Idendités.
Pour Mohamad Aboul-Ghar, les
juifs égyptiens portent une importante part de
responsabilité dans le douloureux divorce avec leur terre de
naissance.
Responsabilités partagées
Au
moment où il rédige cet ouvrage, Mohamad
Aboul-Ghar avait déjà lu la
version originale, en anglais, du livre de Joël
Benin dont nous présentons la
traduction ci-dessus. A l’inverse de La Diaspora des juifs
égyptiens, l’essai d’Aboul-Ghar
n’est pas œuvre de spécialiste — Aboul
Ghar étant plus connu pour ses
recherches dans le domaine de la gynécologie obstétrique que
pour ses écrits sociologiques, même s’il s’est fait
remarquer récemment par son engagement politique, et ses
prises de positions pour l’indépendance des institutions
universitaires par rapport au pouvoir. Cet ouvrage présente
néanmoins l’avantage d’être écrit du point de vue
idéologique qui est celui d’Aboul-Ghar,
à savoir le nationalisme arabe, et permet donc de se
familiariser avec les termes du débat tel qu’il se pose sur
la scène égyptienne.
Ecrivant donc de ce point de vue,
Aboul-Ghar construit néanmoins son ouvrage presque
comme une confrontation avec La Diaspora des juifs égyptiens
; tout au long de son argumentation, il fait ainsi
régulièrement appel aux idées et aux témoignages recueillis
par Benin, parfois pour
expliciter ses désaccords avec les conclusions de ce
dernier, le plus souvent pour en approuver la pertinence.
Aboul-Ghar
rejoint en effet Benin dans
l’essentiel de son argumentation. Les premières parties de
son ouvrage sont ainsi consacrées à dépeindre l’extrême
diversité de la communauté juive égyptienne, d’un point de
vue ethnique et religieux : juifs séfarades et juifs
ashkénazes, juifs rabbiniques et juifs caraïtes. Il insiste
sur le fait qu’il est « impossible de classifier les juifs
comme une seule et même entité », détaille les conflits
internes à la communauté juive égyptienne, veillant en
permanence à illustrer la pluralité de choix et de parcours
personnels dans cette communauté, tentant, à coup de phrases
à visée pédagogique, de casser les
généralisations qui ont souvent cours dans ce
domaine. Comme Benin, il
s’attache à rappeler la contribution des juifs à l’économie
et la culture égyptienne, cite, pêle-mêle, la participation
de Qitawi pacha à la fondation
de la Banque d’Egypte en 1920 avec
Talaat Harb, l’influence
de musiciens comme Daoud Hosni
ou Leïla Mourad sur la scène
artistique de l’époque. Enfin, il insiste, comme
Benin, sur la dissociation
nécessaire entre « juifs » et « sionistes », expliquant que
les mouvements sionistes étaient minoritaires dans l’Egypte
de l’époque, et que « l’émigration des juifs (…) n’était pas
fondamentalement liée au projet sioniste », la masse des
juifs égyptiens n’ayant pas quitté l’Egypte en 1948.
Aboul-Ghar,
cependant, ne partage pas avec Benin
l’affirmation qu’il lui prête selon laquelle « le sentiment
nationaliste politique égyptien aurait éloigné de la scène
politique les minorités étrangères et les juifs » (p.136).
Pour lui, au contraire, ce sont « les juifs et les minorités
étrangères qui ont eux-mêmes pris de la distance par rapport
au sentiment nationaliste général » (p.136). Les juifs,
poursuit-il, « n’ont pas exprimé en paroles et en actes leur
appartenance à l’Egypte dans les années trente et quarante
de la même manière qu’ils l’ont fait pendant la révolution
de 1919 » (p.137). C’est cette période qui marque le début
du malaise en Egypte qui conduira au départ de la très
grande majorité des juifs égyptiens, malgré les efforts d’un
Mohamad Naguib, sur lesquels
Aboul-Ghar s’attarde longuement.
Sur ce départ, Aboul-Ghar
rappelle les mêmes vérités que Benin,
citant des chiffres prouvant que la plupart des juifs
égyptiens — ceux qui en avaient les moyens — n’ont pas
choisi Israël comme nouveau lieu de résidence, et que la
détention de certains d’entre eux était dans la plus grande
partie des cas liée à leurs activités politiques,
communistes ou sionistes. Citant, en conclusion, une phrase
d’Ihssane
Abdel-Qoddous qui résume bien son parti pris : « Les
juifs se sont expulsés eux-mêmes. Les juifs d’Egypte n’ont
pas été enlevés. Ils ont fait un choix. Chaque être humain a
le droit de choisir sa patrie ».
Dina
Heshmat