Al-Ahram Hebdo, Enquête | Le froid, ennemi public n°1
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 29 novembre à 3 décembre 2006, numéro 638

 

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Enquête

Pauvreté. Pour les plus démunis, les quatre mois d’hiver se transforment en un véritable calvaire. Reportage dans un bidonville de la capitale.

Le froid, ennemi public n°1

Quelques mois avant l’arrivée de l’hiver, la famille de Halima, 40 ans, se prépare à faire face au froid. De vieux morceaux de plastique servent à calfeutrer les fenêtres. Avec les moyens du bord, tout le monde participe pour rendre le toit plus étanche car les économies ont tout juste suffi à construire trois murs en briques rouges. Pour la famille, le plafond est le dilemme. « Chacun de nous doit faire attention à sa santé, car nous arrivons à peine à joindre les deux bouts avec tout ce que nous gagnons. Si quelqu’un tombe malade, c’est la catastrophe car cela engendre des frais supplémentaires que nous sommes incapables d’assumer », explique encore Halima.

Sa petite hutte, bâtie en branches de palmiers, est bien connue par tous les habitants du quartier. Avec plusieurs morceaux de vieux tissus, elle a réussi à rendre son toit plus étanche. Des sacs de jute lui servent à la fois de literie pour ses enfants et d’étalage pour ses légumes. Halima se réveille dès l’aube. Elle sort à 5 heures du matin de chez elle pour aller s’approvisionner en pain et légumes et s’empresse d’ouvrir son petit commerce, avant que les élèves ne se rendent à l’école, car elle vend notamment des petits sandwichs. Au coucher du soleil, elle est toujours à la même place, vendant encore du pain pour le dîner. Son petit local sert aussi de café du coin pour les journaliers qui ont pris l’habitude de lui commander une boisson chaude. « Mon plus grand problème, c’est l’hiver. Je suis exposée au froid toute la journée et le plus dur c’est le matin, le moment où j’écoule le mieux ma marchandise. Pendant que tout le monde dort bien au chaud et à poings fermés, je dois tirer mon enfant de deux ans du lit pour aller gagner mon pain. J’enfile tout ce que je possède de vêtements chauds et essaie de bien couvrir mon fils, mais le froid est souvent bien mordant », explique Halima, dont le mari est jardinier à la municipalité et mère de 6 enfants. Choisir entre mourir de faim ou vaincre le froid, Halima a préféré la seconde option.

« Mon enfant est souvent malade. Il a besoin d’être au chaud. Malheureusement il y a beaucoup de courants d’air ici, même à la maison. Le seul endroit où mon fils a eu droit à une bonne couverture c’est lorsqu’il a été hospitalisé pour une semaine, l’an dernier, à cause d’une forte fièvre de 40 degrés », poursuit-elle. « Deux de mes garçons souffrent de graves problèmes respiratoires sans citer mon mari qui souffre d’une tuberculose. Il est tombé malade juste après les inondations qui ont eu lieu en 1990 », ajoute-t-elle.

Le prix de la chaleur

Le Docteur Talal Abdel-Aziz confie que bien que la tuberculose ait disparu dans le monde, elle touche de nouveau l’Egypte. Ceci est dû aux genres d’habitats non conformes aux normes. Une maladie de la pauvreté. Une réalité qui parait évidente lorsqu’on pénètre les quartiers pauvres de la capitale. Même si la température en hiver ne descend pas sous la barre du zéro. Et les gens qui n’ont pas les moyens d’être bien au chaud doivent prendre leur mal en patience et supporter un froid de canard.

Au bidonville Kilo arbaa we nos, situé aux alentours du quartier de Madinet Nasr, Halima n’est pas un cas exceptionnel. Avoir une toiture de maison est un luxe pour beaucoup de familles qui ont squatté des terrains et bâti leurs maisons de fortune.

