Imbaba,
Choubra, Boulaq, Guesr Al-Séweis, Alexandrie, Béheira, Kafr Al-Zayat,
Mallawi à Minya, où que l’on se trouve en Basse ou Haute-Egypte,
le toc-toc (tricycle ou mini-taxi) s’est imposé comme un moyen
de transport en commun tout à fait pratique. Il s’est répandu
dans plusieurs gouvernorats et quartiers de la ville et n’est
plus pour les Cairotes ce gadget amusant. Cependant, 7 ans après
son apparition en Egypte, plus précisément à Sinbellawin, dans
le gouvernorat de Daqahliya, il reste cet enfant bâtard.
En effet, les responsables de la direction du
transport rechignent à délivrer un permis de circuler pour ce
genre de transport. Un dilemme qui menace des millions de
chauffeurs et propriétaires de toc-toc qui, pour pallier le
manque de travail, ont en fait un gagne-pain, mais courent par
ailleurs le risque de ne plus pouvoir rembourser leurs dettes.
Condamnés à vivre au jour le jour, ils recourent à toutes les
astuces pour conduire à bon port leurs clients et éviter les
contrôles des agents de police.
Chose étrange, le toc-toc est commercialisé
partout, y compris dans les agences de voitures, et les
publicités le concernant abondent dans les journaux. Ce moyen de
transport a même fait son apparition dans des feuilletons
télévisés, à l’exemple de Sekket Al-Hilali, qui a eu un grand
succès pendant le mois de Ramadan. Alors que l’Etat autorise son
importation d’Inde et de Chine et que les sociétés égyptiennes
ne cessent de lui porter des modifications pour une meilleure
adaptation, la direction des transports ne délivre pas de permis
de circuler à ce véhicule qui s’est pourtant imposé depuis
quelques années.
« Alors que l’importation du toc-toc est
autorisée, on n’a pas le droit d’avoir un permis de circuler.
Qui pourrait me résoudre une telle énigme ? », s’interroge
Mohamad, fonctionnaire le matin et chauffeur de toc-toc l’après-midi
pour arrondir ses fins de mois. Originaire de Boulaq, à Guiza,
il assure que son quartier compte près de 7 000 véhicules. Vendu
18 000 L.E. cash et 25 000 L.E. à crédit pour l’indien et 2 000
en moins pour le chinois, ce moyen de transport s’est transformé
en business florissant. Des commerçants en achètent plusieurs et
les louent à raison de 80 à 100 L.E. la journée. Des milliers de
jeunes diplômés au chômage ont eu recours au toc-toc pour
s’assurer un revenu quotidien qui peut dépasser les 100 L.E. «
On n’a besoin que de quelques heures seulement pour apprendre à
le conduire. C’est un moyen de transport rapide et qui ne coûte
pas cher en essence, 5 litres suffisent pour sept ou huit heures
de travail », explique Emad, qui a fini par apprendre, comme les
autres, toutes les astuces nécessaires afin d’éviter de tomber
dans un barrage de contrôle. « Nous circulons uniquement dans le
quartier et évitons les rues principales. Cependant, il nous
arrive d’emmener un client au centre-ville, Issaaf ou Ataba,
mais en prenant des détours pour ne pas être arrêtés par les
agents de la circulation », dit Emad, tout en expliquant que le
chauffeur du toc-toc est obligé de choisir des trajets plus
longs pour éviter les tracas. Et la carte routière est bien
connue par les jeunes qui essayent de compenser le retard en
roulant plus vite.
