Quelques
mois avant l’arrivée de l’hiver, la famille de Halima, 40 ans,
se prépare à faire face au froid. De vieux morceaux de plastique
servent à calfeutrer les fenêtres. Avec les moyens du bord, tout
le monde participe pour rendre le toit plus étanche car les
économies ont tout juste suffi à construire trois murs en
briques rouges. Pour la famille, le plafond est le dilemme. «
Chacun de nous doit faire attention à sa santé, car nous
arrivons à peine à joindre les deux bouts avec tout ce que nous
gagnons. Si quelqu’un tombe malade, c’est la catastrophe car
cela engendre des frais supplémentaires que nous sommes
incapables d’assumer », explique encore Halima.
Sa petite hutte, bâtie en branches de
palmiers, est bien connue par tous les habitants du quartier.
Avec plusieurs morceaux de vieux tissus, elle a réussi à rendre
son toit plus étanche. Des sacs de jute lui servent à la fois de
literie pour ses enfants et d’étalage pour ses légumes. Halima
se réveille dès l’aube. Elle sort à 5 heures du matin de chez
elle pour aller s’approvisionner en pain et légumes et
s’empresse d’ouvrir son petit commerce, avant que les élèves ne
se rendent à l’école, car elle vend notamment des petits
sandwichs. Au coucher du soleil, elle est toujours à la même
place, vendant encore du pain pour le dîner. Son petit local
sert aussi de café du coin pour les journaliers qui ont pris
l’habitude de lui commander une boisson chaude. « Mon plus grand
problème, c’est l’hiver. Je suis exposée au froid toute la
journée et le plus dur c’est le matin, le moment où j’écoule le
mieux ma marchandise. Pendant que tout le monde dort bien au
chaud et à poings fermés, je dois tirer mon enfant de deux ans
du lit pour aller gagner mon pain. J’enfile tout ce que je
possède de vêtements chauds et essaie de bien couvrir mon fils,
mais le froid est souvent bien mordant », explique Halima, dont
le mari est jardinier à la municipalité et mère de 6 enfants.
Choisir entre mourir de faim ou vaincre le froid, Halima a
préféré la seconde option.
« Mon enfant est souvent malade. Il a besoin
d’être au chaud. Malheureusement il y a beaucoup de courants
d’air ici, même à la maison. Le seul endroit où mon fils a eu
droit à une bonne couverture c’est lorsqu’il a été hospitalisé
pour une semaine, l’an dernier, à cause d’une forte fièvre de 40
degrés », poursuit-elle. « Deux de mes garçons souffrent de
graves problèmes respiratoires sans citer mon mari qui souffre
d’une tuberculose. Il est tombé malade juste après les
inondations qui ont eu lieu en 1990 », ajoute-t-elle.
Le prix de la chaleur
Le
Docteur Talal Abdel-Aziz confie que bien que la tuberculose ait
disparu dans le monde, elle touche de nouveau l’Egypte. Ceci est
dû aux genres d’habitats non conformes aux normes. Une maladie
de la pauvreté. Une réalité qui parait évidente lorsqu’on
pénètre les quartiers pauvres de la capitale. Même si la
température en hiver ne descend pas sous la barre du zéro. Et
les gens qui n’ont pas les moyens d’être bien au chaud doivent
prendre leur mal en patience et supporter un froid de canard.
Au bidonville Kilo arbaa we nos, situé aux
alentours du quartier de Madinet Nasr, Halima n’est pas un cas
exceptionnel. Avoir une toiture de maison est un luxe pour
beaucoup de familles qui ont squatté des terrains et bâti leurs
maisons de fortune.
