Secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la
Francophonie, Jean-Marie Bockel
était cette semaine en Egypte. Il évoque la nouvelle
politique de coopération de la France et sa vision pour
promouvoir la francophonie.
« L’Union méditerranéenne fait son chemin »
Al-Ahram
Hebdo : Vous avez représenté la France à la conférence
ministérielle co-organisée par l’Egypte et la Commission
européenne, jeudi dernier à Charm Al-Cheikh, sur la
coopération régionale en matière énergétique entre l’Union
européenne, l’Afrique et le Moyen-Orient. Comment
évaluez-vous les résultats de cette conférence ?
Jean-Marie Bockel :
Je ne peux pas faire d’évaluation de la conférence parce que
c’est une conférence qui a été organisée par les Egyptiens.
Eux seuls peuvent en faire le bilan. Pour ma part, le
message que j’ai voulu transmettre lors de cette occasion
est que la France est favorable à l’engagement de l’Egypte,
annoncé quelques jours plus tôt par le président Moubarak,
sur la voie du nucléaire civil. D’autant que cet engagement
se fait de manière exemplaire, dans le respect des
conventions internationales et des traités de
non-prolifération nucléaire. La position du président
Nicolas Sarkozy est que le monde arabe a droit au nucléaire
civil. Et il n’y a pas de raison de s’y opposer. Nous
pensons surtout qu’au vu des enjeux climatiques, des
nécessités d’économie d’énergie, le nucléaire, à côté des
énergies renouvelables, reste indispensable. Surtout que du
point de vue des gaz à effet de serre, le nucléaire est une
énergie tout à fait propre. Cette énergie doit pouvoir se
développer et la manière dont l’Egypte, et le monde arabe,
s’engagent dans cette démarche est exemplaire.
— La France serait-elle disposée à apporter son aide et son
savoir-faire au lancement du programme nucléaire égyptien ?
— La France est prête, si on le lui demande, à mettre à
disposition de l’Egypte des experts en matière de production
d’énergie nucléaire.
— Le président Nicolas Sarkozy a prôné la rupture avec la
politique traditionnelle de coopération française avec
l’Afrique, dite de la « Françafrique » désignant des réseaux
d’influence occultes. Qu’en dites-vous ?
— Si l’on se réfère à la feuille de route du président
Sarkozy, on se rend compte qu’on a un objectif clair de
sortir de la Françafrique de papa d’autrefois. Bien sûr,
cela ne veut pas dire que nous ne respectons pas un certain
nombre de réalités. C’est normal que nous soutenons les amis
de la France, surtout lorsqu’il s’agit pour certains d’entre
eux de chefs d’Etat très anciens. C’est normal que nous
ayons également le souci des intérêts de notre pays. Ceci
dit, la politique de coopération doit évoluer, prendre en
compte davantage l’efficacité et l’efficience des démarches
de coopération, dans le respect d’un certain nombre de
principes, qui sont la lutte contre la corruption, la bonne
gouvernance et la démocratie, mais aussi la compatibilité
avec le développement soutenable de la planète. Mais
surtout, en fin de compte, il faut observer les principes
d’efficacité de l’aide dans la durée. Cela suppose que nous
fassions des choix, améliorions nos outils — comme par
exemple le renforcement de l’Agence française de
développement —, faire le choix d’être plus présent dans
certains pays qui sont prêts à aller plus loin avec nous,
sans abandonner naturellement les autres. Sortons sans
drame, sans démarche brutale, mais de manière claire d’une
certaine conception de la relation avec l’Afrique.
— Quel bilan faites-vous du rôle politique de l’Organisation
Internationale de la Francophonie (OIF) ?
— L’OIF sait qu’elle doit encore se réformer, s’adapter aux
enjeux d’aujourd’hui, améliorer son fonctionnement. Son
secrétaire général, Abdou Diouf, en est le premier
conscient, car nous sommes tous partisans d’une francophonie
vivante, ouverte à des pays non francophones, et à des
discussions avec des pays lusophones, arabophones et
hispanophones. Défendre cette diversité culturelle est aussi
la meilleure réponse contre le prétendu choc des
civilisations.
La francophonie aujourd’hui, à travers toutes les alliances
qu’elle peut développer, veut aussi dire faire face aux
enjeux politiques qui vont au-delà du sol français.
D’ailleurs, lors de la prochaine conférence ministérielle de
la Francophonie, qui se tiendra à Vientiane (Laos) le 20
novembre, et du sommet des chefs d’Etat au Québec en octobre
2008, nous discuterons des thèmes comme la préservation du
climat, et non pas simplement la question du français si
importante soit-elle.
Donc, la francophonie doit être ouverte et permettre le
rayonnement culturel de la France mais aussi des pays
francophones, de leurs écrivains, artistes et musiciens.
Elle doit, ce faisant, permettre de partager ses valeurs de
diversité culturelle et donner plus prosaïquement l’envie du
français. On a de plus en plus d’apprenants du français un
peu partout dans le monde. On a un réseau de 850 000
professeurs de français. Tout cela est très important.
