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Alexandrie . Dans les dédales du quartier de Manchiya, se cache un petit bar nommé Spitfire. Ce haut lieu pour les marins de passage a accumulé les souvenirs depuis 1883. Une mémoire qui se mêle à l’histoire de la ville.

Spitfire ou le phare de Manchiya

Si on ne cherche pas Spitfire, il est difficile de le remarquer. La pancarte accrochée au-dessus de la façade qui porte la marque d’une bière égyptienne est à peine visible. Et pourtant, ce petit bar qui ne paye pas de mine, niché dans le quartier de Manchiya, haut lieu d’Alexandrie, est le pôle de marins qui viennent des quatre coins de la planète. Dès que le client entre, il est accueilli par trois traditionnelles questions : Que désirez-vous boire ? D’où venez-vous ? Et quel genre de musique voulez-vous écouter ? Ainsi, une relation se tisse entre les consommateurs et les propriétaires du lieu qui font office de serveurs. « Nous recevons des clients de toutes les nationalités, et avec le temps, nous avons appris à faire plaisir à tout le monde malgré les différences de cultures », dit Ali Fouad Osmane, un des trois frères associés. Et bien que ces associés ne soient pas tellement instruits, ils baragouinent plusieurs langues étrangères, juste le nécessaire qui leur permet de communiquer avec les étrangers. Ali dit qu’en plus des boissons alcoolisées, à Spitfire, la musique est un élément qui distingue le lieu et attire les clients. Ali n’a jamais acheté d’album de sa vie ; pourtant il en possède des dizaines et de toutes les variétés musicales. « Ce sont des gens des quatre coins du monde qui me ramènent les cassettes pour les entendre ici au bar », remarque-t-il. Au cours de ces longues années, il en a reçu de tous les genres musicaux et il les diffuse selon le goût et les recommandations des clients. « Ils apprécient beaucoup ce geste. Ils disent se sentir tout à fait à l’aise comme s’ils se trouvaient chez eux », dit Ali. La musique n’est pas la seule touche du coin, le décor l’est aussi. Le bar baigne dans un éclairage aux reflets rougeoyants. Ses murs sont recouverts d’autocollants et posters représentant pour la plupart des lignes maritimes, des paquebots, des logos de plusieurs compagnies navales, des photos personnelles, des drapeaux, des petits souvenirs sur un bout de papier ou d’autres comme le bout de sous-vêtement de quelqu’un qui a voulu s’exprimer ainsi en l’accrochant dans un coin à Spitfire. C’est comme si les clients étaient lancés dans une sorte de jeu de concurrence non annoncée qui serait appelé à qui laisse le meilleur souvenir. « Le client se sent attaché au bar et insiste à chaque visite à laisser quelque chose, une partie de lui qui fait rappeler qu’il est passé là, et quel bonheur pour lui lorsqu’il revient et retrouve ce qu’il a laissé les fois dernières, il n’hésite pas à y joindre un autre », dit Salama, barman à Spitfire depuis 8 ans. Et Ali d’ajouter : « Parfois, certains consommateurs désirent se procurer quelques souvenirs parmi ceux qui sont accrochés, mais cela n’est pas possible car on considère ces petites choses comme une marque déposée du bar, c’est en quelque sorte son histoire ». Ali parle en montrant une grande peinture accrochée à des murs et qui représente un empereur français. Ali ignore le nom de ce personnage, mais il dit que beaucoup de Français ont demandé à acheter ce tableau. Ils ont même offert de grandes sommes, mais qu’il n’était pas question pour lui de décrocher quelque chose d’un mur. « On accroche d’autres mais on n’en retire pas », dit-il. La même chose s’est répétée avec un verre qui illustre le mariage du prince Charles et de Diana et pour lequel beaucoup d’Anglais étaient prêts à claquer de l’argent mais ils ont eu droit à la même réponse.


L’histoire de l’histoire

L’histoire de Spitfire a commencé en 1883 lorsqu’un émigrant grec a ouvert un petit bar et lui a donné son propre nom, Dominos Kharalambo. En 1935, il embauche un jeune Alexandrin de 11 ans, Hassan Osmane, pour le faire travailler avec lui. Plus tard, à l’époque de Nasser, après la Révolution et avec la nationalisation, les étrangers qui constituaient presque la moitié de la population d’Alexandrie ont quitté la ville, laissant derrière eux tout ce qu’ils ont entrepris. Kharalambo a laissé son bar à Hassan Osmane. « Au départ, les nouvelles lois de nationalisation exigeaient d’un propriétaire étranger d’avoir un associé égyptien et Dominos avait choisi mon oncle. A sa mort, il a laissé une femme et une fille qui n’étaient pas intéressées par ce business, alors mon père les a remplacés », explique Ali. Ainsi, l’oncle, son frère et ensuite ses enfants sont devenus les nouveaux propriétaires du bar. Avec le temps, ce bar a joui d’une large popularité. Des pilotes anglais l’ont fréquenté au cours de la deuxième guerre mondiale. C’est à ce moment-là que le bar a changé de nom pour devenir Spitfire, du nom d’un fameux avion anglais qui avait bombardé les Allemands. Les propriétaires insistent à montrer à chaque nouveau visiteur les photos du véritable avion Spitfire occupant une large partie du mur, situé près de la porte. « On a même des souvenirs de la fille du pilote qui conduisait cet avion. Cette dernière est venue spécialement pour nous rendre visite après avoir entendu parler de nous », poursuit fièrement Ali. Il précise aussi qu’un bar en Angleterre vient d’ouvrir sous le même nom, Spitfire. « C’est vrai que cette appellation leur appartient, mais nous avons été les premiers à lui avoir donné cette importance ; notre bar, c’est l’original », dit-il en affirmant qu’il garde toujours avec ses frères le contrat signé en 1883. En fait, ce qui rassure et donne confiance aux trois frères associés de Spitfire, ce sont les visites de gens importants, qu’ils reçoivent de temps à autre, celle par exemple de David Welch, l’ex-ambassadeur des Etats-Unis en Egypte. Sa photo est accrochée sur le mur principal du bar. Hassan affirme que presque tous les consuls et ambassadeurs de pays étrangers sont passés par là sans compter les marins et les intellectuels qui viennent visiter la Bibliothèque d’Alexandrie. « Ces derniers temps, ce sont les marins américains qui se font de plus en plus rares. Il y a quelques années, lorsqu’on savait qu’ils allaient venir, on devait prévoir deux ou trois réfrigérateurs en plus pour suffire à leurs besoins. A présent, et à cause de la politique de Bush, ils ne viennent que rarement », remarque Hassan. Ce dernier a commencé à travailler à Spitfire à l’âge de 7 ans. Ce bar a été sa véritable école dans la vie. Pourtant, ni lui ni ses frères ne désirent voir une troisième génération prendre la relève à Spitfire. « Nous avons tous des enfants, mais la situation a beaucoup changé. Ils vont tous à l’école et doivent choisir d’autres métiers. Je ne crois pas qu’ils soient capables de surmonter les difficultés comme nous le faisons, face au manque de clients vu les conditions économiques, la hausse vertigineuse du prix des boissons alcoolisées et les taxes qui changent d’un jour à l’autre », dit Hassan en affirmant que le motif qui le pousse lui et ses frères à continuer de lutter, c’est qu’ils ne savent pas faire autre chose que d’être des barmen et que Spitfire est devenu pour les marins et les curieux une sorte de phare d’Alexandrie .

Hanaa Al-Mekkawi
 

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