Un véhicule magique
Une
stratégie acceptée par les clients qui préfèrent aujourd’hui le
toc-toc comme moyen de transport, car plus accessible, plus
rapide et surtout capable de se faufiler partout. « Je n’ai plus
besoin d’aller à pied jusqu’à la station de microbus, située un
peu loin de chez moi, il me suffit d’un geste de la main pour
arrêter un toc-toc qui me conduira en flèche sur la rue
principale et je peux même marchander le prix avec le chauffeur
», explique Ali, habitant d’Al-Hawamdiya, un bourg situé dans le
gouvernorat de Guiza et qui travaille au centre-ville. Il ajoute
que la majorité des clients sont au courant de cette histoire de
permis de circuler et n’obligent pas les chauffeurs à passer par
certaines rues où ils risquent d’avoir des ennuis. « Ce moyen de
transport est très efficace, particulièrement en cas de maladie
soudaine ou d’accident grave car il roule vite, et cela peut
sauver des vies comme ce fut le cas lors du dernier accident de
train à Qalioub. Et c’est ce qui explique sa présence en grand
nombre devant les hôpitaux des quartiers populaires comme
l’hôpital de Boulaq, ou celui d’Imbaba. Capable de se faufiler
dans les dédales de rues et ruelles, il rend aussi un grand
service aux vieillards en les déposant au seuil de leurs portes
! », commente Ali avec un brin d’humour. Ce qui explique le
grand nombre de toc-tocs dans le quartier populaire d’Imbaba,
réputé par ses haras. Surnommé l’empire du toc-toc, ce quartier
en compte plus de 20 000, et ce chiffre est en hausse chaque
jour. Et ce n’est pas le travail qui manque, surtout aux heures
de sortie des écoles. Le toc-toc sert aujourd’hui de moyen de
transport pour les élèves ainsi qu’à l’heure des souks
populaires, il est le plus rapide. Maniable, mais aussi très
pratique grâce au téléphone portable, comme le précise
Aboul-Einein. « Il me suffit de recevoir un coup de fil ou un
appel en absence pour aller récupérer un de mes clients en
quelques minutes et avec un tarif qui varie entre 25 pts et 3
L.E., suivant que le trajet soit à l’intérieur ou en dehors du
quartier ». Un moyen de transport tout à fait rentable aussi
bien aux usagers qu’aux chauffeurs. Ce qui explique que beaucoup
de jeunes laissent tomber de petits projets pour se lancer dans
le toc-toc. L’exemple d’une personne qui a vendu une camionnette
pour acheter ce véhicule magique, une autre a liquidé tous les
appareils électroménagers qu’elle possédait pour s’en offrir un.
Cependant, tous ces véhicules sont menacés de fourrière comme
c’est le cas de milliers de ces petits véhicules stationnés sur
la route Le Caire-Alexandrie, en attendant que leurs
propriétaires s’acquittent de leurs amendes de 1 500 L.E.
infligées par le service du trafic ou de celles de la
municipalité qui varient entre 300 et 500 L.E. Des sommes
imposées aux chauffeurs et propriétaires de toc-toc et qui les
poussent à s’endetter davantage et au risque d’être poursuivis
pour non remboursement de leurs dettes. Et même après sept ans
d’activité en Egypte et plus d’un an au Caire, la situation du
toc-toc reste obscure.
Conduits par des adolescents de 12 ou 13 ans
Le
paradoxe est qu’il soit importé légalement et en grand nombre,
sans qu’il ne soit reconnu comme moyen de transport commun ou
même privé. Selon les responsables du service des transports, le
toc-toc n’est pas mentionné dans la législation, car il n’est ni
un véhicule à quatre roues ni à deux roues et manque de moyens
de sécurité nécessaires pour servir de transport en commun. «
Sans permis de circuler, le toc-toc est conduit aussi par des
adolescents de 12 ou 13 ans qui n’ont pas de permis de conduire
et roulent à toute vitesse comme s’ils conduisaient une
bicyclette. Les accidents sont très fréquents et c’est aussi le
moyen de locomotion utilisé par des malfaiteurs pour commettre
leurs méfaits, comme le vol ou le harcèlement. Impossible de les
rattraper, puisque ces véhicules ne portent pas de plaques
d’immatriculation », explique un des responsables. Une vérité
reconnue par quelques chauffeurs de toc-toc et même par certains
clients qui, parfois, ont peur d’arrêter ce genre de transport.