J’entends m’impliquer fortement de manière adaptée au monde
d’aujourd’hui, et non pas seulement de manière défensive,
dans cette mission de la francophonie. Et je sais que je
pourrais pour cela compter sur nos amis d’Egypte, où la
francophonie est toute particulière, certes minoritaire,
mais extrêmement engagée.
— Vous avez évoqué l’ouverture de la francophonie à des pays
qui ne sont pas francophones. Où vous situez-vous dans le
débat au sein de l’OIF entre les partisans d’un
élargissement de l’organisation à des pays qui ne sont que
partiellement francophones et ceux préférant
l’approfondissement de la francophonie dans les pays
traditionnellement francophones ?
— Je suis d’accord qu’il faut approfondir. Je comprends tout
à fait qu’on élargit dans l’idée d’une sorte de club où des
gens ont eu une tradition francophone ou souhaitent donner
plus de place au français, comme c’est le cas même de
certains pays de tradition lusophone. Mais ce club doit être
large. Donc, c’est bien qu’on ait des pays à peine
francophones dans ce club, avec des statuts divers. Mais
l’important aujourd’hui c’est d’approfondir la francophonie
et de profiter de ce réseau pour mettre en œuvre les
priorités que je viens d’évoquer. De toute façon,
l’élargissement de l’OIF est largement fait. Les quelques
candidats encore à adhérer au club sont des pays qui sont
très francophones. Maintenant, il faut approfondir.
— Pensez-vous que la francophonie a vocation à jouer un rôle
économique ?
— La francophonie a déjà un club de chefs d’entreprises
francophones. A partir du moment où l’on parle la même
langue, même si tout le monde se doit de parler l’anglais
— c’est une réalité d’aujourd’hui —, cela crée un climat,
une ambiance et une manière de voir les choses qui peuvent
faciliter et facilitent assurément la conclusion des
affaires.
— Que pensez-vous des accusations portées par certains pays
africains selon lesquelles la Francophonie est un moyen pour
la France de s’ingérer dans leurs affaires intérieures ?
— Ce n’est pas du tout le cas. On n’est plus du tout dans
cet état d’esprit. Les mêmes pays qui font ce genre de
reproches sont parfois les premiers à exprimer des
sollicitations ou des attentes qui rappellent plus le passé
que l’avenir. Donc, c’est un mauvais procès, peu crédible.
— Quels sont, dans votre programme, les outils d’action
prioritaires pour la promotion de la francophonie ?
— Nous allons mettre l’accent sur les moyens, qui ne sont
pas forcément extensibles à l’infini, d’apprentissage du
français partout où c’est possible, même dans les pays
anglophones et lusophones. On forme ainsi des professeurs de
français, comme en Namibie par exemple. Ce sont de petits
effets insoupçonnables, mais qui sont très importants. Nous
avons aussi l’intention de préserver et de conforter le
rayonnement culturel dans tous nos centres, instituts et
Alliances françaises. Qui dit rayonnement culturel, même
dans la langue du pays, dit tête de pont pour la
francophonie.
— Que répondez-vous à certaines critiques francophones
accusant la France d’égocentrisme ?
— Peut-être cela existe. Il y a eu peut-être à une certaine
époque une certaine arrogance française. Mais cette époque
est largement révolue. Je pense qu’aujourd’hui la France
concilie de plus en plus ses intérêts. Tout le monde défend
ses intérêts. On attend de nous une coopération sincère qui
n’est pas simplement une démarche de co-développement pour
endiguer l’émigration, mais qui est aussi une démarche avec
d’autres pays européens, et même au-delà. Quand vous voyez
que la France est le deuxième pays dans le monde, en termes
d’engagements financiers, dans la lutte contre le Sida et
les pandémies, on ne pourra pas dire que c’est de
l’égocentrisme. Cela concerne des sujets très importants
faisant partie des objectifs du Millénaire. Nous le faisons
sans arrogance et en partenariat avec d’autres. Donc,
intérêts de la France, oui. Egocentrisme, non.
— Où en est-on de l’idée lancée par le président Sarkozy de
créer une Union méditerranéenne ?
— C’est un projet qui avance bien, qui est très bien reçu,
qui a un réel impact extrêmement positif et qui correspond à
la réalité géopolitique d’aujourd’hui. Je pense que c’est
une idée qui fait son chemin.
— Ne pensez-vous pas que l’Espagne voit d’un mauvais œil
l’idée de remplacer le Processus de Barcelone par l’Union
méditerranéenne ?
— Non, sincèrement je ne le crois pas. Je ne pense pas qu’il
y aura des problèmes du côté des pays européens. Le
président Sarkozy a pris son bâton de pèlerin et a été assez
convaincant.
— Et la réaction des pays du sud de la Méditerranée ?
— Les réactions sont très positives. C’est la bonne idée au
bon moment. D’ailleurs, le président Moubarak a été l’un des
premiers chefs d’Etat à avoir réagi de manière positive à
cette initiative. Il y a même des pays africains qui
aimeraient ne pas être exclus de cette démarche et de
pouvoir se connecter avec une démarche subsaharienne .
Propos recueillis par Hicham Mourad