Pakistan.
Violences, menaces d’Al-Qaëda, bras de fer avec les
islamistes et enfin relations perturbées avec les Etats-Unis
... Le président Musharraf est confronté à toute une série
de défis à l’approche des élections présidentielles.
Musharraf dans la tempête
L’assaut
de l’armée contre la Mosquée rouge, les 9 et 10 juillet,
était de très mauvaise augure pour le président Musharraf et
pour son régime. Depuis, le pays est en proie à une escalade
de la violence qui a fait plus de 230 morts à cause d’une
série d’attentats suicide quasi quotidiens commis par les
islamistes pour venger leurs confrères massacrés dans la
mosquée. Cette semaine encore, neuf personnes ont été tuées
et une trentaine d’autres blessées, lors d’un attentat
suicide commis samedi dernier dans le nord du pays, tandis
qu’une attaque contre un poste de contrôle a fait 14 morts,
dont 4 militaires, ont annoncé des responsables de la
sécurité. Le même jour, l’armée a annoncé avoir tué 4
combattants fondamentalistes musulmans dans les zones
tribales du nord-ouest du Pakistan, près de la frontière
afghane, où les affrontements sporadiques se multiplient ces
derniers temps entre militaires et islamistes.
Outre cette vague d’attentats qui ébranlent les fondements
du régime de Musharraf, le président vient de recevoir un
nouveau coup dur avec la remise en liberté, cette semaine,
d’un membre important du parti d’opposition de l’ancien
premier ministre Nawaz Sharif, renversé en 1999 par
Musharraf, et qui avait été condamné à la prison, en 2004,
pour trahison. M. Hashmi, l’un des vice-présidents de la
Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz, avait été condamné à 23
ans de prison pour avoir rendu publique une lettre
critiquant le général Musharraf et dont il assurait qu’elle
avait été écrite par des officiers supérieurs de l’armée. Il
s’agit du premier jugement d’importance émanant de la Cour
suprême depuis que cette juridiction a rétabli dans ses
fonctions, le 20 juillet, son président, le juge Iftikhar
Mohammed Chaudhry, suspendu en mars par le chef de l’Etat
qui l’accusait notamment de corruption. « Une décision
plutôt politique que juridique car en effet, la libération
de M. Hashmi, l’un des plus fervents opposants au président
Musharraf, à quelques mois des présidentielles prévues fin
2007 ou début 2008, rend de plus en plus difficile la
réélection de ce dernier à la tête du pays », estime Mohamad
Fayez Farahat, spécialiste du dossier pakistanais.
Un coup de plus. Dimanche, les leaders d’Al-Qaëda, qui ont
menacé d’attaquer avec virulence partout dans le monde et en
particulier les ambassades et consulats occidentaux, ont
exhorté les Pakistanais à renverser le régime du président
pour venger la mort du religieux extrémiste Abdul Rachid
Ghazi dans l’assaut de la mosquée.
Relations envenimées
Comme si tous ces défis ne suffisaient pas, cette semaine,
Musharraf a vu ses relations avec ses alliés américains
perturbées suite aux déclarations de plusieurs candidats à
l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2008,
qui n’ont pas exclu d’ordonner des frappes contre Al-Qaëda
sur le sol pakistanais. Mitt Romney, ancien gouverneur du
Massachusetts (nord-est), et Rudolph Giuliani, ancien maire
de New York, ont estimé, dimanche, que les Etats-Unis
pourraient être amenés à intervenir dans les zones tribales
du nord du Pakistan, où les services de renseignements
américains estiment qu’Al-Qaëda a trouvé refuge. Deux jours
avant, le candidat à l’investiture démocrate, Barack Obama,
a déclaré être prêt, s’il est élu président, à bombarder le
Pakistan pour liquider Al-Qaëda, sans attendre la permission
de Musharraf. « Soyons clairs : il y a, terrés dans ces
montagnes du nord-ouest du Pakistan, des terroristes qui ont
tué 3 000 Américains », a déclaré l’aspirant démocrate à la
Maison Blanche.
Cette intention américaine de frapper le Pakistan — dévoilée
si audacieusement — a fort envenimé les relations entre les
deux pays cette semaine. Pour Islamabad, les Américains ont
dépassé ainsi toutes les lignes rouges. Furieux, le premier
ministre pakistanais, Shaukat Aziz, a décidé, vendredi, que
le Pakistan, en tant qu’Etat souverain, n’autoriserait
jamais à des troupes étrangères d’intervenir dans son pays.
« Ce sont des propos très irresponsables. Le Pakistan est un
Etat souverain et il ne permettra à personne d’envoyer des
troupes sur son territoire », a déclaré le premier ministre.
Selon certains experts, les leaders d’Al-Qaëda ont trouvé
refuge dans les montagnes du nord-ouest du Pakistan, dans la
région appelée « la zone des tribus ». Le Pakistan y a
déployé 80 000 soldats ayant pour mission d’anéantir les
terroristes. Cependant, les Etats-Unis jugent toujours ces
efforts insuffisants.
« En effet, Musharraf a fini par sentir que Washington n’est
jamais satisfait malgré tous les efforts qu’il déploie, et
lui, il ne peut pas faire plus car plus il resserre l’étau
autour des islamistes, plus il s’attire leur inimitié.
Aussi, Musharraf a-t-il commencé à revoir sa politique avec
Washington, osant pour la première fois mettre l’accent sur
la différence de points de vue des deux pays dans la lutte
contre le terrorisme. Là, Musharraf est sûr que, quoi qu’il
fasse, les Etats-Unis ne pourraient jamais se passer de lui
car le général est une carte à ne pas brûler pour Washington
: il a beaucoup fait pour lutter contre le terrorisme, et il
contrôle fermement l’armée. C’est pourquoi, les Etats-Unis
vont penser mille et une fois avant de frapper le Pakistan
pour ne pas faire chuter un régime qui sert leurs intérêts
», analyse Mohamad Fayez Farahat.
Selon les experts, un autre facteur a attisé la colère
d’Islamabad contre Washington cette semaine, à savoir la
conclusion d’un accord nucléaire, la semaine dernière, entre
l’Inde et les Etats-Unis.Cet accord a suscité l’inquiétude
du Pakistan qui voit sa rivale le dépasser de loin en
matière nucléaire. Vendredi, un communiqué de l’armée
pakistanaise a critiqué l’attitude américaine. « Cet accord
indo-américain dans le domaine du nucléaire inquiète le
Pakistan, qui voit sa rivale acquérir une technologie
nucléaire très avancée quantitativement et qualitativement
grâce au soutien américain, ce qui affaiblit le Pakistan
dans la région. Mais, en effet, ce soutien américain à
l’Inde ne vise pas à affaiblir le Pakistan mais plutôt à
contrer l’hégémonie de la Chine dans la région d’Asie du Sud
», estime M. Farahat.
Selon les experts, le président est confronté à toute une
série de défis qu’il doit relever avant les présidentielles
: vague de violences, menaces d’Al-Qaëda, relations
perturbées avec les Etats-Unis. L’unique bouée de sauvetage
réside donc dans son alliance avec l’opposition, avec
laquelle il a tant refusé de négocier. Déjà, l’ancien
premier ministre Benazir Bhutto, qui a rencontré la semaine
dernière à Abou-Dhabi le président pakistanais pour des
négociations sur un partage du pouvoir, a affirmé, cette
semaine, qu’elle rentrerait cette année au Pakistan pour
participer aux élections présidentielle et législatives afin
de sauver un pays en ébullition.
Maha
Al-Cherbini