En raison de l’intérêt que suscite
actuellement la région d’Al-Aïn Al-Sokhna, où les équipements
touristiques et les aménagements industriels disputent l’espace
sur un littoral étroit, des fouilles de sauvetage ont été
organisées depuis l’an 2000, dans le cadre d’un partenariat
égypto-français : entre le Conseil Suprême des Antiquités (CSA),
l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO) du Caire,
l’Université du Canal de Suez et l’Université de Paris IV
Sorbonne. « La mission égypto-française a, au début, découvert
une série importante d’inscriptions pharaoniques à Al-Aïn Al-Sokhna,
qui revêt un intérêt particulier. Ces inscriptions
hiéroglyphiques ont été relevées au bord de la nouvelle route
qui longe le littoral. La plupart d’entre elles sont regroupées
sur un gros rocher, qui offre une belle paroi verticale sur une
vingtaine de mètres sur le versant de la montagne », explique
Georges Castel, de l’IFAO. C’est grâce à la découverte des
inscriptions que l’équipe de fouille a réussi à faire apparaître
une activité industrielle qui consiste en l’exploitation du
cuivre dans cette région. Une des plus grandes et plus
importantes mines a été découverte. Des galeries de mines et des
fours de réduction de métal se trouvaient au pied de la montagne
tandis que l’habitat et les ateliers métallurgiques étaient
situés près de la route. Un événement archéologique singulier. «
Al-Aïn Al-Sokhna est l’un des emplacements les mieux situés pour
envoyer des expéditions minières dans le centre du Sinaï ou dans
la partie nord du Désert oriental, et pour maintenir des
activités ponctuelles, telles que l’assemblage de navires ou la
réduction de minerai. C’est aussi l’endroit le plus proche et le
plus accessible de la capitale (à 100 km environ) », souligne
Ahmad Halim, inspecteur archéologique. Rien d’étonnant à ce que
ce site ait été choisi, du moins dès le Moyen Empire par les
expéditions, pour rapporter la turquoise, le cuivre et tous les
bons produits de la région. Le site d’Al-Aïn Al-Sokhna semble
être, dans cette région, pratiquement le seul témoignage de la
présence de la civilisation pharaonique au bord de la mer.
Inscriptions sur les rochers
L’élément le plus spectaculaire du site, lors
de sa découverte, est un grand rocher couvert d’inscriptions
surplombant une petite crique au pied de la montagne. De
nombreux textes de différentes époques y sont gravés, qui
permettent immédiatement d’avoir une idée de l’histoire de ce
lieu durant une longue période. « Le plus ancien de ces
documents est ainsi une représentation au nom d’un souverain mal
connu, le dernier pharaon de la XIe dynastie, le roi Montouhotep
IV, qui semble avoir connu un règne éphémère (deux ans), autour
de 2000 av. J.-C. Le souverain est figuré de façon
conventionnelle debout, tenant une massue et s’appuyant sur un
bâton de commandement. Devant lui apparaissent différents
éléments de sa titularisation », précise le Dr Mohamad
Abdel-Aziz, de l’Université du Canal de Suez et chef de la
mission qui opère sur le site.
Mais le plus intéressant de l’ensemble est un
texte hiéroglyphique composé de trois colonnes qui accompagne la
gravure : il indique, en effet, le passage en ce lieu d’une
troupe de 3 000 hommes. La raison de leur présence est également
donnée : il s’agit de rapporter la turquoise, le cuivre et tous
les bons produits du désert.
« Ces inscriptions sont évidemment d’un
intérêt non négligeable pour l’histoire générale de l’Egypte
pharaonique, surtout que la période de transition entre la XIe
et la XIIe dynasties est assez mal connue », estime Mohamad
Abdel-Aziz. D’autres inscriptions trouvées confirment
l’importance du site en permettant de suivre l’historique du
site au cours des siècles. Ainsi, de nouvelles informations ont
été révélées. « On a remarqué que ces inscriptions ressemblaient
beaucoup à celles gravées sur les rochers de Sérabit Al-Khadem
et Wadi Al-Maghara, au sud-ouest de la péninsule du Sinaï.
D’ailleurs, ce sont des sites connus également par la présence
de mines et l’exploitation de la turquoise », indique-t-il.
Selon Ahmad Halim, Al-Aïn Al-Sokhna a été
envahie à différentes époques. La mission a ainsi relevé le
cartouche d’un roi de la XXVIe dynastie (VIIe–VIe siècle av.
J.-C.), plusieurs signatures grecques datables, par la
paléographie, de la fin de l’époque ptolémaïque (Ier siècle av.
