Psychiatrie .
Un avant-projet de loi proposé par l’OMS et relatif aux
droits des malades sera bientôt discuté au Parlement. Leurs
droits à des soins appropriés, à un traitement humain et à
une qualité de vie décente devront être pris en compte.
Mais, il s’agit aussi de changer les mentalités qui les
condamnent à l’isolement.
Ne plus parler de « fous » mais de malades
En
2002, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait
consacré une journée mondiale à la santé mentale. Une prise
de conscience qui révèle que les troubles d’ordre psychique
bouleversent la vie du malade et celle de son entourage.
Dans nos sociétés, les malades mentaux sont des
laissés-pour-compte, ce qui a probablement conduit à leur
isolement.
Aujourd’hui, un avant-projet de loi proposé par l’OMS,
relatif aux droits de ces malades, est en cours d’étude. Il
sera bientôt proposé au Parlement. Le but : garantir au
malade mental un traitement conforme, respecter sa dignité,
l’assister en cas de besoin et l’aider à mener une vie
meilleure. Ce projet touche les questions longtemps mises de
côté, comme le droit du malade à donner son consentement au
traitement qu’il va suivre, ou prévoir un tuteur pour
décider à sa place afin d’éviter les dépassements dans
certains hôpitaux, former du personnel para-médical plus
compétent et surtout créer une relation patient-soignant
basée sur la transparence. Ce projet de loi devra aussi
définir une politique de santé mentale qui vise à changer
l’image que la société se fait de ce malade.
En
effet, il n’existe en Egypte aucun cadre juridique qui
définit les droits du malade mental, sa relation avec
l’équipe soignante, ses droits au sein de l’établissement en
cas d’hospitalisation et surtout son implication quant au
traitement administré.
En effet, pour les patients qui fréquentent les cliniques
psychiatriques, les choses sont plus simples, puisqu’il
s’agit surtout d’un choix de leur part. En s’adressant à un
psychiatre, ces malades sont bien conscients qu’ils ont un
problème et vont à la recherche d’une oreille attentive.
Cette catégorie ne souffre souvent pas de syndromes graves
et sont guéris quelques mois après la consultation.
Mais, les choses se compliquent lorsque le malade doit être
hospitalisé. Ce dernier est souvent privé de ses droits les
plus élémentaires. Et pour les familles, c’est le parcours
du combattant. Dans les hôpitaux, ces malades finissent par
être isolés.
Un rejet social
L’arrivée à l’hôpital pose déjà un problème. La plupart
d’entre eux tentent de prendre la fuite pour éviter cette «
prison à vie ». Maltraitance, interdiction de circuler
librement, de communiquer, soins inappropriés. Bref, une
série d’épreuves qui font que leurs droits sont peu ou pas
garantis.
Respecter les droits de ces malades, avoir plus d’égard
envers eux, les considérer comme des êtres humains ne sont
souvent pas à l’ordre du jour. Une négligence qui reflète le
regard de toute une société. Le poids des mots qui les
qualifient de « fou » et le ghetto dans lequel on les
enferme souvent font que l’on rejette carrément celui que
l’on ne comprend pas et qui ne nous ressemble pas.
« Pourtant, le trouble mental est un ensemble indissociable
d’une vulnérabilité biologique, de souffrance psychique et
d’un trouble social. Ce patient a le droit, comme tous les
autres, d’être écouté et soutenu pour pouvoir se remettre
d’aplomb et s’intégrer de nouveau dans la société »,
explique Dr Hicham Eloui, psychiatre.
Mais, cela n’est malheureusement pas le cas. En Egypte, plus
d’un million de personnes fréquentent les services
spécialisés en psychiatrie, alors que des milliers d’autres
y sont hospitalisées de façon quasi permanente. « Nous
accueillons quotidiennement des centaines de personnes qui
souffrent de troubles psychiques divers. Les frustrations
quotidiennes sont innombrables. De plus en plus de personnes
ne parviennent pas à réaliser leurs rêves face aux
difficultés de la vie. Cette aspiration aveugle vers le
mieux suffirait pour justifier le nombre de malades
psychiques. Des personnes qui n’arrivent plus à mener leur
train de vie normal ont besoin d’une aide pour retrouver
leur équilibre », explique Dr Mohamad Abdel-Fattah, maître
assistant en psychologie à l’Université de Aïn-Chams et
psychologue dans un hôpital psychiatrique privé.
