Burundi .
Blocage institutionnel, crise économique, réconciliation
nationale en souffrance, le pays fait face à une crise
multiforme.
Circonstances périlleuses
Un
accord de cessez-le-feu dont l’application piétine, un
gouvernement sans majorité parlementaire, une économie
stagnante : le Burundi, qui tente de sortir de 14 ans de
guerre civile, traverse une crise multiforme qui inquiète la
communauté internationale. Ce petit pays d’Afrique centrale,
dont le processus de paix était jusqu’à récemment présenté
comme un exemple de réussite, connaît une crise depuis des
mois. Pour la première fois depuis la fin de la transition
politique au Burundi en 2005, entamée en 2001 et qui devait
amener le pays vers la paix, le corps diplomatique accrédité
à Bujumbura a exprimé publiquement, la semaine dernière, son
inquiétude. « Au nom du corps diplomatique représenté au
Burundi, je voudrais (...) exprimer notre préoccupation par
rapport à la situation politique qui prévaut au Burundi », a
déclaré l’ambassadeur de Tanzanie, Bernard Mndolwa, doyen du
corps diplomatique à Bujumbura. De son côté, l’Union
Européenne (UE), principal bailleur de fonds du pays, a
constaté vendredi « avec préoccupation le blocage
institutionnel actuel, qui entraîne un retard dans la
reprise du développement économique et social du pays. (...)
L’UE craint que ce blocage ne nuise à la stabilité du pays
».
Le Burundi est d’abord en proie à une crise institutionnelle
grave : le président Pierre Nkurunziza ne dispose plus de
majorité à l’Assemblée nationale et ne peut pas faire voter
de lois. Le parti présidentiel, le Conseil National pour la
Défense de la Démocratie- Forces pour la Défense de la
Démocratie (CNDD-FDD), connaît depuis février une crise
profonde qui a conduit à l’éviction de son ancien patron. «
Aujourd’hui, on se retrouve dans une situation où l’exécutif
burundais n’a plus les moyens de gouverner parce que
l’opposition peut bloquer l’action gouvernementale »,
explique Willy Nindorera, un analyste burundais.
Cette crise politique se double d’une crise économique, sur
fond de corruption. « On observe de très nombreux cas de
malversations économiques et de corruption », dit M.
Nindorera. Le Burundi, dont l’économie a été ruinée par la
guerre civile, est classé 3e pays le plus pauvre du monde
par la Banque mondiale. « Toute cette corruption se passe
alors que depuis la fin de la transition, l’économie stagne,
l’aide promise ne vient pas, aucune décision n’est prise sur
le plan économique (...) avec pour conséquence un malaise
social grandissant », indique sous couvert de l’anonymat le
directeur général de l’une des plus grosses banques du pays.
Cessez-le-feu fragilisé
Plus grave, l’application de l’accord de cessez-le-feu
conclu le 7 septembre 2006 entre le gouvernement burundais
et les Forces Nationales de Libération (FNL), dernière
rébellion encore active au Burundi, fait du surplace. Les 28
hauts cadres politiques et militaires des FNL, présents à
Bujumbura pour travailler à la mise en place de cet accord,
ont tous regagné le maquis, dans le Bujumbura rural, entre
le 21 et le 23 juillet. Parmi ces 28 responsables, 12
faisaient partie du Mécanisme Conjoint de Vérification et de
Suivi (MCVS), chargé de la mise en application de l’accord
de cessez-le-feu et 14 autres d’équipes mixtes de liaison
chargées d’étudier la question de la libération des
prisonniers politiques et de guerre des FNL et du
cantonnement des combattants rebelles.
Pour le général Godefroid Niyombare, chef d’état-major de
l’armée, ces fuites « confirmaient une fois de plus les
renseignements que nous avons et qui indiquent que les FNL
veulent reprendre la guerre ». Selon des informations
militaires, les rebelles seraient forts d’entre 4 000 et 6
000 hommes et recruteraient dans tout le pays. « Nous avons
décidé de réorganiser nos positions militaires autour de la
capitale, pour éviter toute mauvaise surprise, a précisé
récemment le porte-parole de l’armée burundaise. (…) Notre
but est de protéger la population en cas d’attaque rebelle.
Nous n’avons nullement l’intention d’engager les hostilités
», a-t-il cependant affirmé.
« Engager les hostilités », ce ne serait pas non plus
l’intention des FNL, ni de leurs dissidents. « Le Parti pour
la libération du peuple hutu-Forces Nationales de Libération
(Palipehutu-FNL) ne veut pas reprendre la guerre. Nous
sommes engagés sur la voie des négociations et nous allons
continuer », a assuré Pasteur Habimana, porte-parole des FNL.
Le processus de paix demeure toutefois bien poussif. Il bute
sur certaines revendications des FNL, comme la libération de
prisonniers politiques et de guerre rebelles. D’autre part,
les FNL ont exigé des négociations sur leur intégration dans
les institutions politiques et militaires, avant d’aller
plus loin dans l’application de l’accord de cessez-le-feu,
ce que Bujumbura a rejeté. Si les FNL ne sont pas prêtes à
reprendre les armes, elles ne sont pas non plus pressées de
voir aboutir les discussions avec le gouvernement,
suspendues depuis fin juillet. « Les FNL veulent entrer dans
les institutions, mais le plus tard possible, pour pouvoir
se présenter aux élections de 2010 comme la voie de recours
» et être associées le moins longtemps possible à un
gouvernement accusé notamment de corruption et de violations
massives des droits de l’homme, explique un analyste
burundais qui a requis l’anonymat.
« Le blocage est très sérieux, les FNL veulent renégocier
l’accord qui est vide politiquement, mais le parti au
pouvoir ne veut rien céder de son pouvoir », explique un
diplomate en poste à Bujumbura, ayant requis l’anonymat. «
Le problème, c’est que les FNL, affaiblies politiquement et
militairement au moment de la signature de l’accord, se sont
réorganisées, se sont réarmées », renchérit M. Nindorera,
pour qui « le Burundi souffre d’une conjonction de plusieurs
situations porteuses de risques majeurs (...) avec
malheureusement, un chef d’Etat qui n’a pas encore démontré
de grandes capacités à gérer de telles crises ». M.
Nkurunziza, ex-chef rebelle et ex-professeur de sport, était
inexpérimenté en politique avant son accession au pouvoir. «
Comme on le pressentait, on se rend compte que le CNDD-FDD
n’était pas prêt à diriger le pays tout de suite (...) il
s’est donc crispé et a choisi la voie de la confrontation »,
juge l’analyste ...
Pour le moment, les différents acteurs, Onu, UA (Union
Africaine), médiation sud-africaine et initiative régionale
sont en train de se concerter pour voir comment relancer le
processus de paix. Cependant, le changement de positions de
l’armée sur le terrain, la forte activité rebelle et
l’activisme des dissidents des FNL, que rapportent des
témoins dans les provinces de Bujumbura rural et de Bubanza,
dans l’ouest du Burundi, principale zone d’activité rebelle,
effraient les populations. D’aucuns craignent que le chaos
succède à la quasi-accalmie qui règne depuis l’accord de
septembre 2006. La guerre civile qui a duré 14 ans, faisant
plus de 300 000 morts, a opposé l’armée, dominée alors par
la minorité tutsie, aux rebelles hutus, répartis dans
plusieurs groupes. Les FNL sont le dernier des sept
mouvements rebelles les plus actifs pendant la guerre à
n’avoir pas encore conclu d’accord global de paix avec le
gouvernement.
Hicham Mourad