Al-Ahram Hebdo, Livres | Mise au point sur un départ
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 Semaine du 7 au 13 novembre 2007, numéro 687

 

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Idendités. Récemment traduit en arabe, La Diaspora des juifs égyptiens, de Joël Benin, prend le contrepied des arguments sionistes et nationalistes arabes sur le sujet. Un ouvrage passionnant sur une question délicate, qui a soulevé un virulent débat.

Mise au point sur un départ

La question qui se pose souvent lorsque l’on parle des juifs égyptiens est celle des raisons de leur départ : pourquoi et quand ces hommes et ces femmes, qui avaient pour beaucoup des racines centenaires, voire millénaires dans ce pays, se sont retrouvés à le quitter ? C’est la question à laquelle tente de répondre cet ouvrage de Joël Benin.

Aujourd’hui responsable du Centre d’études du Moyen-Orient à l’Université américaine, Benin est surtout reconnu en Egypte pour sa contribution à l’analyse du mouvement ouvrier égyptien et sur la place des juifs égyptiens dans les courants marxistes de ce pays, ainsi que pour ses prises de position contre le sionisme, qui ont provoqué des attaques contre lui aux Etats-Unis, où il est régulièrement accusé de « haine de soi ». Juif américain, Benin était encore sioniste convaincu lorsqu’il s’est rendu pour la première fois en Egypte en 1969, pour apprendre l’arabe. C’est muni de ce parcours qu’il raconte en détail dans cet ouvrage qu’il s’est intéressé aux juifs égyptiens. Autant dire que La Diaspora des juifs égyptiens n’est pas seulement un ouvrage historique précis et documenté sur les événements qui ont marqué l’histoire moderne et contemporaine, mais aussi un acompte des réflexions personnelles de Benin sur l’identité juive en général et l’identité juive arabe en particulier, dont il ne réussit à rendre toute la complexité que grâce aux interférences de cette histoire avec la sienne propre, qui donnent à ce livre sa richesse et sa puissance émotionnelle.

Les faits cités et analysés par Benin contribuent à battre en brèche les idées reçues véhiculées par le discours sioniste sur les juifs égyptiens. Il aligne ainsi des chiffres et des témoignages prouvant le caractère fabriqué de ce discours, selon lequel tous les juifs égyptiens étaient sionistes, et étaient prêts à quitter l’Egypte pour Israël avant et après 1948. Il prouve que la majorité des juifs égyptiens n’ont pas quitté leur pays après 1948, que ceux qui l’ont quitté n’ont pas forcément choisi Israël comme destination. Et, enfin, il explique que si les juifs ont été confrontés à des tracasseries réelles — allant des campagnes de boycott des magasins juifs égyptiens dès la fin des années trente, orchestrées par les Frères musulmans en écho à la grande grève de Palestine, alors même que nombre de juifs égyptiens se considéraient comme partie prenante de la nation égyptienne, aux manifestations d’hostilité de plus en plus fréquentes à l’encontre des juifs au lendemain de la guerre de 1948, aux difficultés à renouveler les papiers d’identité pour des citoyens égyptiens depuis des générations, jusqu’à la demande faite à la famille de Nadia Yaacoub Saleh, membre de l’équipe nationale de ballet aquatique, de s’abstenir de fréquenter le « club Héliopolis », en 1962 —, « rien, dans l’histoire juive arabe du Moyen-âge, ne peut être comparé de manière sérieuse à l’expulsion des juifs d’Espagne », ni dans l’histoire moderne et contemporaine aux pogroms et à l’oppression subie par les juifs tout au long du vingtième siècle en Europe.

 

Imbrication de facteurs

La situation inconfortable des juifs égyptiens est, d’après Benin, due à l’imbrication de plusieurs facteurs, parmi lesquels le conflit arabo-israélien, dont l’affaire Suzana, au cours de laquelle quatre juifs égyptiens ont été reconnus coupables « d’actes de sabotage » pour le compte d’Israël et condamnés à mort, a été l’un des points forts. Benin refuse cependant d’imputer au seul sionisme la responsabilité du départ des juifs égyptiens. Il invoque d’une part la contradiction entre « le slogan laïc de la révolution de 1919 — la religion est à Dieu et la patrie à tous », et la pérennité du système confessionnel hérité de l’Empire ottoman. Benin impute, par ailleurs, selon la formulation de l’historien Khaled Fahmi dans sa préface à l’ouvrage, aux « dirigeants (de la révolution de 1952) la responsabilité du départ de la plupart des juifs égyptiens, le dépouillement de leur nationalité et de leurs propriétés ». Cette affirmation correspond au cadre d’analyse généralE de Benin, qui place, de façon parfois abusive, « le sionisme et la pensée nationaliste (arabe) » sur un plan d’égalité quant à leurs responsabilités historiques dans « l’oppression » des juifs égyptiens.

Cette imbrication de facteurs, qui a déterminé la place des juifs égyptiens en Egypte, puis leur départ, a continué à façonner leur insertion dans les sociétés où ils se sont installés après leur départ. Benin choisit ainsi des communautés de juifs égyptiens dans trois pays (membres d’un kiboutz en Israël, communistes en France, juifs caraïtes dans la baie de San Francisco aux Etats-Unis), et relate leurs témoignages sur leur arrivée, leur confrontation avec la nouvelle société, leur désarroi pour se reconstruire une nouvelle identité. En racontant simplement les interactions entre des juifs égyptiens exilés et un juif américain maîtrisant parfaitement l’arabe, en détaillant des détails aussi triviaux que l’attachement à la langue arabe, à la musique égyptienne, en notant l’insistance à lire la presse égyptienne, Benin met ces remarques au service de son interrogation principale sur les constructions identitaires des juifs égyptiens. C’est également avec ce même souci qu’il analyse les écrits littéraires de juifs égyptiens installés en Israël, où il décortique leurs « souvenances » complexes, mêlant la nostalgie d’une communion idéale avec les Egyptiens non-juifs, musulmans ou chrétiens, à un sentiment, pour certains, de « non appartenance » à la société égyptienne. Il décrit également l’incidence de la signature de l’accord de Camp David en 1979 sur la place des juifs égyptiens dans la société israélienne, date après laquelle ils ont revendiqué plus ouvertement leur identité égyptienne.

Des développements passionnants, auxquels la presse a accordé peu d’importance, préférant s’en tenir à des polémiques stériles sur les appartenances idéologiques des uns et des autres.

Dina Heshmat

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Joël Benin,

La Diaspora des juifs égyptiens,

aspects culturels et politiques de la formation

d’une diaspora contemporaine

(Chatat al-yahoud al-misriyine,

al-jawanib al-thaqafiya wal siyasiya li-takwin chatat hadith),

traduction de Mohamad Chakir,

Al-Chourouq, 2007.

 

 




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