Al-Ahram Hebdo, Afrique | Mogadiscio tiraillée
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 7 au 13 novembre 2007, numéro 687

 

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Afrique

Somalie. Le gouvernement de transition se débat dans une crise multiforme : démission du premier ministre, combats quasi quotidiens avec les insurgés, situation humanitaire catastrophique.

Mogadiscio tiraillée

Civils en fuite, combats, manifestations : la capitale somalienne Mogadiscio vit des heures sombres après la recrudescence des affrontements entre forces gouvernementales et insurgés islamistes, provoquant la fuite de dizaines de milliers de civils.

Face à la détérioration de la situation, l’armée éthiopienne, qui soutient le gouvernement de transition, a déployé d’importants renforts dans la capitale somalienne, un jour après l’exhibition publique des cadavres de trois de ses soldats par les insurgés qui ont ciblé une patrouille somalienne, une attaque qui a coûté la vie à un civil. Ainsi, plusieurs dizaines de camions de transport de troupes et d’au moins six blindés de l’armée éthiopienne, cible des attaques quasi quotidiennes des insurgés islamistes, sont arrivés à Mogadiscio pour prêter main forte aux troupes gouvernementales.

Ce déploiement éthiopien a provoqué l’ire du clan Hawiye, le plus important dans Mogadiscio. « Nous faisons part de notre préoccupation face au déploiement massif des troupes éthiopiennes dans Mogadiscio et nous appelons la communauté internationale à l’interrompre, faute de quoi ce sera désastreux », ont précisé samedi des responsables du clan. « Des troupes supplémentaires n’apporteront pas la paix mais ne feront qu’attiser le feu », ont-ils ajouté dans un communiqué diffusé à Mogadiscio.

Fin décembre 2006-début janvier 2007, les troupes éthiopiennes étaient venues en aide aux forces du gouvernement de transition somalien, lui permettant de mettre en déroute les Tribunaux islamiques qui contrôlaient depuis plusieurs mois la majorité du centre et du sud de la Somalie, dont Mogadiscio. Depuis, les insurgés, parmi lesquels des miliciens islamistes, mènent des attaques quasi quotidiennes de type guérilla dans la capitale, prenant notamment pour cible les troupes éthiopiennes. La semaine dernière, de violents combats avaient opposé insurgés et forces somaliennes et éthiopiennes dans la capitale, provoquant des dizaines de morts et la fuite de près de 90 000 personnes qui se sont réfugiées dans des quartiers plus sûrs de la ville ou se sont installées sur la route entre Mogadiscio et la localité d’Afgoye, à environ 30 km à l’ouest de la capitale. « On voit dans les rues des manifestations spontanées de gens qui réclament une aide de la communauté internationale et qui se demandent combien de temps encore on laissera Mogadiscio sombrer dans l’abîme », a déclaré un employé sur place du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR).

Lorsque les forces du gouvernement somalien de transition et leurs alliés éthiopiens ont lancé cette année deux offensives contre les repaires des islamistes dans la capitale, les combats ont tué des centaines de civils et contraint 450 000 personnes à quitter la ville, où la plupart ne sont pas revenues, selon les Nations-Unies. « Depuis le début de l’année, les combats ont forcé environ 450 000 personnes à partir de chez elles, ce qui porte à plus de 800 000 le nombre de personnes déplacées actuellement en Somalie », a déclaré le coordinateur de l’Onu sur place. Cet exode est le plus grave depuis la guerre qui a amené la chute du dictateur Mohamed Siad Barri en 1991.

La Somalie, pays pauvre de la Corne de l’Afrique, est en guerre civile depuis 1991 et fait face à une crise humanitaire grave depuis plusieurs mois. Depuis la chute des Tribunaux islamiques, une insurrection dirigée par la mouvance islamiste mène régulièrement des opérations de guérilla, en particulier à Mogadiscio, visant des objectifs gouvernementaux ou des soldats éthiopiens. Mais les victimes de ces attaques sont essentiellement civiles.

