Somalie.
Le gouvernement de transition se débat dans une crise
multiforme : démission du premier ministre, combats quasi
quotidiens avec les insurgés, situation humanitaire
catastrophique.
Mogadiscio tiraillée
Civils
en fuite, combats, manifestations : la capitale somalienne
Mogadiscio vit des heures sombres après la recrudescence des
affrontements entre forces gouvernementales et insurgés
islamistes, provoquant la fuite de dizaines de milliers de
civils.
Face à la détérioration de la situation, l’armée
éthiopienne, qui soutient le gouvernement de transition, a
déployé d’importants renforts dans la capitale somalienne,
un jour après l’exhibition publique des cadavres de trois de
ses soldats par les insurgés qui ont ciblé une patrouille
somalienne, une attaque qui a coûté la vie à un civil.
Ainsi, plusieurs dizaines de camions de transport de troupes
et d’au moins six blindés de l’armée éthiopienne, cible des
attaques quasi quotidiennes des insurgés islamistes, sont
arrivés à Mogadiscio pour prêter main forte aux troupes
gouvernementales.
Ce déploiement éthiopien a provoqué l’ire du clan Hawiye, le
plus important dans Mogadiscio. « Nous faisons part de notre
préoccupation face au déploiement massif des troupes
éthiopiennes dans Mogadiscio et nous appelons la communauté
internationale à l’interrompre, faute de quoi ce sera
désastreux », ont précisé samedi des responsables du clan. «
Des troupes supplémentaires n’apporteront pas la paix mais
ne feront qu’attiser le feu », ont-ils ajouté dans un
communiqué diffusé à Mogadiscio.
Fin décembre 2006-début janvier 2007, les troupes
éthiopiennes étaient venues en aide aux forces du
gouvernement de transition somalien, lui permettant de
mettre en déroute les Tribunaux islamiques qui contrôlaient
depuis plusieurs mois la majorité du centre et du sud de la
Somalie, dont Mogadiscio. Depuis, les insurgés, parmi
lesquels des miliciens islamistes, mènent des attaques quasi
quotidiennes de type guérilla dans la capitale, prenant
notamment pour cible les troupes éthiopiennes. La semaine
dernière, de violents combats avaient opposé insurgés et
forces somaliennes et éthiopiennes dans la capitale,
provoquant des dizaines de morts et la fuite de près de 90
000 personnes qui se sont réfugiées dans des quartiers plus
sûrs de la ville ou se sont installées sur la route entre
Mogadiscio et la localité d’Afgoye, à environ 30 km à
l’ouest de la capitale. « On voit dans les rues des
manifestations spontanées de gens qui réclament une aide de
la communauté internationale et qui se demandent combien de
temps encore on laissera Mogadiscio sombrer dans l’abîme »,
a déclaré un employé sur place du Haut Commissariat des
Nations-Unies pour les réfugiés (HCR).
Lorsque les forces du gouvernement somalien de transition et
leurs alliés éthiopiens ont lancé cette année deux
offensives contre les repaires des islamistes dans la
capitale, les combats ont tué des centaines de civils et
contraint 450 000 personnes à quitter la ville, où la
plupart ne sont pas revenues, selon les Nations-Unies. «
Depuis le début de l’année, les combats ont forcé environ
450 000 personnes à partir de chez elles, ce qui porte à
plus de 800 000 le nombre de personnes déplacées
actuellement en Somalie », a déclaré le coordinateur de
l’Onu sur place. Cet exode est le plus grave depuis la
guerre qui a amené la chute du dictateur Mohamed Siad Barri
en 1991.
La Somalie, pays pauvre de la Corne de l’Afrique, est en
guerre civile depuis 1991 et fait face à une crise
humanitaire grave depuis plusieurs mois. Depuis la chute des
Tribunaux islamiques, une insurrection dirigée par la
mouvance islamiste mène régulièrement des opérations de
guérilla, en particulier à Mogadiscio, visant des objectifs
gouvernementaux ou des soldats éthiopiens. Mais les victimes
de ces attaques sont essentiellement civiles.