La logique de l’isolement
Dans la plupart des services de psychiatrie, de nombreux
malades sont mal en point. L’hôpital étant pour eux le lieu
où ils subissent tous les calvaires.
« Négligence, violence, isolement. Ces personnes socialement
marginalisées finissent par être mises à l’écart, y compris
au sein des hôpitaux », explique Dr Mohamad Abdel-Fattah. Il
tient tout de même à faire la différence entre les hôpitaux
psychiatriques publics et privés. Et, il est bien placé pour
le faire, car il a exercé dans les deux.
« Dans la plupart des hôpitaux publics, il s’agit de malades
ne possédant pas de moyens financiers et dont les familles
veulent surtout se débarrasser. Le traitement n’étant pas
l’essentiel, l’important est qu’ils puissent les oublier
définitivement, puisqu’ils représentent pour l’entourage
l’infamie. Ce qui explique l’hospitalisation de certains,
qui dure depuis plus de 15 ans. Dans ce genre d’hôpitaux,
toute sorte d’atteinte à la dignité est permise. Des
dizaines de malades s’entassent sur les lits et dans les
pavillons. Certains tentent même de fuguer pour échapper aux
traitements inhumains. Des médecins n’hésitent pas pour
avoir la paix, à administrer des doses excessives de
médicaments ou des séances d’électrochoc pour mieux
contrôler les patients agités. Raison pour laquelle le
directeur de rédaction d’un journal d’opposition a voulu
visiter l’hôpital psychiatrique public de Abbassiya en se
faisant passer pour un malade mental. Il a été examiné par
des médecins qui ont diagnostiqué une paranoïa avec
schizophrénie », explique un jeune psychiatre qui fait son
internat dans cet hôpital et qui a requis l’anonymat. Ayant
révélé son identité après trois jours d’hospitalisation, le
journaliste a dénoncé tous les dépassements.
Or, si l’image est moins obscure dans les hôpitaux
psychiatriques privés, elle n’est pas non plus parfaite.
Soheir est la sœur d’une malade souffrant de dépression
sévère. Le psychiatre qui la suit a préféré l’hospitaliser
pour qu’elle soit sous surveillance médicale. « Deux
semaines entières, nous n’avons pas eu le droit de la voir,
encore moins de parler à son médecin traitant. Un mois plus
tard, on nous a appris qu’il était en voyage et suivait
l’évolution de son cas via les infirmières par téléphone »,
confie la sœur, qui a dû verser une somme de 10 000 L.E.
pour un séjour d’un mois.
En effet, très peu d’établissements hospitaliers tentent de
créer une ambiance chaleureuse pour ce genre de patients et
seuls les plus aisés bénéficient du meilleur traitement.
Dans ces hôpitaux de renommée, une équipe hautement
qualifiée accueille le malade avec des sourires, des
médecins font tout pour mettre fin à sa souffrance, sans
compter les programmes de réhabilitation, les activités
sportives, musicales et artistiques qui sont prévus pour le
remettre d’aplomb. « Créer un cadre chaleureux après la
sortie du patient de l’hôpital est l’un des éléments
indispensables à sa guérison. D’où l’importance de préparer
sa famille à l’accueillir. Le médecin doit les mettre au
courant du risque d’interruption du traitement. Par
ailleurs, nous envisageons des programmes d’assistance aux
familles des malades. Car il est souvent incapable de donner
son jugement ou prendre les bonnes décisions concernant son
traitement », confie Dr Abdel-Fattah en parlant de
l’établissement privé où il officie et où une toute petite
minorité aux parents nantis a accès.
Pour ce médecin, la situation dépasse de loin les murs de
l’hôpital psychiatrique ou celles d’une nouvelle loi de
santé mentale. Reconnaître les droits des malades, revoir
l’éthique liée aux soins, mais aussi créer une nouvelle
culture au sein de la société, telles sont les questions
clés. « Cela ne pourra avoir lieu que lorsque les services
de santé mettront à disposition des moyens plus humains.
Ecoles, institutions religieuses et médias doivent présenter
une image plus décente du malade mental tout en donnant une
autre vision de lui et des troubles qui le font souffrir.
Lorsque ce malade sera comparé à une personne atteinte d’un
cancer, une maladie dont on peut parler ouvertement, qui se
prévient, se soigne et peut se guérir, on aura atteint notre
objectif », résume le Dr Abdel-Fattah .
Amira
Doss