« Construire le toit d’une maison revient excessivement cher, environ 20 000 L.E. On se contente seulement de bâtir les murs, la toiture se fera plus tard si les conditions le permettent », explique Eatimad, 48 ans, mère de deux enfants. Elle raconte que lorsque la pluie tombe, c’est le cauchemar car la maison est inondée d’eau et elle ne peut pas regagner chez elle que lorsque le soleil a séché sa maison. « Il y a deux ans, l’hiver a été bien rude et un soir il y a eu une pluie torrentielle et j’ai dû passer une nuit blanche blottie sous une bâche de plastique, mes deux enfants serrés contre moi pour les protéger du froid. Personne ne peut imaginer la peur que j’ai ressentie ce jour-là en voyant les éclairs dans le ciel et le tonnerre gronder alors que les gens dormaient profondément. Ce soir-là on aurait pu mourir car la jonction de câbles électriques qu’on a détournée de la voie publique pour avoir de l’électricité risquait de nous électrocuter, puisque les enfants nageaient dans les flaques d’eau. Une catastrophe évitée de justesse », relate-t-elle tristement. Elle se tait puis continue son histoire : « Le lendemain, un voisin aisé a eu la gentillesse de nous accueillir chez lui car nos vêtements et couvertures étaient complètement mouillés ».

Mona, sa voisine, maman de 6 enfants, lance : « L’hiver est toujours rude pour ma famille car on ne possède pas assez de couvertures et nous n’avons pas les moyens de nous en offrir suffisamment. La moins chère coûte 25 L.E., et chacun de nous a besoin au moins de deux couvertures pour supporter le froid lorsqu’il n’y a ni toiture ni vitres sur les fenêtres dans une maison. Il nous faudrait au moins 400 L.E. pour nous payer ce petit confort. Comment arriver à économiser une telle somme alors que le revenu de mon mari, boulanger, ne dépasse pas les 150 L.E. ? ». Elle se sert de vieux morceaux de tissus et des draps pour réchauffer ses enfants.

Feux de rue

Une situation qui a poussé l’ONG Dar Al-Orman à créer un projet national pour offrir des couvertures aux familles les plus démunies. Cette association a commencé son projet en Haute-Egypte où le froid est plus rude et où la pauvreté est plus répandue. Selon une responsable de l’ONG, il existe aujourd’hui des familles qui ne parviennent pas à s’offrir de quoi se couvrir car leurs revenus maigres suffisent à peine à nourrir leurs enfants. A l’époque nassérienne et au début des années 1970, il y avait un projet national « aide pour l’hiver », dont l’objectif était d’aider les familles pauvres à se protéger du froid. Un projet interrompu depuis longtemps. Le projet de Dar Al-Orman vise donc à le faire renaître.

La pauvreté unit les démunis pour faire face à l’hiver. Autour d’un feu dressé au centre de la rue, les femmes du quartier regardent la télévision ou papotent entre elles. Les enfants jouent à cache-cache en courant autour du brasier. D’autres sont occupés à faire leurs devoirs. Chaque jour avant de dormir, les habitants de cette rue se donnent rendez-vous dehors pour se réchauffer un peu. Il leur suffit d’un fagot de bois pour allumer un grand feu et créer un peu de chaleur autour d’eux pour arriver à supporter le froid de la nuit.

Certains même n’hésiteront pas à réchauffer les chambres de leurs enfants de cette manière. « L’année dernière, mes quatre enfants ont failli être asphyxiés par le gaz carbonique et ont dû être hospitalisés d’urgence », raconte Réda, 30 ans, et qui depuis se contente du feu allumé dans la rue pour éviter une autre catastrophe.

Et quand il pleut, c’est le lit qui sert de parapluie, de plafond et de nid conjugal. Toute la famille de Rabha, formée de 10 personnes, se glisse dessous pour éviter de se tremper. « Dès que la pluie s’arrête, on se précipite vers la maison du voisin, qui possède un toit. Seul moyen pour bien dormir et regagner nos écoles le lendemain », conclut le petit Ahmad, 6 ans.

Dina Darwich

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