Al-Ahram Hebdo, Visages | Loula Zaklama, Penser, rêver, une leçon de vie
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 7 au 13 novembre 2007, numéro 687

 

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Loula Zaklama, lauréate du prix Atlas des grands exploits internationaux, était la première à introduire dans la publicité en Egypte le concept de relations publiques, l’arrimant aux besoins spécifiques du consommateur.

Penser, rêver, une leçon de vie

« Les relations publiques sont à la publicité le style sans lequel toute vérité reste incomplète », dit cette dame au charme mâtiné de tendresse mais aussi de détermination. Tel un sage antique, qui a tout de même un pied dans la modernité, elle s’interroge depuis des années sur le mystère qui fait que consommer rend heureux. Sa technique prend tout son sens dans ce rapport étroit entre l’objet et l’être.

Chaque lieu, chaque objet l’inspire ... Chaque chose exprime quelque chose ... Un certain état d’esprit. « Le dossier arrondi d’une chaise parle d’aisance enjouée, le carré évoque la rigueur et la logique », explique-t-elle. Elle nous a convaincus que « les objets qu’on juge beaux sont des versions de gens qu’on aime ». Ses considérations semblent couler de source. Toutes ses études partent de la question : Y a-t-il un rapport entre l’acquisition d’un objet et notre équilibre personnel ? Cela ouvre la réflexion sur ce que l’objet a à nous dire sur notre environnement et sur nous-mêmes. Cela inspire forcément des émotions, des pensées.

Le prix Atlas qu’elle vient de remporter est la consécration de l’incroyable destin d’une femme aux débuts timides mais devenue l’un des maîtres subtils de l’art de la publicité en Egypte et dans le monde. A ce stade de sa vie, elle considère indispensable de faire un retour aux sources, de baliser les méandres de la mémoire familiale qui l’a aidée à trouver son chemin, comme on entre dans une espèce de vérité intime. Sa vie durant reste marquée par deux implacables séismes, douloureux, nécessaires et salutaires : la mort de son père et l’arrestation de son mari. Confinée dans sa joie de vivre une enfance paisible, à l’ombre d’un père oculiste de renom et une mère au foyer, issue d’une famille de propriétaires terriens, son univers s’ouvre brusquement aux inquiétudes et souffrances de la vie, à la mort de son père. Ainsi, à l’âge de six ans, pour affronter la dureté du réel et la peur du dénuement, se réfugie-t-elle dans des rêves fantaisistes et planifie-t-elle un avenir de danseuse d’opéra. Mais sa mère lui donne les clés d’avancer vers l’âge adulte, de progresser vers la maturité. « Les souliers de ballerine que tu veux te procurer sont un luxe inutile. Par contre, des chaussures solides pour l’école détachent du futile pour retrouver responsabilité et assurance sur la bonne voie de l’éducation », lui préconise sa mère. Avec une grande générosité chevillée au corps, cette jeune mère, du haut de ses 35 ans, désamorce la crise de la perte du père, vend tous ses biens pour offrir à ses enfants une vie décente et préparer leur avenir. Elle éduque ses enfants sans les rudoyer dans le strict espoir de les rendre brillants, utiles et reconnus par leur société. C’est ce qui a toujours concouru à leur bonheur.

Après le bac, Loula épouse Ramzi, un employé dans la compagnie EgyptAir, qui s’éprend d’elle après une partie de baignade au club qu’elle fréquente. Ramzi l’observe comme une femme occupée à sa toilette, innocente et docile. Mais comprend qu’elle est aussi une force un peu sauvage, capable de sentir, sans commenter, de glisser sous les choses pour les retourner. « La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle risque de heurter tes sensibilités, de brusquer ton bonheur. Il faut que tu t’y prépares », lui dit-il un jour. Il force un peu la note pour animer en elle des désirs d’indépendance et d’affirmation de soi que trop de sollicitude et de quiétude font fléchir et éteindre. « Ramzi m’a conduite sur des chemins où j’avais peur d’aller. C’était le prix à payer pour réussir et prendre mon destin en main », avoue Loula. Son mari l’introduit auprès d’un précieux érudit, Hamed Saïd, qui l’initie aux joyaux de la lecture, en interrogeant la philosophie, l’art et la science à partir de la littérature. D’où est née sa passion inextinguible pour le savoir. Mais hélas, Ramzi fut arrêté un matin de 1962, avec d’autres intellectuels pour leurs opinions réfractaires au régime. Loula se trouve soudain seule avec deux enfants de bas âge et sa belle-mère à sa charge. Leurs espoirs de survie reposent sur elle. S’interdisant tout attendrissement sur son sort, elle observe ses deux fillettes, Chérine et Dina, avec inquiétude. « Qu’est-ce que le futur pour ces petites filles qui ne sont pas encore sur des routes pavées ? L’enfance est la saison la moins protégée des misères du temps », se dit-elle, invoquant le souvenir de sa propre enfance achevée dans la difficulté.