Et comme le confie Aboul- Einein, propriétaire et chauffeur de
toc-toc, tant que l’on ne délivrera pas de permis de circuler,
ce genre de dépassement existera. « C’est nous qui subissons les
conséquences et la police nous met tous dans le même panier.
Elle confisque le véhicule ou l’endommagent quand un chauffeur
prend la fuite », rouspète Aboul-Einein, qui vient de rentrer de
l’étranger après 15 ans d’absence et n’a trouvé rien d’autre que
le toc-toc pour subvenir aux besoins de ses enfants inscrits
dans différents cycles universitaires. « Podonc nous demander
une chahadet bayanat (certificat où sont inscrits les numéros du
moteur et du châssis), et si l’engin n’est pas permis, pourquoi
donc l’Etat autorise-t-il son importation ? J’ai même tenté
d’obtenir un permis de circuler en faisant passer ce véhicule
pour un transport privé et on me l’a refusé », poursuit
Aboul-Einein tout en s’indignant contre le gouvernement qui vend
l’illusion aux citoyens. Ce dernier précise pourtant que dans
certains gouvernorats, le toc-toc est autorisé à circuler.
A la recherche d’une formule
Et les responsables d’expliquer : « Certaines
municipalités l’ont autorisé pour protéger à la fois les
propriétaires et les clients ». Mais les agents de la
circulation nient qu’un permis de circuler a été délivré par le
service concerné. Ils attendent que la loi sur la circulation
soit discutée à l’Assemblée du peuple pour trouver un statut au
toc-toc ou trouver un accord entre les ministères concernés pour
légaliser ce véhicule en Egypte. Une promesse faite à plusieurs
reprises, mais dont on ne voit guère le résultat, comme l’assure
Mohamad, chauffeur à Kafr Al-Zayat (une municipalité dont
dépendent plusieurs villages), dans le gouvernorat de Gharbiya,
où il est nommé Doudou, du nom du premier qui l’a acheté au
gouvernorat. Il confie que même si le toc-toc a réglé le
problème du transport dans les villages et celui du chômage, ce
gagne-pain est réellement menacé. Il cite l’exemple de Kafr Al-Zayat,
qui compte environ 5 000 toc-tocs liant la municipalité aux 24
localités qui l’entourent, surtout des zones rurales où les
microbus ne circulent pas le soir et c’est le toc-toc qui sauve
la situation, comme l’affirme Mohamad. « Le chômage a baissé, il
est à moins 5 % chez nous grâce au toc-toc. Au lieu que les
jeunes commettent des délits ou s’adonnent à la drogue, ils ont
choisi le toc-toc. Qu’attendons-nous donc pour l’autoriser à
circuler et éviter aux chauffeurs des tracas quotidiens, les
contrôles de la police qui ne cesse de leur infliger des amendes
? Il ne faut pas oublier que ces toc-tocs ont été achetés à
crédit et si leurs propriétaires ne remboursent pas leurs dettes,
ils risquent la prison. Qu’attend de nous au juste le
gouvernement ? Même quand on a essayé de régler nos problèmes de
chômage, il ne nous laisse pas travailler tranquillement »,
s’indigne cet homme tout en se demandant pourquoi le toc-toc est
autorisé à circuler dans certains endroits et interdit dans
d’autres. Et les rumeurs concernant ce véhicule vont bon train.
En attendant une discussion de la loi prévue par l’Assemblée du
peuple pour déterminer le sort de millions de chauffeurs et
propriétaires, il continue à rouler dans de nouveaux lieux et
gagne de jour en jour plus de succès. Et malgré tous les
déboires, beaucoup de jeunes se lancent dans ce projet. Accablés
de problèmes ou vivant des conditions de vie difficiles, ils se
moquent que le véhicule soit autorisé ou pas, le plus important
pour eux est de gagner leur vie.
« Qu’il soit autorisé ou pas, on ne doit plus
en faire un plat, l’essentiel, c’est que nous gagnons de
l’argent pour subvenir à nos besoins ! », réplique un jeune
chauffeur à son collègue .
Doaa Khalifa (avec Samah Ziad)