Loula Zaklama, lauréate du
prix Atlas des grands exploits internationaux, était la première à introduire
dans la publicité en Egypte le concept de relations publiques, l’arrimant aux
besoins spécifiques du consommateur.
Penser, rêver, une leçon de vie
« Les
relations publiques sont à la publicité le style sans lequel toute vérité reste
incomplète », dit cette dame au charme mâtiné de tendresse mais aussi de
détermination. Tel un sage antique, qui a tout de même un pied dans la
modernité, elle s’interroge depuis des années sur le mystère qui fait que
consommer rend heureux. Sa technique prend tout son sens dans ce rapport étroit
entre l’objet et l’être.
Chaque
lieu, chaque objet l’inspire ... Chaque chose exprime quelque chose ... Un
certain état d’esprit. « Le dossier arrondi d’une chaise parle d’aisance
enjouée, le carré évoque la rigueur et la logique », explique-t-elle. Elle nous
a convaincus que « les objets qu’on juge beaux sont des versions de gens qu’on
aime ». Ses considérations semblent couler de source. Toutes ses études partent
de la question : Y a-t-il un rapport entre l’acquisition d’un objet et notre
équilibre personnel ? Cela ouvre la réflexion sur ce que l’objet a à nous dire
sur notre environnement et sur nous-mêmes. Cela inspire forcément des émotions,
des pensées.
Le
prix Atlas qu’elle vient de remporter est la consécration de l’incroyable
destin d’une femme aux débuts timides mais devenue l’un des maîtres subtils de
l’art de la publicité en Egypte et dans le monde. A ce stade de sa vie, elle
considère indispensable de faire un retour aux sources, de baliser les méandres
de la mémoire familiale qui l’a aidée à trouver son chemin, comme on entre dans
une espèce de vérité intime. Sa vie durant reste marquée par deux implacables
séismes, douloureux, nécessaires et salutaires : la mort de son père et
l’arrestation de son mari. Confinée dans sa joie de vivre une enfance paisible,
à l’ombre d’un père oculiste de renom et une mère au foyer, issue d’une famille
de propriétaires terriens, son univers s’ouvre brusquement aux inquiétudes et
souffrances de la vie, à la mort de son père. Ainsi, à l’âge de six ans, pour
affronter la dureté du réel et la peur du dénuement, se réfugie-t-elle dans des
rêves fantaisistes et planifie-t-elle un avenir de danseuse d’opéra. Mais sa
mère lui donne les clés d’avancer vers l’âge adulte, de progresser vers la
maturité. « Les souliers de ballerine que tu veux te procurer sont un luxe
inutile. Par contre, des chaussures solides pour l’école détachent du futile
pour retrouver responsabilité et assurance sur la bonne voie de l’éducation »,
lui préconise sa mère. Avec une grande générosité chevillée au corps, cette
jeune mère, du haut de ses 35 ans, désamorce la crise de la perte du père, vend
tous ses biens pour offrir à ses enfants une vie décente et préparer leur
avenir. Elle éduque ses enfants sans les rudoyer dans le strict espoir de les
rendre brillants, utiles et reconnus par leur société. C’est ce qui a toujours
concouru à leur bonheur.
Après
le bac, Loula épouse Ramzi, un employé dans la compagnie EgyptAir, qui s’éprend
d’elle après une partie de baignade au club qu’elle fréquente. Ramzi l’observe
comme une femme occupée à sa toilette, innocente et docile. Mais comprend
qu’elle est aussi une force un peu sauvage, capable de sentir, sans commenter,
de glisser sous les choses pour les retourner. « La vie n’est pas un long
fleuve tranquille. Elle risque de heurter tes sensibilités, de brusquer ton
bonheur. Il faut que tu t’y prépares », lui dit-il un jour. Il force un peu la
note pour animer en elle des désirs d’indépendance et d’affirmation de soi que
trop de sollicitude et de quiétude font fléchir et éteindre. « Ramzi m’a
conduite sur des chemins où j’avais peur d’aller. C’était le prix à payer pour
réussir et prendre mon destin en main », avoue Loula. Son mari l’introduit
auprès d’un précieux érudit, Hamed Saïd, qui l’initie aux joyaux de la lecture,
en interrogeant la philosophie, l’art et la science à partir de la littérature.
D’où est née sa passion inextinguible pour le savoir. Mais hélas, Ramzi fut
arrêté un matin de 1962, avec d’autres intellectuels pour leurs opinions
réfractaires au régime. Loula se trouve soudain seule avec deux enfants de bas
âge et sa belle-mère à sa charge. Leurs espoirs de survie reposent sur elle.
S’interdisant tout attendrissement sur son sort, elle observe ses deux
fillettes, Chérine et Dina, avec inquiétude. « Qu’est-ce que le futur pour ces
petites filles qui ne sont pas encore sur des routes pavées ? L’enfance est la
saison la moins protégée des misères du temps », se dit-elle, invoquant le
souvenir de sa propre enfance achevée dans la difficulté.
