Chagarat al-Durr, sultane, portée au pouvoir
par les Mamelouks, est une figure quasiment légendaire. On
lui prête des centaines d'aventures et intrigues. Comment
rendre compte de cette femme exceptionnelle ayant vécu à une
époque, le XIIIe siècle, particulièrement mouvementée ?
Azza Heikal, l’auteure de ce livre, prend
le parti d’écrire un récit historique très minutieusement
documenté, mais narré comme un conte. Aussi, la lecture de
l’Histoire (avec un grand H) devient des plus agréables.
Au commencement, le royaume de Géorgie s’effondre
et attire toutes les convoitises. La misère y règne. Les enfants
les plus beaux et les plus robustes sont vendus aux marchands
d’esclaves qui en recrutent régulièrement. Ces esclaves seront
bien traités. Les garçons iront aux kottabs (école coranique)
et apprendront le maniement des armes ; les filles seront,
pour la plupart, instruites pour mieux servir et distraire
leurs futurs maîtres. Ces jeunes esclaves s’accommodent de
leur nouvelle vie et se lient d’amitié entre eux. Ces rapports
constituent leur seule famille.
Ceci ne paraît pas très réjouissant, mais
comme dans tout conte, surgit une prédiction : un jour, en
Mésopotamie, une jeune esclave aux yeux de jais, se promenant
avec quatre de ses compagnons, s’arrêtera devant une chiromancienne.
Cette dernière leur fera une prophétie surprenante : ils seront
tous sultans d’un pays lointain. Ils s’appellent : Aybak,
Beibars, Aqtay, Qalaoun. La jeune fille fait aussi l’objet
de la prédiction, mais on ne connaît pas son nom, elle sera
plus tard surnommée Chagarat al-Durr.
Et l’Histoire se met en mouvement. En 1232,
les Ayoubides s’emparent de Hosn Kayfa, une forteresse byzantine
qui surplombe le Tigre. Al-Saleh Ayoub, fils du sultan d’Egypte,
occupe la forteresse. Il est éloigné de son pays, car il a
trahi son père et tenté de prendre le pouvoir. C’est donc
son jeune frère qui devient l’héritier du trône.
La jeune fille aux yeux de jais est offerte
par un émissaire du futur calife abbasside (Al-Mostaassem)
à Al-Saleh Ayoub. Celui-ci, épris par sa beauté et par son
esprit, l’épouse et la surnomme Chagar al-Durr, ou Chagarat
al-Durr : certaines sources anciennes privilégient le premier
surnom, d’autres, comme par exemple Sibt ibn Al-Gawzi, optent
pour le second. De toutes les manières, cela signifie la même
chose : arbres de perles ou l’arbre de perles respectivement.
A la mort du sultan Al-Kamel, Al-Saleh et
son épouse décident de rentrer en Egypte et de s’emparer du
trône. Après maintes aventures et péripéties, c’est chose
faite avec l’aide des Mamelouks turcs qui trahissent leur
maître, le sultan Al-Adel, frère d'Al-Saleh.
En poursuivant la lecture de cet ouvrage,
vous saurez comment Chagarat al-Durr deviendra sultane et
le rôle politique de premier plan qu’elle jouera tout au long
de sa vie.
Vous connaîtrez les fastes de la cour, des
Mamelouks gardes du sultan, de la cavalerie et la chasse,
des fêtes et cérémonies, qui sont autant de tableaux vivants
et dont les sources les plus variées enrichissent le récit.
C’est une véritable reconstitution d’une période charnière
importante, celle de l’instauration d’un nouveau règne, celui
des Mamelouks.
Au fur et à mesure, Azza Heikal plante les
décors et va puiser dans les sources les plus diverses pour
nous en livrer un tableau. Ainsi, par exemple, pour ce qui
est de l’élégance de Chagarat al-Durr, l’auteure puise dans
les contes des Mille et une nuits (plus précisément la 17e
nuit). Elle a aussi recours au catalogue de l’exposition «
l’Epopée de Saladin », et évidemment aux déclarations du célèbre
chroniqueur Al-Maqrizi.
Vous saurez tout de sa beauté. D’après une
tradition hilalienne (chanson de geste célèbre), sa chevelure
était aussi douce que la soie et si longue et si fournie qu’elle
pouvait entraver un cheval …
Mais la fin de ce conte nous ramène à une
autre réalité moins prestigieuse que celle connue par tous
les Egyptiens, celle de la victoire grâce à Chagarat al-Durr
et ses amis mamelouks sur les troupes de Louis IX. Les complots
se multiplient, les amis de Chagarat al-Durr sont tués ou
en fuite, elle fait assassiner son deuxième époux, le sultan
Aybak, et finit livrée à la vindicte de ses esclaves qui sauvagement
lui ôtèrent la vie.
Cette fin est indigne d’une héroïne d’épopée.
Selon l’auteure, « il importe de réhabiliter cette souveraine
dont le règne fut des plus efficaces et des plus avisés ».
Elle y parvient par ce livre fascinant .