Selon l’organisation humanitaire Action Contre la Faim (ACF), les derniers combats aggravent la situation humanitaire, en particulier dans Mogadiscio et ses environs, « alors que de nombreux indicateurs de malnutrition et de déplacements de populations étaient déjà alarmants ». La violence des combats limite, selon l’organisation humanitaire, l’accès au peu de services vitaux disponibles dans la capitale, comme les centres médicaux ou nutritionnels d’ACF et les « travailleurs humanitaires eux-mêmes accèdent de plus en plus difficilement aux plus vulnérables, à cause de cette insécurité ». Selon ACF, 25 % des enfants sévèrement mal-nourris pris en charge dans ces centres de nutrition thérapeutique, et leurs familles, ont dû quitter le centre à cause des combats qui faisaient rage aux alentours ces derniers jours.

ACF mène des programmes d’urgence dans Mogadiscio depuis 1992. Ces programmes bénéficient directement à 5 000 personnes par mois et indirectement à 50 000 personnes à travers des programmes de chloration de l’eau. Quarante organisations humanitaires nationales et internationales travaillant en Somalie ont affirmé ne pas pouvoir répondre « efficacement » à la « catastrophe humanitaire en cours », à cause de la détérioration de leurs conditions de travail. Selon les Nations-Unies, 1,5 million de personnes ont besoin d’aide humanitaire en Somalie, qui compte une population d’environ 10 millions d’habitants.

 

Crise gouvernementale

Cette crise humanitaire se double d’une crise gouvernementale aggravant l’impasse politique, sécuritaire et humanitaire de ce pays en guerre civile depuis 16 ans. Le président somalien Abdullahi Ahmed Yusuf cherche désespérément un consensus sur le nom d’un nouveau premier ministre, en remplacement de Ali Mohamed Gedi, chef du gouvernement depuis 2004, qui a démissionné la semaine dernière à l’issue d’une épreuve de force avec le président. Ce dernier consultait parlementaires et chefs de clans en vue de la nomination d’un nouveau premier ministre, d’ores et déjà rejeté par l’opposition, emmenée par les islamistes, qui accuse le gouvernement d’être à la solde du voisin éthiopien. « Il n’y aura pas de changement politique tant que l’Ethiopie imposera le gouvernement de Somalie. S’ils ont renvoyé (Ali Mohamed) Gedi, c’est parce qu’ils cherchent quelqu’un de pire que lui », a déclaré le chef de l’opposition somalienne, cheikh Sharif Cheikh Ahmed. « Nous continuerons à libérer le peuple somalien de la dure conduite (des affaires) de Yusuf, qui leur a été imposée. Nous n’avons rien à faire avec ce gouvernement, qu’il soit remanié ou pas. Il ne représente pas le peuple somalien », a ajouté le chef de l’Alliance pour une nouvelle libération de la Somalie (ARS) et ancien numéro 2 des Tribunaux islamiques. L’ARS avait été formée en septembre à Asmara (Erythrée) lors d’une conférence qui s’était achevée par la nomination à sa tête de cheikh Sharif Cheikh Ahmed et par un appel à l’insurrection contre l’armée éthiopienne.

Le départ de M. Gedi, qui appartient au clan des Hawiye, le plus important dans Mogadiscio, a été accueilli par un calme précaire dans la capitale somalienne. Les Hawiye contrôlent Mogadiscio depuis leur victoire en janvier 1991 contre le président de l’époque, Mohamed Siad Barre, qui appartenait au grand clan rival des Darod, dont est également issu M. Yusuf.

Les vives tensions existant depuis plusieurs semaines entre MM. Yusuf et Gedi avaient paralysé le fonctionnement du gouvernement, M. Yusuf accusant son premier ministre de ne pas assumer ses responsabilités et de ne pas avoir mis fin aux violences à Mogadiscio. Mais la crise semble avoir une autre dimension. Un proche du premier ministre, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, a dénoncé « un système où il n’y a plus de règles institutionnelles ». « On va maintenant vers un Etat prébendier, avec une famille prédatrice », a-t-il ajouté en faisant référence au clan du président.

Tout dépend à présent de qui M. Yusuf peut désigner à la place de Gedi pour tenter de rendre son gouvernement acceptable par les Hawiye à Mogadiscio. Quoiqu’il en soit, il est difficile de savoir si Yusuf a les coudées franches sur la nomination tant il dépend des Ethiopiens.

Hicham Mourad

 




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