«
Croissance, emploi et réduction de la pauvreté ». Tel était le
thème de la conférence régionale, parrainée par l’Organisation
Internationale du Travail (OIT) en coopération avec le Programme
des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Lors de
l’événement qui s’est tenu au Caire du 21 au 23 novembre, les
participants ont souligné la relation étroite entre les trois
facteurs. « D’habitude, la règle économique implique que la
réalisation de hauts niveaux de croissance est importante pour
résoudre les problèmes du chômage et de la pauvreté. La
croissance renforce la capacité gouvernementale à augmenter ses
dépenses publiques et par suite, les investissements en vue de
créer de nouveaux emplois bien payés, ce qui réduit la pauvreté
», explique Tareq Haq, du bureau régional des pays arabes auprès
de l’OIT. Avant d’ajouter que cette corrélation n’existe pas
dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). «
Car les taux de croissance de l’emploi sont toujours inférieurs
à ceux de la croissance économique. De plus, bien que plus
élevée que celle des années 1990, la croissance économique n’est
pas encore suffisante pour absorber la force de travail »,
dit-il.
La région MENA jouit d’un taux de croissance
moyen évalué à 6 % ces deux dernières années, contre 3,6 % dans
les années 1990. Cette croissance rapide est justifiée en grande
partie par les rendements pétroliers. « Cette croissance
accélérée n’a pas réussi à freiner le chômage et la pauvreté
dans la région », commente Haq. D’après un document de presse
publié la semaine dernière par l’OIT, la région MENA enregistre
les taux d’emploi les plus faibles, à savoir 27,7 % de sa
population. Ainsi, elle a connu un taux de chômage moyen le plus
élevé au monde en 2005 (12,5 %). De plus, le nombre total des
chômeurs a connu de fortes hausses pour passer à 17 millions de
personnes en 2005, contre 14 millions 10 ans avant. Selon le
document, les jeunes représentent près de la moitié de ce
chiffre. Mais il n’empêche que la situation a connu une certaine
amélioration, notamment en ce qui concerne la participation de
la femme. Aujourd’hui, les femmes représentent 29 % de la main-d’œuvre.
De son côté, Samir Radwane, directeur du
Forum des recherches économiques (ERF), souligne l’immense défi
: « La région doit créer 6 millions d’emplois par an sur les 10
prochaines années pour pouvoir absorber le grand nombre de
chômeurs ». D’après la Banque mondiale, la création de ces
emplois impose aux pays de la région de réaliser au moins un
taux de croissance de 6 % d’ici 2010.
L’amélioration n’a pas touché les pauvres
Cette situation s’explique, tout d’abord, par
le manque de qualification et la faiblesse de productivité de la
main-d’œuvre dans la plupart des pays tels que l’Egypte ou la
Jordanie. L’Egypte a commencé à cueillir les fruits de ses
réformes économiques en réalisant des taux de croissance assez
élevés. Il a été de 6,9 % en 2006. « Toutefois, cette
amélioration n’a pas touché les pauvres », regrette Radwane. Et
ce, car les demandeurs d’emploi ne possèdent pas les
qualifications demandées par le secteur privé formel. « Ainsi,
la majorité d’entre eux préfèrent intégrer le secteur
gouvernemental, plus stable, moins demandant et moins productif
», explique Radwane. Quant à la Jordanie, la majorité des
employés se concentrent dans le secteur agricole, qui ne
représente que 3 % du total du PIB, un secteur toujours moins
productif et mal payé. Ces employés rencontrent des difficultés
à rejoindre d’autres secteurs et, par conséquent, ne profitent
pas de la création de nouveaux emplois. En plus, ils restent
pauvres car le niveau des revenus dans ce secteur est le plus
bas par rapport aux autres secteurs. Donc, « il est très
difficile de réduire la pauvreté à travers l’emploi car la
majorité des pauvres ne possèdent pas les qualifications pour
bénéficier de la croissance », conclut Ibrahim Seif, chercheur
au Centre des études stratégiques, auprès de l’Université de
Jordanie.
Ensuite, il y a la domination du secteur
informel. Par exemple, l’économie informelle absorbe plus de 45
% de la force de travail en Egypte. Ainsi, la majorité des
offres d’emploi créées sont mal payées. Le Maroc est un autre
exemple où le secteur informel représente plus de 20,3 % du
total des emplois et plus de 39 % des emplois non-agricoles.
La croissance doit alors être accompagnée
d’une bonne politique de l’emploi qui se concentre dans les
secteurs se basant essentiellement sur la main-d’œuvre tels que
le secteur industriel. « Il faut que l’emploi soit l’objectif
ultime de la croissance économique », souligne le chercheur
Mohamed Messkoub. Opinion partagée par Tareq Haq qui a critiqué
la situation des pays du Golfe. « Ils ont investi les fruits de
leur croissance dans le secteur de la construction plutôt que
dans la création d’emplois », dit-il.
Les conférenciers ont, enfin, unanimement
souligné que pour améliorer la situation de l’emploi et réduire
la pauvreté, il faut que l’éducation suive de près, en accordant
plus d’importance à la formation. Ils ont aussi souligné
l’importance de la création d’offres d’emploi décentes. « Il
faut accorder plus d’importance au secteur informel en assurant
aux employés des assurances sociales », affirme Mohamed Messkoub.
Pour lui, il faut revoir la distribution des revenus, une
condition indispensable pour réduire la pauvreté. Car pour créer
une relation forte entre croissance et pauvreté, il faut créer
des emplois bien payés. « La pauvreté dans la région se propage
dans les zones rurales, et ceux qui travaillent sont parfois
aussi très pauvres faute de revenus satisfaisants. Il faut
traiter cette question avec plus de dynamisme », souligne
Messkoub.
Gilane Magdi