Cinéma.
Le thriller Ahlam
haqiqiya (des rêves réels) de
Mohamad Gomaa, son premier long
métrage, réhabilite la mémoire des productions classiques de
science-fiction, dans un cadre spatio-temporel bien actuel.
Hors des sentiers battus
On
le sait, produire ou même parodier des films de
science-fiction n’est pas chose courante chez les cinéastes
égyptiens. Ahlam
haqiqiya (des rêves réels),
plutôt inventif et qui va au bout de ses idées, ne passe pas
donc inaperçu dans les salles. Sans vouloir divulguer la
trame, le film suit la vie d’une jeune mère de famille —
Hanane Tork
— qui perd la boussole après avoir remarqué que presque tous
ses rêves, assez violents, deviennent réalité. Ce qui va lui
coûter cher.
Monde chimérique et secrets psychologiques : apparemment,
rien de nouveau sous le soleil ! Mais l’évolution
psychologique des protagonistes est manifeste sans être
jamais trop prévisible, à travers un scénario qui ne manque
pas d’intelligence, et moins flou que ce que certains
critiques en ont pensé. C’est son premier film, il n’empêche
que le réalisateur Mohamad Gomaa
affiche des méthodes qui le distinguent des conventions
commerciales du cinéma d’aujourd’hui. Son style s’avère
réaliste, mais fictif : nombre de séquences sont filmées
avec une caméra mobile ; le cadrage est serré et les
mouvements parfois frénétiques. Il en résulte des scènes
d’action et de suspense authentiques, sans perdre
l’apparence lisse et prévisible de celles trouvées dans les
films d’horreur. Avec un scénario signé Mohamad
Diab, le réalisateur déploie des
effets spéciaux peu nombreux, mais convaincants. Le film a
en fait beaucoup plus en commun avec les classiques du
cinéma européen macabre des années 1930 et 40 qu’avec la
vague de films de science-fiction actuelle. Cela donne une
identité particulière à l’œuvre. Tout en adoptant un style
qui a fait ses preuves, Gomaa se
permet plusieurs décisions innovatrices et audacieuses. Le
jeune cinéaste applique ses connaissances avec justesse,
alliant une certaine rigueur d’écriture à une mise en image
sans débordement, et réussit le
pari presque improbable aujourd’hui de maintenir le
spectateur attentif.
Visuellement, son film a de la classe et un souci du détail
que l’on retrouve trop rarement dans le cinéma actuel. Du
côté de l’histoire, rien de décevant, mais rien
d’hallucinant non plus. Sans relâche ni apitoiement, on
observe l’évolution de la
protagoniste, qui cherche à remettre les pendules à l’heure
dans sa vie et surtout dans sa relation familiale avec son
mari et sa petite fille.
Des points négatifs ? Quelques-uns, certes. Le récit manque
parfois de profondeur. Le revirement final, très tiré par
les cheveux, déçoit. L’idée est pourtant géniale, mais c’est
dans l’exécution que l’ensemble n’est pas tout à fait
réussi.
Droit au but
Toutefois, bien que le silence soit l’élément-clé
du suspense de certaines scènes du film, la bande-son
composée par Tamer
Karawane se fait remarquer. Dans
le générique initial, l’exploitation de la bande-son est
exemplaire. Celle-ci concorde parfaitement avec l’esprit
organisateur et l’évolution du récit. De même, le rythme du
film, lent mais non soporifique, passant de moments calmes à
des scènes d’épouvante, fait oublier de porter attention aux
détails qui pourraient augurer la fin. La photographie
invite à la contemplation. L’atmosphère et la trame sonore
sont douces et s’harmonisent avec la lenteur et la
simplicité du récit. La réalisation, sans fioritures,
privilégiant et le fond et la forme, va droit au but. Les
acteurs offrent de bonnes prestations. De plus, le scénario
réserve quelques surprises. Le tout forme un thriller
acceptable.
Les personnages sont peu nombreux, mais chacun apporte sa
contribution à l’histoire. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est
qu’il n’y a pas vraiment de vedette dans le film. Tous les
personnages sont importants jusqu’à ce qu’ils se fassent
éliminer par les exigences du récit. Ainsi le cinéaste
suit-il ses personnages avec intérêt, nous décrit leurs
relations personnelles et intimes de façon particulièrement
efficace ; ainsi les traits de caractère des différents
protagonistes apparaissent-ils vite et clairement, et il axe
principalement le récit autour du point de vue de son
héroïne qui agit souvent en observatrice.
S’ajoute aux qualités du film l’interprétation.
Hanane Tork,
dans la peau d’un personnage complexe et marginal, offre une
prestation à la hauteur de sa réputation. Pour la seconder,
le producteur a choisi une brochette d’acteurs très
talentueux. Dans le rôle de son mari, Khaled Saleh offre une
belle performance, alternant sur les multiples facettes du
personnage. Fathi
Abdel-Wahab, acteur connu par
son assiduité, a une belle présence à l’écran et excelle à
jouer le policier qui ne peut pas séparer le personnel du
professionnel. Quant à Dalia
Al-Béheiri, elle incarne l’amie
proche de l’héroïne avec un excellent dosage de quiétude et
d’émotion. Et feu la comédienne Magda
Al-Khatib a opté pour une
prestation plutôt soutenue, celle d’une psychologue trop
emphatique qui ne monte jamais le ton.
Le film allie le mieux horreur et action. Bondé d’invention,
d’action et de mystère, même s’il n’est pas un chef-d’œuvre,
il est sans aucun doute l’une des meilleures productions de
l’année.
Yasser
Moheb