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Voile .
La polémique sur le port du foulard
provoquée par le ministre de la Culture est l’occasion pour tous
les acteurs politiques de se lancer dans une surenchère de
déclarations. Un jeu dangereux qui, une fois de plus, renvoie
chacun à ses contradictions.
Sous le higab le malaise
Des
milliers d’hommes sortent de la mosquée d’Al-Azhar, après la
prière du vendredi, parallèlement deux milliers de femmes
sortent à Alexandrie, tous crient au scandale. « Farouk Hosni
doit être limogé ». Le ministre de la Culture semble être entré
dans l’arène aux fauves. Ne s’en est-il pas pris au voile et aux
voilées ? « Nous avons connu une époque où nos mères
fréquentaient les universités et les lieux de travail sans être
voilées. C’est dans cet esprit-là que nous avons grandi.
Pourquoi donc ce retour en arrière aujourd’hui ? », s’était-il
interrogé la semaine dernière dans le quotidien Al-Masri Al-Yom.
Des propos plus ou moins compréhensibles d’un ministre qui ne
cache pas sa laïcité, et des réactions toutes aussi attendues de
la part des islamistes qui, depuis longtemps, considèrent la
culture comme leur champ de bataille privilégié. L’affaire en
serait restée là.
Par
le passé, ce ministre, avec 19 ans au pouvoir, a été au centre
de vives polémiques sur des œuvres jugées impies ou
blasphématoires publiées dans les collections de son ministère.
Le tout se terminant par des compromis. Cette fois-ci, l’affaire
a pris des proportions beaucoup plus importantes. Farouk Hosni
s’exprimait certes en tant qu’intellectuel, mais il était bien
conscient que ses propos, qui touchent toute une société où
environ 80 % des femmes sont voilées, seront perçus comme
provenant d’un haut responsable de l’Etat. Il était aussi
conscient que seuls quelques centaines d’intellectuels et
artistes allaient le soutenir. Selon certains observateurs, un
homme de cette expérience aurait dû éviter de se lancer dans une
telle aventure. Mais la question la plus importante qui se pose
actuellement n’est pas de savoir si vraiment les déclarations du
ministre « étaient normales et exprimaient ses vues personnelles
qu’on peut accepter ou rejeter, d’autant plus qu’il n’est pas le
premier à exprimer de telles idées », comme le dit Hussein
Abdel-Razeq, secrétaire général du parti de gauche, Al-Tagammoe.
C’est plutôt la réaction de l’Etat que même
les politologues sont incapables d’interpréter. Dans un premier
temps, Hosni a été la proie des députés du PND aux côtés des
Frères musulmans pour la première fois. Le président du
Parlement, Fathi Sourour, qui d’ordinaire est quelqu’un qui
mesure ses paroles et ne s’en prend presque jamais aux
responsables de l’Etat, s’est tout d’un coup attaqué au ministre
« qui doit assumer ses responsabilités s’il refuse de s’exprimer
devant le Parlement ». Déjà la commission des affaires
religieuses, dirigée par l’ancien recteur de l’Université
d’Al-Azhar, PND et proche du régime Omar Hachem, avait condamné
les propos de Hosni. Le plus étonnant était aussi cette
intervention de Zakariya Azmi, député et chef du cabinet
présidentiel, qui a affirmé que le voile « n’est pas signe de
régression comme a dit le ministre de la Culture et que la
moitié des volontaires dans la campagne présidentielle de
Moubarak portaient le higab ». C’était comme une sorte de feu
vert donné aux autres députés du PND pour prendre le ministre de
la Culture comme cible. Comme s’il y avait un accord tacite pour
le faire ; les députés étant renforcés par l’absence de Farouk
Hosni lors du discours du président Moubarak à la séance
inaugurale du Parlement. Trois jours après, un changement
remarquable a eu lieu. L’Etat a agi de manière à contenir la
question. Des réunions à haut niveau ont eu lieu au sein du PND.
On parle d’un scénario qui permettrait à Hosni de s’en sortir.