Cependant, elle décide que sa place n’est pas derrière son mari, mais à la tête de sa propre vie. Elle commence à gérer la société de pub qu’il a fondée peu de temps avant son arrestation, dans une conjoncture difficile, où le secteur privé est fort marginalisé par le secteur public. Mais à force de courage, de persévérance et de foi en Dieu, elle s’accroche à l’espoir ténu de réussir pour nourrir sa famille. « Comme je ne peux pas obtenir l’approbation de mon époque, en tant que femme qui travaille dans un secteur peu favorisé, je pense qu’il est nécessaire d’utiliser au moins sa réprobation », se persuade-t-elle. Elle se tourne vers les sociétés internationales pour lancer leurs produits sur le marché égyptien, mais dès qu’elle en recevait une commande, des autorités haut placées lui intimaient l’ordre de la céder à un journal national à gros tirage. Néanmoins, plus secrète, plus déterminée qu’elle ne paraît, elle sait aussi se retirer dans ses tanières et se nourrir des sources du savoir. Comme le suggère sa jolie phrase : « Prier Dieu en silence, Il vous entend, pour résister à toutes les tentatives d’intimidation ».

Sous un soleil de plomb, elle s’assoit par terre, dans un village du Sud pour étudier la conduite d’une ménagère, la poudre de lessive qu’elle utilise pour laver son linge, le processus et la durée de lavage, afin de lui destiner le produit approprié. Pour lancer un insecticide, elle entreprend une étude du comportement et des habitudes du cafard. Ainsi, de fil en aiguille et en forçant un peu son imagination, se risque-t-elle à un terrain non encore défriché en Egypte, l’étude du marché, construisant son être et son savoir de bric et de broc. De grandes sociétés américaines, telles Procter and Gamble et Johnson lui font confiance pour introduire leurs produits sur le marché égyptien et l’envoient effectuer des stages en étude du marché en Philadelphie et à Genève à sa charge. Elle ne rechigne donc pas à assurer de petites besognes pour financer ces stages.

Ainsi, de 1962 à 1985, convertit-elle sa société à l’étude du marché et bien avant Tareq Nour et autres ténors de la pub, elle y introduit la notion de relations publiques, qui consiste à gérer la réputation du fabricant et son produit pour que le consommateur y adhère et en apprécie l’efficacité et la qualité. Elle apprend à trousser l’histoire du « making » du produit, puis à le vendre au consommateur en lui fournissant des informations adéquates sur son utilité. Elle passe maître en l’enchantement de son logo à coup de jolies histoires. « La marque ne suffit plus à elle-même ; elle devrait devenir vecteur d’histoire et de psychologie de comportement, d’habitus de classe », proclame-t-elle. En réformant sa politique de travail, elle lui donne une nouvelle identité narrative pour exalter l’imaginaire de ses clients. Elle s’inspire d’Edward Bernays, père fondateur des « relations publiques », disserte sur les codes narratifs et se pique de sémiologie. « Dites-le avec des fictions ! ». Tel est son slogan. « Les gens n’achètent pas des produits, mais des histoires que ces produits représentent », ajoute-t-elle. « Si certains objets subtilement équilibrés nous touchent, c’est parce qu’ils illustrent une façon d’harmoniser les aspects discordants de notre personnalité. Ils montrent que nous pourrions aspirer, nous aussi, à faire quelque chose de beau de nos gênantes contradictions ».

Travailleuse minutieuse, elle règne aujourd’hui sur une entreprise de 50 employés en sus des 100 chercheurs qui collaborent de l’extérieur. Ses deux filles aujourd’hui épanouies et mariées l’y ont rejointe, participant à l’effervescence intellectuelle de son groupe autour d’une technique solide qui a servi à rationaliser le métier des relations publiques dans le pays : un solide passeport pour traverser les fluctuations et les aléas du temps.

C’est son art de Story Telling appuyé sur des enquêtes de terrain et des arguments puissants qui a bâti sa renommée et lui a valu le poste de conseillère en communication à l’Organisme général de l’investissement. « Cette reconnaissance par l’Etat fait triompher l’intelligence sur les intimidations du passé », affirme-t-elle avec un sentiment de bonheur qu’elle affiche avec sérénité et gratitude. Présidente en 2006 de l’Association internationale des relations publiques, elle a su mettre son expérience et son savoir-faire au service de son pays et des Etats de la région, en formant une génération performante dans ce domaine. Penser, rêver est sa devise pour faire barrage aux obstacles et aux ennuis. Elle met dans ses propos et sa technique une telle dose d’érudition et de philosophie : « Si vous ne pouvez pas changer le monde, alors choisissez de changer votre canapé. Autant d’exercices nous aident à voir le monde et à transformer nos existences ». Au fond, les anciens ne disaient rien d’autre. Ils étaient des « révélateurs psychologiques » en prise avec la vraie vie.

Amina Hassan

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Jalons

1955 : Date de mariage.

1962 : Arrestation de son époux Ramzi Zaklama.

1985 : Lancement de sa société Radar Research.

2006 : Présidente de l’Association internationale

des relations publiques.

2007 : Prix Atlas des grands exploits internationaux.

 

 




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