J.-C.), et une importante série de textes coptes dont certains
sont datés précisément de la fin du VIIIe siècle. « Il faut dire
qu’à cette époque, l’ensemble de la côte ouest du golfe de Suez
a connu une occupation intense par des ermitages », souligne
Ahmad Halim.
L’art des nomades
Enfin, la séquence se clôt par une série de
dessins de chameaux stylisés qui ont été laissés par des nomades
parcourant, à l’époque médiévale, les pistes du Désert oriental.
Tout ceci renforce l’idée que le site antique d’Al-Aïn Al-Sokhna
a pu, de tout temps, servir d’étape pour des cheminements très
variés. C’est cependant sur une exploitation minière locale que
les fouilles archéologiques ont livré, dans un premier temps, le
plus d’informations. Des protections entreprises à la surface du
site ont rapidement montré la présence, sur une large surface,
de tessons de poterie et de nombreuses scories résultant de la
réduction du cuivre. Les travaux de dégagement entrepris dès
2002 ont progressivement fait apparaître de très nombreuses
galeries de mines, qui avaient été, au cours du temps,
entièrement recouvertes. La minéralisation y est encore visible.
« Les galeries semblent avoir été creusées de
façon rectiligne au flanc de la montagne à un niveau avoisinant
les 14 m au-dessus du niveau de la mer. Elles s’ouvrent par un
petit orifice régulier de 1,5 m de hauteur et de 0,70 m de
largeur environ, précédé par une descenderie assez raide équipée
par quelques marches grossières pour en faciliter l’accès. La
profondeur de ces galeries est variable : elles mesuraient, au
minimum, une vingtaine de mètres de longueur, pour une largeur
moyenne de deux mètres », précise Moustapha Noureddine, chef des
inspecteurs archéologiques. Mais le phénomène le plus
remarquable est peut-être l’extraordinaire concentration de ces
structures sur un espace restreint de 150 m environ. Ces
galeries ont, pour la plupart, rapidement été remblayées par des
déblais de mines, puis par des alluvions : elles n’ont donc pas
connu de reprise d’exploitation, ce qui leur permet d’être
aujourd’hui exceptionnellement bien préservées.
Après son extraction, le minerai était
sûrement enrichi par un lavage, dont le procédé exact n’a pas
encore été identifié. Puis, il faisait l’objet d’une série
d’opérations de réduction permettant de parvenir au cuivre pur
qui était rapporté dans la vallée du Nil. De tout cela, le site
d’Al-Aïn Al-Sokhna est un témoin exceptionnel. Il a, en effet,
livré les premiers fours intacts ayant fonctionné à cette époque
(vers 2000 av. J.-C.), qui permettent d’étudier les différentes
étapes de la chaîne opératoire du cuivre. Un modèle réduit du
Moyen Empire, conservé au Musée égyptien du Caire, présente, en
effet, un four très proche de ce qui a été découvert à Al-Aïn
Al-Sokhna. Il est ventilé par un personnage qui souffle dans une
canne en bois.
La description d’une technique
« Les méthodes exactes utilisées par les
Egyptiens de l’Antiquité pour opérer la réduction du cuivre sont
encore l’objet de débats. Il est certain, toutefois, qu’ils
avaient dès cette époque, atteint un niveau de technologie
avancé. Les Egyptiens ajoutaient au minerai un oxyde de fer (l’hématite)
permettant, en fonction d’une réaction chimique, d’abaisser la
température de fusion du cuivre », souligne Georges Castel.
Plusieurs objets du même métal ont par ailleurs été retrouvés à
différents endroits du site. A proximité des atelimétallurgiques,
un habitat sur une grande extension a été mis en évidence par
une série de sondages : son étude sera l’objet de prochaines
campagnes de fouilles.
Il semble peut-être que l’importance de ce
site dépasse l’activité minière que l’on peut y observer. De par
sa position privilégiée, cet établissement a pu servir de relais
ou de plaque tournante pour des expéditions lancées vers le
Sinaï et le Désert oriental. Il est donc vraisemblable qu’Al-Aïn
Al-Sokhna ait été réellement une zone de transit, peut-être un
port, en direction d’autres lieux d’exploitation, passage des
ouvriers envoyés par le pharaon à la recherche du métal et des
pierres précieuses, partis à travers les pistes du désert depuis
Memphis, la capitale. Ils arrivaient au bord de la mer à Al-Aïn
Al-Sokhna, d’où il leur était possible soit de contourner le
golfe, soit de le franchir en bateau.
Quelques sondages effectués ont, par ailleurs,
montré qu’une zone importante de cet habitat était
particulièrement bien préservée. Ce travail devrait permettre
d’obtenir des informations plus complètes sur les activités et
les conditions de vie des mineurs, ainsi que de vérifier la
présence éventuelle d’un port sur la mer Rouge en ces lieux.
Amira Samir