Le régime qui l’avait abandonné est aujourd’hui à sa rescousse.
D’où la confusion. Après le naufrage du ferry Al-Salam où il y a
eu plus de 1 000 morts, les députés du PND étaient loin de se
lancer dans une polémique qui accusait le gouvernement de
négligence. C’est leur réaction classique, même avec les
accidents répétés des trains et autres, de ne pas embarrasser le
gouvernement. Selon Amr Al-Chobaki, spécialiste des mouvements
islamistes, « ils soulèvent une forme de religiosité au lieu de
défendre le fond même de la religion avec des principes comme la
justice et l’humanité. Des mots sur le voile les provoquent plus
que des milliers de morts ».
Ces mêmes députés lancés dans une attaque
virulente contre le ministre, n’avaient-ils pas passé l’éponge
sur l’affaire de Béni-Souef où le palais de la Culture de cette
ville a été détruit par un incendie faisant des dizaines de
morts et de blessés ? Alors que la responsabilité du ministre,
de par ses prérogatives, était engagée. Comment cette volte-face
du régime ? Règlements de comptes avec le ministre ou une
évolution en 20 ans qui a fait qu’un nouveau type de religiosité,
où la forme du religieux devient aussi importante que le fond,
parfois plus. Elle devient une valeur en elle-même. « Une
religiosité qui touche toute la société et donc les partis
politiques qui trouvent qu’elle leur permet de réaliser des
gains politiques », estime Chobaki.
Frères et régime font-ils un ?
Une religiosité qui est loin d’être le seul
fruit des Frères musulmans, lesquels « concentrent leurs efforts
en particulier dans les affaires de la pensée, l’éducation, la
domination des esprits et des cœurs », comme l’indique
Abdel-Razeq. Le régime est pointé du doigt dans cette affaire.
On a tendance à oublier qu’il est l’allié des mouvements
salafistes « repentis » mais qui, d’ordinaire, sont beaucoup
plus radicaux que les Frères. « C’est sur les chaînes de la
Télévision de l’Etat qu’on voit des oulémas qui interprètent la
religion de manière plus dure que les Frères, prêchent pour le
higab, édictent des fatwas, diffusent des SMS et concours
religieux. Il s’agit désormais de toute une culture véhiculée
par l’Etat. Ainsi, le port du voile devient pour Kamal Al-Chazli
plus important que les fraudes électorales », fait remarquer Amr
Al-Chobaki. Un PND engouffré dans des politiques sociales et
économiques boiteuses aurait tenté de jouer lui aussi sur les
sentiments religieux et se présenter comme le protecteur de la
religion. Abdel-Razeq croit que le régime a imaginé que s’il
abandonnait cette affaire la laissant aux Frères, ces derniers
se trouveraient renforcés. Les islamistes et le PND ne sont-ils
pas pacsés ? Le parti au pouvoir est loin d’être laïque. C’est
un parti qui remonte à Sadate, du temps où le raïs se présentait
comme le président croyant de l’Etat de la science et de la foi.
Une vague d’islam politique était née à l’époque. Une nouvelle
vague de politique islamique émerge aujourd’hui. « J’ai toujours
affirmé que ce régime et les intégristes partageaient beaucoup
de choses en commun », affirme le romancier Alaa Al-Aswani,
auteur de L’Immeuble Yacoubian, dénonçant « l’influence énorme
des Wahhabites sur les changements intervenus depuis 20 ans en
Egypte, notamment sur le voile ». L’Etat vit dans la
contradiction. Il pourchasse les Frères musulmans, avec des
centaines d’arrestations de leurs membres, combat le niqab en
laissant au recteur de l’Université de Hélouan le droit
d’interdire aux monaqqabates de résider dans la cité
universitaire. Le Conseil d’Etat, saisi par l’Université
américaine, juge anticonstitutionnelle l’interdiction du port du
niqab et le cheikh d’Al-Azhar juge comme obligatoire le port du
higab. Le guide suprême de la confrérie des Frères musulmans,
après la scène en chœur des députés Frères et ceux du PND contre
le ministre, sort de son mutisme en déclarant : « Pourquoi ce
tapage sur le higab au sein du Parlement ? Qu’ils s’attaquent
plutôt à la pauvreté, au chômage et à la corruption ... ».
