Paavo Lipponen : Les origines de la civilisation occidentale
remontent à l’Orient
Mohamed Salmawy
Qu’arrive-t-il
à l’homme politique quand il décide de passer à la retraite
à l’âge de 66 ans ? S’isole-t-il de la vie et reste-t-il
chez lui à écrire ses mémoires, ou bien son intérêt
vis-à-vis de la vie publique reste-t-il toujours aiguisé,
ses activités revêtant simplement un aspect différent ?
J’étais occupé par toutes ces interrogations alors que
j’allais rencontrer Paavo Lipponen, l’un des célèbres hommes
politiques finlandais, ancien président du Parti social
démocrate, premier ministre finlandais de 1995 à 2003 et,
enfin, président du Parlement de 2003 jusqu’en 2007.
Paavo Lipponen effectuait une visite touristique en Egypte,
en compagnie de son épouse, au cours de laquelle il s’est
rendu à Louqsor et à Assouan.
J’avais dit à Lipponen : « Je me souviens encore de votre
allocution d’avril 2006, au moment où la crise des
caricatures battait son plein dans un état voisin du vôtre,
à savoir le Danemark. Dans cette allocution, vous avez
appelé à la nécessité de tisser des rapports entre la
civilisation occidentale et l’Orient musulman, et vous avez
fait allusion à l’apport de la civilisation arabe à la
civilisation occidentale ».
—
Tel était mon avis auquel je suis encore attaché. La
définition de la civilisation occidentale que nous utilisons
aujourd’hui a puisé ses sources en Orient. Il serait erroné
de considérer les Arabes et l’islam comme des étrangers.
D’autant plus que c’est cette vision, qui est à l’origine de
ce faux conflit reflétant le fanatisme frénétique, qui a
gagné en ampleur après le 11 septembre 2001. La crise des
caricatures danoises n’était que l’un de ses aspects
manifestes.
Notre éminente ambassadrice à Helsinki à l’époque, Soad
Chalaby avait eu l’amabilité de m’envoyer le texte intégral
de l’allocution de Lipponen, dans laquelle il avait critiqué
la tendance de l’Occident à se focaliser sur le terrorisme
et à ignorer les vérités-clés, sans lesquelles il nous sera
difficile de renouer un dialogue entre les civilisations. Il
avait dit sincèrement : « Nous devons réapprendre nos leçons
d’histoire pour savoir que les sources de notre civilisation
remontent toutes à l’Orient ».
Dans la résidence de l’ambassadeur finlandais au Caire, et
après un brève moment de silence, Lipponen poursuivit : «
Dans cette allocution, je faisais essentiellement allusion à
cette réflexion dominante en Occident dont je ne suis pas
d’accord, et selon laquelle le berceau de notre actuelle
civilisation est la Grèce ».
Lipponen confirme que la civilisation grecque n’est pas née
du vide, mais qu’elle était reliée à d’autres civilisations
précédentes et contemporaines. Et d’ajouter : « Nous devons
nous rappeler que l’islam nous a présenté, au VIIe siècle
après J.-C., l’une des plus importantes civilisations
universelles, au moment où l’Europe vivait encore dans les
ténèbres. Et même si nous évoquons la civilisation grecque
en la considérant comme le fondement de notre civilisation
moderne, c’est l’islam et sa civilisation qui nous l’ont
préservée et qui nous ont permis de la récupérer après la
Renaissance ».
— Quelle est votre plus importante réalisation politique
lorsque vous occupiez le poste de secrétaire du premier
ministre Mauno Koivisto, en 1979, et jusqu’à votre retraite
en mars 2007 ?
Il dit sans hésitation : « C’est cette entente que j’ai
réalisée en Finlande entre les différentes tendances
politiques. Les grandes œuvres en politique ne se réalisent
qu’à travers une dose d’unanimité nationale qui, à mon sens,
doit être l’objectif de tout homme politique ayant du poids.
J’ai fait en sorte que les trois principaux partis
deviennent des partenaires au pouvoir. J’avais pour objectif
de les rapprocher du parti au pouvoir et non de les isoler.
De cette manière, nous avons réussi à réaliser de grands
acquis dans le domaine économique. Par conséquent, la
Finlande a beaucoup différé des autres pays européens où les
pourcentages du chômage s’aggravaient.
