès à la nourriture et à
l’assistance persistent », a déclaré la porte-parole de
cette organisation onusienne, Elisabeth Byrs, en évoquant
également la destruction de fermes agricoles et de
résidences familiales. L’Ocha a précisé que sept millions de
dollars avaient été dégagés par le Fonds central
d’intervention d’urgence (CERF) pour venir en aide aux
agences de l’Onu et aux ONG travaillant au Kenya et qu’un
nouvel appel de fonds sera lancé la semaine prochaine. Selon
le Programme Alimentaire Mondial (PAM), la situation
sécuritaire s’est améliorée au Kenya après les premières
vagues de violences et le ravitaillement par camions est
maintenant possible. Cependant, la situation reste « très,
très, très volatile », a ajouté la porte-parole du Pam,
Christiane Berthiaume.
Selon un dernier bilan fourni par un haut responsable de la
police qui a requis l’anonymat, plus de 700 personnes ont
été tuées dans la répression policière d’émeutes et lors de
violences interethniques qui ont suivi l’annonce le 30
décembre de la réélection, rejetée par l’opposition, du
président Mwai Kibaki.
Hicham Mourad