Agami .
C’est un été pas comme les autres dans cette station
balnéaire huppée mise sens dessus dessous par des travaux
d’infrastructure. Vacances ratées pour les uns et pari sur
l’avenir pour les autres.
Entre plage et chantier
Agami,
banlieue d’Alexandrie, un des anciens lieux de villégiature,
n’a jamais perdu de son charme même avec l’apparition
d’autres stations balnéaires sur la Côte-Nord ou en mer
Rouge. Mais cette année, la ville s’est transformée en un
véritable chantier. Des foreuses et des tarières bloquent
les rues de tous les côtés et creusent des fosses et
tranchées profondes. Des tas de décombres s’entassent le
long des murs et obstruent les portes des maisons. Et les
cris des journaliers se mêlent au brouhaha des machines.
C’est l’ambiance, en ce moment, à Agami, depuis que le
gouverneur d’Alexandrie a décidé d’y entamer des travaux
d’infrastructures et de maintenance, retardés depuis de
longues années. Un projet prévoyant la construction d’un
réseau d’évacuation des eaux usées à la place des fosses
d’aisances devenues néfastes. Puis, le gaz naturel
desservira directement les maisons via des canalisations et
remplacera les bonbonnes. Ce sont les deux objectifs du
projet qui a commencé depuis près d’un an dans les quartiers
situés entre Alexandrie et Agami, à savoir Max puis
Al-Nékheila. C’est en hiver dernier que le travail a débuté
au cœur de la station de Bitache. « Ça doit être un
gouverneur très courageux pour avoir décidé d’entamer de
tels travaux, puisque tous ses prédécesseurs n’ont pas osé
le faire. Ce n’est pas facile de sacrifier toute la saison
estivale à Agami et de passer outre à la colère des gens.
Pourtant, vu l’état de délabrement des infrastructures, il
était évident que ces travaux ne pouvaient plus attendre »,
dit le général Fahim, qui passe ses vacances régulièrement à
Agami et dont les fonctions à la police lui ont permis
d’approcher directement de tels problèmes. Pour lui, c’est
un grand pas en avant, même si les gens souffrent de la
situation actuelle de drainage et manifestent leur
mécontentement puisque leurs vacances sont ratées.
Une
scène quotidienne se répète : celle des voitures venues du
Caire puis, la déception des vacanciers qui, à la vue des
travaux, quittent le lieu sans avoir réussi à mettre le pied
chez eux. Ce sont des familles qui espéraient passer leur
été comme d’habitude dans leurs maisons de vacances, mais
elles n’ont même pas pu dépasser le seuil de leur résidence
à cause des fissures et des excavations qui bloquent les
rues et parfois les portes des villas et des immeubles. « Il
fallait au moins nous avertir pour qu’on arrange nos
vacances autrement et qu’on ne soit pas surpris de cette
situation, surtout que personne ne sait combien de temps
cela va durer », dit Abdel-Fattah, ingénieur à la retraite
qui, avec d’autres, s’est résigné et compte, malgré tout, y
passer son été, sans pour autant cesser d’afficher son
mécontentement. Hassan et sa femme ont dû se priver cette
année de leur marche matinale sur la plage à cause de l’eau
pourrie qui parsème le sol et des tuyaux qui déversent l’eau
des égouts dans la mer. « Même si les responsables du projet
affirment que cette eau provient de la nappe phréatique, on
ne les croit pas, vu sa couleur verte et son odeur
nauséabonde », lance Hassan, 58 ans. Ce n’est pas le seul
problème. Il y a aussi les sens de la circulation des
véhicules qui changent d’un jour à l’autre suivant
l’organisation du travail. Ce qui oblige les gens à garer
leurs voitures loin de leurs logements et à marcher dans les
encombrements au risque d’endommager les fils électriques et
téléphoniques. Ces fils dénudés exposent les gens à des
chocs électriques et les excavations sont une menace pour
les enfants puisqu’il n’y a plus d’éclairage dans la rue. La
plage ressemble à un marécage, étant pleine de flaques d’eau
salée provoquées par le forage du sol. Autant de raisons qui
rendent les estivants fous de rage et qui font qu’ils
refusent même de voir les côtés positifs de l’affaire.
Al-Hanafiya, l’une des rues principales de Agami, qui sert
de carrefour aux autres rues, subit actuellement les travaux
les plus importants. Là, un des ingénieurs responsables sur
le terrain explique que ce projet est une nécessité et non
pas un luxe. Connu depuis les années 1960, ce lieu de
villégiature n’a véritablement jamais connu d’aménagement au
sens propre du terme, surtout en ce qui concerne les eaux
usées. L’eau des égouts, stockée dans des fosses d’aisances
souterraines sans aucun réseau commun ni canalisation vers
une fosse principale, n’avait plus qu’à se diluer avec le
temps et à se filtrer jusqu’à la nappe phréatique au risque
de la rendre insalubre. Ce système ne convient plus
maintenant, surtout avec le nombre croissant d’habitants et
de vacanciers d’une année à l’autre. Il arrive souvent que
les égouts débordent, laissant échapper une odeur
nauséabonde insupportable, attirant toutes sortes
d’insectes. L’état général de ce réseau s’est tellement
dégradé que l’hiver dernier, les égouts ont débordé et
envahi toutes les rues de la partie résidentielle, formant
avec l’eau de pluie de grandes flaques, rendant impossible
toute circulation. Une situation qui a fait l’objet de
plusieurs articles dans la presse et a été abordée dans le
journal télévisé.