Les résultats de cette politique se sont répercutés
également sur le niveau de l’enseignement qui a connu, lui,
un développement. Les indices internationaux ont affirmé,
plus d’une fois, que l’étudiant finlandais jusqu’à l’âge de
15 ans obtenait le meilleur niveau d’éducation à travers le
monde. Le niveau d’éducation élevé est un droit garanti à
tout le monde et n’est pas uniquement destiné à l’élite qui,
elle, pourrait assumer les coûts de l’enseignement privé».
— Vous avez toujours été l’un de ceux qui ont prêché ce que
vous avez appelé « La dimension nordiste », et qui est une
politique consistant à annexer les pays scandinaves et ceux
du Nord à l’Union européenne.
— Oui, et ceci nous a donné l’occasion d’exercer une
influence sur la formation de l’Union, dès ses débuts. Mais
permettez-moi de vous dire qu’après avoir réalisé
aujourd’hui cette dimension nordiste, il nous faut porter
plus d’intérêt à la dimension sudiste. Je vise par cela les
pays du bassin méditerranéen, qui sont pour nous un pôle de
grande richesse grâce à leur vitalité politique, ainsi que
d’autres réalités démographiques. Nous devons porter un
intérêt au sud parce que nos origines remontent à lui et
cette division qui existe aujourd’hui entre notre
civilisation occidentale chrétienne et l’Orient islamique
est une fausse donnée. Elle est infondée et, plus que cela,
ne nous ne aide pas à nous comprendre nous-mêmes. Le
christianisme était, à la base, une religion orientale.
Raison pour laquelle il ne nous sépare pas de l’Orient, mais
doit, en l’occurrence, devenir un facteur qui nous
rapproche.
— Le moment est-il venu pour vous de rédiger vos mémoires ?
— C’est ce que je suis en train de faire effectivement. Mais
je rédige parallèlement un autre livre sur l’actualité,
n’ayant rien à voir avec les mémoires. La vie ne s’arrête
pas, et mon intérêt aux questions d’ordre public ne tarit
pas en dépit de ma retraite. J’ai l’intention de poursuivre
mon appel à rapprocher les deux civilisations par divers
moyens, tantôt par le dialogue, tantôt par la bonne
compréhension des vérités historiques.
Je me suis alors rappelé certains de nos anciens premiers
ministres et certains présidents de l’Assemblée du peuple
qui, une fois que leurs mandats expirent, leurs noms sont
effacés à tout jamais de la vie publique. On n’entend plus
jamais rien à leur propos, quelques-uns mêmes deviennent «
non désirés », et leurs noms ne sont plus évoqués. Jamais
ils ne sont invités aux cérémonies et, au-dessus de tout,
leur expérience accumulée n’est plus profitable à personne.
Je me suis souvenu que nous étions en train de parler d’un
régime politique différent. Un régime démocratique qui ne
cherche pas à isoler les autres ou à les concevoir en tant
que rivaux se disputant le pouvoir. Le gouvernement en
exercice en Finlande est celui d’une coalition entre la
droite et le centre, alors que la présidente de la
République représente le parti social-démocrate
d’opposition. En d’autres termes, les trois grands partis
sont représentés au pouvoir, et c’est là une situation que
l’on peut difficilement imaginer chez nous.
— Quel est le projet qui vous préoccupe actuellement, à part
l’écriture ?
— L’année prochaine auront lieu les festivités célébrant le
centenaire de la naissance de notre grand romancier Mika
Waltari. Je préside le comité qui supervise ces festivités.
Comme vous le savez, Waltari est l’auteur de l’un des
célèbres romans du XXe siècle, Sinouhé l’Egyptien, qui a été
tiré à des millions d’exemplaires à travers le monde et
adapté en un film célèbre dans les années 1950 à Hollywood.
Et puisque le sujet du roman traite de l’histoire de l’Egypte
ancienne, je suis en train de réfléchir avec l’Union des
écrivains d’Egypte sur la manière idéale de participer à
cette cérémonie.
— Au début, j’avais cru que vous aviez abandonné la
politique et que vous vous étiez tourné vers la littérature.
Mais je me suis rendu compte maintenant que vous portez
toujours le même intérêt à votre cause fondamentale, celle
de rapprocher les peuples et dissiper le malentendu entre la
civilisation occidentale et celle orientale.
En souriant, le célèbre homme de politique finlandais
rétorqua : « Elle doit être notre cause à nous tous, à l’ère
de la mondialisation ».