Cependant,
elle décide que sa place n’est pas derrière son mari, mais à la tête de sa
propre vie. Elle commence à gérer la société de pub qu’il a fondée peu de temps
avant son arrestation, dans une conjoncture difficile, où le secteur privé est
fort marginalisé par le secteur public. Mais à force de courage, de
persévérance et de foi en Dieu, elle s’accroche à l’espoir ténu de réussir pour
nourrir sa famille. « Comme je ne peux pas obtenir l’approbation de mon époque,
en tant que femme qui travaille dans un secteur peu favorisé, je pense qu’il
est nécessaire d’utiliser au moins sa réprobation », se persuade-t-elle. Elle
se tourne vers les sociétés internationales pour lancer leurs produits sur le
marché égyptien, mais dès qu’elle en recevait une commande, des autorités haut
placées lui intimaient l’ordre de la céder à un journal national à gros tirage.
Néanmoins, plus secrète, plus déterminée qu’elle ne paraît, elle sait aussi se
retirer dans ses tanières et se nourrir des sources du savoir. Comme le suggère
sa jolie phrase : « Prier Dieu en silence, Il vous entend, pour résister à
toutes les tentatives d’intimidation ».
Sous
un soleil de plomb, elle s’assoit par terre, dans un village du Sud pour
étudier la conduite d’une ménagère, la poudre de lessive qu’elle utilise pour
laver son linge, le processus et la durée de lavage, afin de lui destiner le
produit approprié. Pour lancer un insecticide, elle entreprend une étude du
comportement et des habitudes du cafard. Ainsi, de fil en aiguille et en
forçant un peu son imagination, se risque-t-elle à un terrain non encore
défriché en Egypte, l’étude du marché, construisant son être et son savoir de
bric et de broc. De grandes sociétés américaines, telles Procter and Gamble et
Johnson lui font confiance pour introduire leurs produits sur le marché
égyptien et l’envoient effectuer des stages en étude du marché en Philadelphie
et à Genève à sa charge. Elle ne rechigne donc pas à assurer de petites
besognes pour financer ces stages.
Ainsi,
de 1962 à 1985, convertit-elle sa société à l’étude du marché et bien avant
Tareq Nour et autres ténors de la pub, elle y introduit la notion de relations
publiques, qui consiste à gérer la réputation du fabricant et son produit pour
que le consommateur y adhère et en apprécie l’efficacité et la qualité. Elle
apprend à trousser l’histoire du « making » du produit, puis à le vendre au
consommateur en lui fournissant des informations adéquates sur son utilité. Elle
passe maître en l’enchantement de son logo à coup de jolies histoires. « La
marque ne suffit plus à elle-même ; elle devrait devenir vecteur d’histoire et
de psychologie de comportement, d’habitus de classe », proclame-t-elle. En
réformant sa politique de travail, elle lui donne une nouvelle identité
narrative pour exalter l’imaginaire de ses clients. Elle s’inspire d’Edward
Bernays, père fondateur des « relations publiques », disserte sur les codes
narratifs et se pique de sémiologie. « Dites-le avec des fictions ! ». Tel est
son slogan. « Les gens n’achètent pas des produits, mais des histoires que ces
produits représentent », ajoute-t-elle. « Si certains objets subtilement
équilibrés nous touchent, c’est parce qu’ils illustrent une façon d’harmoniser
les aspects discordants de notre personnalité. Ils montrent que nous pourrions
aspirer, nous aussi, à faire quelque chose de beau de nos gênantes
contradictions ».
Travailleuse
minutieuse, elle règne aujourd’hui sur une entreprise de 50 employés en sus des
100 chercheurs qui collaborent de l’extérieur. Ses deux filles aujourd’hui
épanouies et mariées l’y ont rejointe, participant à l’effervescence
intellectuelle de son groupe autour d’une technique solide qui a servi à rationaliser
le métier des relations publiques dans le pays : un solide passeport pour
traverser les fluctuations et les aléas du temps.
C’est
son art de Story Telling appuyé sur des enquêtes de terrain et des arguments
puissants qui a bâti sa renommée et lui a valu le poste de conseillère en
communication à l’Organisme général de l’investissement. « Cette reconnaissance
par l’Etat fait triompher l’intelligence sur les intimidations du passé »,
affirme-t-elle avec un sentiment de bonheur qu’elle affiche avec sérénité et
gratitude. Présidente en 2006 de l’Association internationale des relations
publiques, elle a su mettre son expérience et son savoir-faire au service de
son pays et des Etats de la région, en formant une génération performante dans
ce domaine. Penser, rêver est sa devise pour faire barrage aux obstacles et aux
ennuis. Elle met dans ses propos et sa technique une telle dose d’érudition et
de philosophie : « Si vous ne pouvez pas changer le monde, alors choisissez de
changer votre canapé. Autant d’exercices nous aident à voir le monde et à
transformer nos existences ». Au fond, les anciens ne disaient rien d’autre.
Ils étaient des « révélateurs psychologiques » en prise avec la vraie vie.
Amina Hassan
Jalons
1955 : Date de mariage.
1962 : Arrestation de son époux Ramzi Zaklama.
1985 : Lancement de sa société Radar Research.
2006 : Présidente de l’Association internationale
des relations publiques.
2007 : Prix Atlas des grands exploits internationaux.