Musique.
L’institut Goethe a organisé quatre soirées de chants et de
poésies, lancées dans ses locaux à Doqqi. Le hip-hop de
Sahira et les poèmes Slam de Abdollahi et Masomi révèlent
les contours de l’identité d’immigrés musulmans.
Au rythme des mots
Voilées
et modernes ? Hip-hop et islam ? A-t-on l’air de vouloir
allier l’inconciliable ? C’est peut-être le pari que tient
Sahira, la célèbre chanteuse berlinoise de hip-hop, aux yeux
de tous ces jeunes rassemblés dans le jardin de l’institut
Goethe, à Doqqi. Cette fille d’immigrés palestiniens,
portant fièrement le hijab depuis 2003, n’ayant que 27 ans,
est en quelque sorte le symbole d’une scène émergente de
hip-hop musulman, faisant tache d’huile en Allemagne, en
Europe et aux Etats-Unis d’Amérique. Fille-mère, Sahira
chante ses origines et ses croyances dans une voix
ravissante et digne. Elle exprime les pensées de ces autres
enfants de l’immigration pour s’étendre encore à d’autres
jeunes musulmans du monde, affichant la modernité et se
retrouvant dans ses idées. Eux aussi sont pris entre deux
mondes. En fin de soirée, après avoir fredonné quelques
paroles rythmées, on l’entoure pour savoir comment peut-on
télécharger ses chansons. C’est tout à fait le genre du
public du hip-hop musulman bien répandu à travers la toile.
Une femme en noir, portant le niqab (tchador) de la tête au
pied, se dit disposée à lui prêter conseil sur le tournage
de clips, proclamant avoir une belle expérience dans le
domaine de la mise en scène. Cette dernière explique avoir
passé elle aussi une partie de son enfance en Grande
Bretagne !
C’est au lendemain du fameux 11 septembre 2001 que Sahira
s’est penchée sur le Coran pour mieux comprendre sa religion
assez mal vue et interprétée dans les médias. Après
plusieurs lectures, elle décide de se voiler et joue le rôle
d’intermédiaire entre l’islam et la culture pop. « Je suis
un iceberg qui a commencé à fondre … », « Laisse la table
entre nous, avant que ce ne soit trop tard et que l’on fasse
comme les amoureux, partout … Machaallah ... Sobhanallah …
», « Comme un jour de chaleur torride où l’on a fait le
Ramadan, ensuite on s‘est réjoui après avoir rompu le jeûne
… ». Les paroles de Sahira se succèdent, décrivant sans
honte le rapport entre homme et femme et leurs virevoltes à
répétition. Les yeux encerclés de khôl, un petit fichu sur
la tête, elle se proclame pleinement allemande et musulmane.
Et a en commun avec d’autres rappeurs comme Ammar l’Ethiopien
de Frankfort ou Naïm Mohamad du groupe américain Native Deen,
dont on trouve les propos sur le net, qu’ils cherchent tous
à servir de modèles à leurs semblables.
La
première partie de la soirée a été d’ailleurs consacrée à un
art très proche de celui de Sahira, s’y alliant parfois.
C’est la poésie Slam, lancée par le maçon et poète américain
Marc Smith, en 1986 à Chicago. Là aussi l’on est porté par
la marque de ses origines et l’on affiche ostensiblement son
identité. « Permettez-moi de commencer par Bissemellah, au
nom de Dieu le Miséricordieux », lance l’Iranien de
Hambourg, Michel Abdollahi, en se précipitant sur scène. Les
poèmes pas forcément rythmés se donnent en performance,
revêtant la forme d’une compétition entre jeunes poètes.
Ceux-ci se présentent plutôt comme des artistes de la parole
(Local Spoken Word Artists) et évoquent leurs positions non
sans ironie, pendant trois minutes environ. Son collègue
d’origine afghane, Sulaiman Masomi, lit un texte satirique
sur l’oubli. C’est la vie quotidienne qui intéresse surtout
ces jeunes gens, refusant que le champ poétique et
artistique soit l’apanage d’une cohorte de privilégiés.
L’audience doit prendre part à la compétition et sélectionne
son poète, comme l’expliquent Abdollahi et Masomi, ayant
continué la soirée en tant qu’animateurs. Ils ont demandé à
cinq personnes parmi l’assistance d’agir en tant que membres
du jury, évaluant la performance de chacun des candidats en
lui accordant une note de 1 à 10. Ensuite, l’on a procédé
par élimination jusqu’au choix du poète de la soirée : Adel.
Celui-ci a été acclamé par le public pour avoir récité des
poèmes satiriques en dialectal sur le chômage, le rapport
soldat-étudiant, le régime, etc. « Ils sont excellents, je
les suivrai là où ils vont, à Saqiet Al-Sawi, partout ! »,
s’exclame un vieil Egyptien germanophone, tambourinant
contre la table pour exprimer son approbation, à la demande
des animateurs. « Des poèmes, une estrade et vous ! Ce n’est
pas trop compliqué. Vous n’avez pas besoin de nous pour le
faire ! », a indiqué Abdollahi, qui d’habitude imprègne ses
paroles d’influence persane et présente depuis 2005 un
programme Slam intitulé Battle of the Arts (bataille des
arts). Il s’adresse à un public tout à fait pris par le jeu,
même si la performance n’use pas de musique, chorégraphie ou
costumes comme c’est le cas parfois. Son aspect participatif
n’a pas manqué d’attirer les gens y trouvant peut-être une «
démocratisation des vers » qui nous vient d’ailleurs.
Dalia
Chams