Maroc-Espagne.
Les relations entre les deux royaumes traversent une zone de
turbulence en raison d’une visite controversée du roi Juan
Carlos dans les enclaves de Ceuta et Melilla.
Sensibilités ravivées
Avec de nombreux sujets d’intérêts communs mais aussi des
mésententes sur des questions délicates d’ordre
politico-économique, les relations entre le Maroc et
l’Espagne, que quelques kilomètres uniquement séparent
connaissent depuis toujours des
hauts et des bas. Du fait de cette proximité géographique,
de l’existence d’un certain nombre de dossiers importants
pour les deux pays, comme l’immigration clandestine, la
pêche, la lutte contre le terrorisme ou encore le Sahara
occidental, à chaque crise dans leurs relations, le Maroc et
l’Espagne ont dû finalement opter pour le dialogue. Or,
cette fois-ci, la tension touche une question hautement
délicate, celle de Ceuta et Melilla, ces deux enclaves
espagnoles de la côte méditerranéenne revendiquées par
Rabat. Les relations entre les deux royaumes se sont
nettement dégradées en raison de la visite du roi Juan
Carlos et de la reine Sofia dans ces deux enclaves, la
première depuis l’accession au trône de Juan Carlos en 1975.
Au point que le Maroc a rappelé en consultation son
ambassadeur en poste à Madrid pour une durée indéterminée,
et ce pour protester contre la visite qui a commencé lundi
dernier. Outre le rappel de l’ambassadeur, des députés
marocains ont décidé d’observer lundi un sit-in devant
l’ambassade d’Espagne à Rabat pour protester contre la
visite. Bien plus, des manifestations ont été organisées par
les ONG face à ce qu’elles ont considéré comme une offense
qui leur est faite. Le premier ministre marocain, Abbas
Al-Fassi, a dit profondément
regretter ce projet, dont il dit avoir entendu pour la
première fois parler par la presse espagnole, selon l’agence
Map. « Le gouvernement (...)
rappelle que ces deux villes sont partie intégrante du
territoire du Royaume du Maroc et leur retour dans la mère
patrie découlera de négociations directes avec le voisin
espagnol », a-t-il dit, cité par
l’agence.
Cette question est la première épreuve sérieuse à laquelle
fait face Al-Fassi, qui a été
nommé à la tête du gouvernement après la victoire du parti
conservateur de l’Istiqlal (Indépendance) aux élections
législatives. Le parti a un programme nationaliste et défend
farouchement « l’intégrité territoriale » marocaine en
l’étendant au Sahara occidental et aux deux enclaves,
baptisées « Sebta » et «
Mellilia » en arabe.
Le porte-parole du gouvernement marocain,
Khalid
Naciri, a déclaré à la presse que Rabat ne pouvait
que « rejeter fortement et désapprouver totalement cette
regrettable initiative, quelles qu’en soient la motivation
ou les intentions ». M. Naciri a
souligné que « la coopération
maroco-espagnole, qui s’est renforcée ces dernières
années et que nous considérons comme un choix stratégique,
ne doit pas nous faire oublier qu’il existe encore entre
nous un différend essentiel concernant ces deux villes ».
Cette coopération « implique de s’engager dans un règlement
intelligent de ce différend territorial qui prenne en
considération les intérêts légitimes des deux pays dans le
cadre du dialogue et de la concertation », a-t-il ajouté.
Visites rares
Les visites de personnalités espagnoles de haut rang dans
ces deux enclaves sont rares. Celle, en 2006, du président
du gouvernement José Luis Rodriguez
Zapatero, la première d’un chef
du gouvernement espagnol depuis 1981, avait déjà fortement
irrité à Rabat.
Le Maroc a toujours considéré Ceuta et Melilla comme partie
intégrante de son territoire national. Le roi Hassan II
avait proposé la mise sur pied d’une cellule de réflexion
bilatérale pour aboutir à une solution de ce différend, une
proposition que Madrid a toujours rejetée.
L’annonce de la visite a provoqué une certaine excitation à
Ceuta et Melilla où les routes devraient être bloquées, les
magasins fermés et les administrations n’ouvrir que deux
heures par jour. Les écoles devraient fermer pour permettre
aux enfants de s’aligner au passage du cortège royal.
Maria Teresa Fernandez de la Vega,
vice-présidente du gouvernement espagnol, a tenté de
désamorcer la polémique en insistant sur la qualité des
relations « extraordinairement bonnes » entre l’Espagne et
le Maroc, « fondées sur une affection sincère et un respect
mutuel ». La visite du couple royal à Ceuta et Melilla est à
la demande réitérée, souligne-t-on à Madrid, de la
population locale des « présides ».
En effet, la désapprobation marocaine était loin de pousser
l’Espagne à annuler cette visite. Le ministre espagnol des
Affaires étrangères, Miguel Angel
Moratinos, a exprimé dimanche l’espoir que les bonnes
relations entre Madrid et Rabat permettront de « surmonter
les sensibilités » concernant la visite du roi Juan Carlos à
Ceuta et Melilla.
De son côté, le chef du gouvernement espagnol, José Luis
Rodriguez
Zapatero, avait estimé dans une interview publiée
dimanche par le quotidien Publico que les relations de
l’Espagne avec le Maroc étaient « très bonnes et
(continueraient) d’être très bonnes », après cette visite.
Ceuta et Melilla sont les seuls territoires espagnols que le
roi Juan Carlos n’a pas encore visités depuis son accession
au trône en novembre 1975, soulignait jeudi le quotidien
conservateur ABC, citant des « sources officielles » pour
annoncer le voyage. Les liens entre les deux pays se sont,
de fait, nettement améliorés depuis l’incident de 2002
quand, sous le gouvernement de José Maria Aznar, le Maroc
avait envoyé une poignée de
soldats sur l’îlot disputé de Persil, et l’Espagne avait
dépêché des forces spéciales pour les en déloger. L’Espagne
s’est emparée de Melilla à la fin du XVe siècle et a succédé
au Portugal à Ceuta au XVIIe siècle.
De nombreux produits de contrebande pénètrent au Maroc par
les deux enclaves, fermées par de hautes barrières de fil
barbelé pour dissuader l’immigration clandestine.
Rania
Adel