Pourtant, toutes ces raisons ne sont pas à même de
convaincre les gens d’accepter, pour quelque temps, ce
désordre provisoire qui améliorera la situation pour des
années à venir. Leur seul souci est de profiter de chaque
saison pour ne pas rater leurs vacances. Les plus fâchés, ce
sont les commerçants, pour qui la période estivale est
synonyme de bonnes affaires. Le visage couvert de poussière
comme sa marchandise, Ahmad, épicier, se tient devant son
magasin. Assis sur une chaise posée sur un amas de déblais,
il dit que si la situation perdure, il risque d’aller en
prison. Non seulement il n’a pas de clients, mais aussi il a
des chèques impayés.
« C’est très beau qu’ils fassent les travaux, mais il va
falloir payer non seulement pour le drainage, mais aussi
pour le gaz naturel si l’on veut que les canalisations
desservent nos maisons. Au total, 1 000 L.E. à payer ! Moi,
je préfère rester sans gaz et garder tout cet argent en
poche. Je paye des impôts régulièrement pour ces services »,
dit Galal, propriétaire d’une agence de voitures. Ces gens,
qui n’attendent que l’été pour faire de grands profits,
gagnent leur vie grâce aux quelques familles qui n’ont pas
quitté le lieu ou aux excursions organisées par la ville
d’Alexandrie ou d’autres gouvernorats ayant pour destination
Agami. Après quelques minutes de repos, les machines se
mettent de nouveau à gronder. Les ouvriers investissent les
lieux de toutes parts, comme s’ils en étaient les
propriétaires. Ils se sont donné même le droit d’utiliser
les jardins de quelques habitations pour se reposer et se
servir de l’eau potable. Les habitants, qui acceptaient au
départ d’offrir de l’aide à ces ouvriers en leur donnant à
manger, à boire ou en leur permettant d’utiliser les
toilettes, ont changé soudainement de comportement. « Nous
n’avons rien contre ces pauvres travailleurs. Les
responsables nous avaient affirmé que les travaux allaient
vite s’achever, des mois se sont écoulés et nos rues sont
encore dans ce désordre. Alors, nous ne voulons plus leur
faciliter la vie pour qu’ils quittent rapidement les lieux
», dit Fatma, avocate et propriétaire d’une villa. Cette
femme, qui ne peut passer un été sans venir à Agami, s’y
rend depuis sa plus tendre enfance. Mais cet amour lui coûte
cher puisqu’elle est privée de sa voiture, bloquée dans le
jardin à cause de l’état des rues. Quant au gouverneur, il
s’est contenté de s’excuser dans les différents médias
auprès des estivants et habitants pour les avoir indisposés
cette année. Les responsables pensent que les gens exagèrent
puisque les travaux dans chaque rue n’excèdent pas une
semaine si tout se passe bien et qu’aucun obstacle n’entrave
leur travail. Dès qu’une rue est finie, les ouvriers
entament immédiatement celle d’à côté et ainsi de suite,
mais comme les rues sont trop étroites et collées les unes
aux autres, les gens ne voient pas la différence. Tandis que
les uns considèrent cette situation comme étant
insupportable, les autres préfèrent être plus optimistes car
Agami va faire peau neuve. Mahmoud, déçu comme les autres,
est arrivé en compagnie de sa famille pour passer ses
vacances. Même s’il a un peu de mal à circuler en voiture et
à pied, il pense que ce projet mérite bien quelques
sacrifices. Selon lui, se débarrasser des moustiques et des
égouts est une raison suffisante pour supporter tout ce
désordre. La férocité des moustiques « agamistes » est
connue par tout le monde. Mahmoud et d’autres ne sont qu’une
minorité à voir les choses positivement et à penser que cela
mérite à coup sûr quelques souffrances. « L’eau potable ne
coule pas suffisamment pour contrôler sa consommation et du
coup, diminuer son rejet dans les égouts. Il est difficile
de trouver une bonbonne de gaz alors qu’on peut l’avoir au
marché noir mais à quel prix ! ». Ce sont des raisons
suffisantes pour convaincre Naguib de la nécessité de ce
grand projet en cours d’installation. Il ajoute que tous ces
services vont sûrement augmenter les prix des logements,
alors, il n’y a que de bons côtés. Si beaucoup ont changé de
plans cet été et sont allés passer leurs vacances ailleurs,
laissant Agami dans ses déboires, des fidèles ont quand même
opté pour le lieu et semblent faire abstraction de ce qui se
passe. Ces gens se croisent tôt le matin sur les plages,
profitent de la mer et des soirées estivales, vont danser
dans les célèbres casinos pleins d’ambiance et ne cessent de
marteler que rien ne pourra interrompre leurs vacances .
Hanaa
Al-Mékkawi