« Construire le toit d’une maison revient
excessivement cher, environ 20 000 L.E. On se contente seulement
de bâtir les murs, la toiture se fera plus tard si les
conditions le permettent », explique Eatimad, 48 ans, mère de
deux enfants. Elle raconte que lorsque la pluie tombe, c’est le
cauchemar car la maison est inondée d’eau et elle ne peut pas
regagner chez elle que lorsque le soleil a séché sa maison. « Il
y a deux ans, l’hiver a été bien rude et un soir il y a eu une
pluie torrentielle et j’ai dû passer une nuit blanche blottie
sous une bâche de plastique, mes deux enfants serrés contre moi
pour les protéger du froid. Personne ne peut imaginer la peur
que j’ai ressentie ce jour-là en voyant les éclairs dans le ciel
et le tonnerre gronder alors que les gens dormaient profondément.
Ce soir-là on aurait pu mourir car la jonction de câbles
électriques qu’on a détournée de la voie publique pour avoir de
l’électricité risquait de nous électrocuter, puisque les enfants
nageaient dans les flaques d’eau. Une catastrophe évitée de
justesse », relate-t-elle tristement. Elle se tait puis continue
son histoire : « Le lendemain, un voisin aisé a eu la
gentillesse de nous accueillir chez lui car nos vêtements et
couvertures étaient complètement mouillés ».
Mona, sa voisine, maman de 6 enfants, lance :
« L’hiver est toujours rude pour ma famille car on ne possède
pas assez de couvertures et nous n’avons pas les moyens de nous
en offrir suffisamment. La moins chère coûte 25 L.E., et chacun
de nous a besoin au moins de deux couvertures pour supporter le
froid lorsqu’il n’y a ni toiture ni vitres sur les fenêtres dans
une maison. Il nous faudrait au moins 400 L.E. pour nous payer
ce petit confort. Comment arriver à économiser une telle somme
alors que le revenu de mon mari, boulanger, ne dépasse pas les
150 L.E. ? ». Elle se sert de vieux morceaux de tissus et des
draps pour réchauffer ses enfants.
Feux de rue
Une
situation qui a poussé l’ONG Dar Al-Orman à créer un projet
national pour offrir des couvertures aux familles les plus
démunies. Cette association a commencé son projet en Haute-Egypte
où le froid est plus rude et où la pauvreté est plus répandue.
Selon une responsable de l’ONG, il existe aujourd’hui des
familles qui ne parviennent pas à s’offrir de quoi se couvrir
car leurs revenus maigres suffisent à peine à nourrir leurs
enfants. A l’époque nassérienne et au début des années 1970, il
y avait un projet national « aide pour l’hiver », dont
l’objectif était d’aider les familles pauvres à se protéger du
froid. Un projet interrompu depuis longtemps. Le projet de Dar
Al-Orman vise donc à le faire renaître.
La pauvreté unit les démunis pour faire face
à l’hiver. Autour d’un feu dressé au centre de la rue, les
femmes du quartier regardent la télévision ou papotent entre
elles. Les enfants jouent à cache-cache en courant autour du
brasier. D’autres sont occupés à faire leurs devoirs. Chaque
jour avant de dormir, les habitants de cette rue se donnent
rendez-vous dehors pour se réchauffer un peu. Il leur suffit
d’un fagot de bois pour allumer un grand feu et créer un peu de
chaleur autour d’eux pour arriver à supporter le froid de la
nuit.
Certains même n’hésiteront pas à réchauffer
les chambres de leurs enfants de cette manière. « L’année
dernière, mes quatre enfants ont failli être asphyxiés par le
gaz carbonique et ont dû être hospitalisés d’urgence », raconte
Réda, 30 ans, et qui depuis se contente du feu allumé dans la
rue pour éviter une autre catastrophe.
Et quand il pleut, c’est le lit qui sert de
parapluie, de plafond et de nid conjugal. Toute la famille de
Rabha, formée de 10 personnes, se glisse dessous pour éviter de
se tremper. « Dès que la pluie s’arrête, on se précipite vers la
maison du voisin, qui possède un toit. Seul moyen pour bien
dormir et regagner nos écoles le lendemain », conclut le petit
Ahmad, 6 ans.
Dina Darwich