Paradoxalement, c’est le ministre de la Culture qui a pris
l’initiative de former une commission religieuse au sein de son
ministère. Sa mission sera, entre autres, de « superviser les
œuvres publiées par le ministère et examiner les problèmes
religieux sensibles, à l’exemple de l’affaire en cours ».
Une série de décisions qui, loin de l’aspect
conformité religieuse ou non, dévoilent plqu’une controverse,
une contradiction, voire une confusion qui marque les affaires
du pays. Les limites entre le religieux, la liberté d’expression
et individuelle, et le politique se confondent. C’est cette
confusion, voire cette incapacité de choisir le respect d’une
Constitution qui fait de l’Egypte un Etat, régi notamment par la
charia ou de choisir le modèle tunisien, ou encore de se
positionner entre les deux en laissant le religieux loin du jeu
politique, qui pousse vers le chaos. N’est-ce pas le contexte
général qui règne en Egypte qui est à l’origine de cette impasse
ou encore de cette phase de futilité ? L’Etat dominant, tenant
toutes les ficelles s’affaiblit et chacun veut profiter de cette
faiblesse pour imposer sa vision des choses. Mais quelqu’un a-t-il
vraiment une vision ?.
Samar Al-Gamal
Ahmed Loutfi |
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ILS ONT DIT
« Démettez ce ministre de ses fonctions et
mettez à sa place un ministre de la Culture qui respecte notre
Constitution, notre charia et nos valeurs ».
Hamdi Hassan, député des Frères musulmans.
« Le ministre, en tant que responsable
gouvernemental, n’aurait pas dû prononcer ces propos. Quiconque
voudrait exprimer son point de vue personnel n’a qu’à quitter
son poste ».
Fathi Sourour, président du Parlement égyptien.
« C’est cela, la démocratie dont parlent les
Frères musulmans ? Que feraient-ils de moi et de mes opinions
s’ils étaient au pouvoir ? ».
Farouk Hosni, ministre de la Culture.
« Les Frères musulmans veulent montrer qu’ils
défendent la majorité, dans un pays où 90 % des femmes sont
voilées. Ils considèrent avoir marqué un point. Ils ne
gagneraient rien à pousser la confrontation plus loin ».
Amr Al-Chobaki, spécialiste de la confrérie.
« Les propos du ministre égyptien sont une
calamité qui frappe les terres d’islam et contredit les
enseignements du Coran ».
Abdel-Aziz Al-Cheikh, le grand mufti d’Arabie
saoudite.
« Le higab est une graine plantée par le
défunt président Anouar Al-Sadate dans les années soixante-dix
du siècle dernier. Le danger n’est pas dans le bout de tissu
qu’est le higab mais dans le voile mental que s’imposent
certaines femmes aujourd’hui ».
L’écrivain Youssef Al-Qaïd.
« Faisant face à une contestation
d’inspiration religieuse, le système politique se trouve placé,
de fait, dans une situation de différenciation sans pouvoir
compter, comme l’Etat occidental, sur la possibilité de produire
sa propre formule de légitimité ».
L’écrivain Bertrand Badie, professeur à
l’Institut d’études politiques de Paris.
« Le ministre a eu tort d’avoir politisé la
religion malgré sa laïcité qu’il ne nie pas et son refus de
permettre aux autres de jouer la carte de la religion, assez
délicate. Il a essayé, à travers ces déclarations, de faire la
cour à l’autorité politique ».
Ammar Ali Hassan, directeur du Centre d’études
du Moyen-Orient.
« La religion est le premier perdant à force
d’essayer d’en profiter pour réaliser des buts politiques et
scander des slogans, comme L’islam est la solution, ce qui met
la croyance et la loi divine de toute la nation face à un test
peu justifié ».
Wahid Abdel-Méguid, politologue.
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