Selon l’organisation humanitaire Action Contre la Faim
(ACF), les derniers combats aggravent la situation
humanitaire, en particulier dans Mogadiscio et ses environs,
« alors que de nombreux indicateurs de malnutrition et de
déplacements de populations étaient déjà alarmants ». La
violence des combats limite, selon l’organisation
humanitaire, l’accès au peu de services vitaux disponibles
dans la capitale, comme les centres médicaux ou
nutritionnels d’ACF et les « travailleurs humanitaires
eux-mêmes accèdent de plus en plus difficilement aux plus
vulnérables, à cause de cette insécurité ». Selon ACF, 25 %
des enfants sévèrement mal-nourris pris en charge dans ces
centres de nutrition thérapeutique, et leurs familles, ont
dû quitter le centre à cause des combats qui faisaient rage
aux alentours ces derniers jours.
ACF mène des programmes d’urgence dans Mogadiscio depuis
1992. Ces programmes bénéficient directement à 5 000
personnes par mois et indirectement à 50 000 personnes à
travers des programmes de chloration de l’eau. Quarante
organisations humanitaires nationales et internationales
travaillant en Somalie ont affirmé ne pas pouvoir répondre «
efficacement » à la « catastrophe humanitaire en cours », à
cause de la détérioration de leurs conditions de travail.
Selon les Nations-Unies, 1,5 million de personnes ont besoin
d’aide humanitaire en Somalie, qui compte une population
d’environ 10 millions d’habitants.
Crise gouvernementale
Cette crise humanitaire se double d’une crise
gouvernementale aggravant l’impasse politique, sécuritaire
et humanitaire de ce pays en guerre civile depuis 16 ans. Le
président somalien Abdullahi Ahmed Yusuf cherche
désespérément un consensus sur le nom d’un nouveau premier
ministre, en remplacement de Ali Mohamed Gedi, chef du
gouvernement depuis 2004, qui a démissionné la semaine
dernière à l’issue d’une épreuve de force avec le président.
Ce dernier consultait parlementaires et chefs de clans en
vue de la nomination d’un nouveau premier ministre, d’ores
et déjà rejeté par l’opposition, emmenée par les islamistes,
qui accuse le gouvernement d’être à la solde du voisin
éthiopien. « Il n’y aura pas de changement politique tant
que l’Ethiopie imposera le gouvernement de Somalie. S’ils
ont renvoyé (Ali Mohamed) Gedi, c’est parce qu’ils cherchent
quelqu’un de pire que lui », a déclaré le chef de
l’opposition somalienne, cheikh Sharif Cheikh Ahmed. « Nous
continuerons à libérer le peuple somalien de la dure
conduite (des affaires) de Yusuf, qui leur a été imposée.
Nous n’avons rien à faire avec ce gouvernement, qu’il soit
remanié ou pas. Il ne représente pas le peuple somalien », a
ajouté le chef de l’Alliance pour une nouvelle libération de
la Somalie (ARS) et ancien numéro 2 des Tribunaux
islamiques. L’ARS avait été formée en septembre à Asmara (Erythrée)
lors d’une conférence qui s’était achevée par la nomination
à sa tête de cheikh Sharif Cheikh Ahmed et par un appel à
l’insurrection contre l’armée éthiopienne.
Le départ de M. Gedi, qui appartient au clan des Hawiye, le
plus important dans Mogadiscio, a été accueilli par un calme
précaire dans la capitale somalienne. Les Hawiye contrôlent
Mogadiscio depuis leur victoire en janvier 1991 contre le
président de l’époque, Mohamed Siad Barre, qui appartenait
au grand clan rival des Darod, dont est également issu M.
Yusuf.
Les vives tensions existant depuis plusieurs semaines entre
MM. Yusuf et Gedi avaient paralysé le fonctionnement du
gouvernement, M. Yusuf accusant son premier ministre de ne
pas assumer ses responsabilités et de ne pas avoir mis fin
aux violences à Mogadiscio. Mais la crise semble avoir une
autre dimension. Un proche du premier ministre, s’exprimant
sous couvert de l’anonymat, a dénoncé « un système où il n’y
a plus de règles institutionnelles ». « On va maintenant
vers un Etat prébendier, avec une famille prédatrice »,
a-t-il ajouté en faisant référence au clan du président.
Tout dépend à présent de qui M. Yusuf peut désigner à la
place de Gedi pour tenter de rendre son gouvernement
acceptable par les Hawiye à Mogadiscio. Quoiqu’il en soit,
il est difficile de savoir si Yusuf a les coudées franches
sur la nomination tant il dépend des Ethiopiens.
Hicham Mourad