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La vie mondaine
Intellectuel algérien vivant en France, auteur, avec André Miquel, d'une nouvelle traduction des Mille et Une Nuits, Jamal Eddine Bencheikh vient de nous quitter. Passionné de littérature arabe ancienne, il était également poète. Nous publions en hommage un extrait de son recueil Transparence à vif (La Rougerie, 1990).
Immortelle absence

Lente sera notre épreuve

tandis que le désir s’aiguise

A l’éclat d’un soleil complice

La rue enfouira nos échos mais

Saurons-nous, nuit après nuit, faire croire

A la rigidité de muettes falaises ?

Je prendrai ta main sans faire un geste vers le ciel

Je m’agenouillerai sans incliner une seule branche

De mon corps, je simulerai la parfaite cécité des marbres

Je t’épouserai dans la respiration invisible

Des mers, toi l’âpre et hautaine,

Une nuit où seule s’entendra

L’infinie fraîcheur du silence

***

Aimer à rendre l’air opaque debout

Se dévorer par le dedans S’agripper à la paroie

Respirer Debout Boire le temps

Se combler de semence S’ensemencer d’exil

Respirer encore S’arc-bouter

Se prendre à la mémoire Réciter les veines en

Cascades Chuter Chuter d’à pics meurtriers

La poitrine Le poing dans la poitrine La pierre

La pierre dans la poitrine le souffle

Respirer Encore Tout Respirer jusqu’à

Toujours A l’explosion La gorge

L’air L’air du monde Tout l’air du monde

Respiré D’un seul coup

***

Voici le temps de vivre à jamais

La dissidence des corolles au vent

Porte l’annonce des corps

Le jour baisse sans ombre

Qui finira le dessin de l’aube

A naître si chaque pensée se suicide

Au premier signe des tourments ?

J’avance en ton cœur comme une effraction

De printemps

Le chapelet de fièvre égrène ses mensonges

Mais chair à chair poignet à poignet

Pour l’échange d’un seul moment

Nous aimerons sans contrefaçon

Nous tirerons la soie sur nos reins

Pour jouir de notre mort

Brune O d’albâtre rêvée lors

Que passe la vie à rebours du songe.

Cristal, étanche paroi,

Au-delà pourtant souffle la mer,

Au-delà !

Quel feu y pourra servir

A baliser nos étreintes ?

Où se tenir fragile à craindre

La fêlure ?

Ah ! s’éprendre se maquiller d’extase

Et puis glisser comme un effluve

Sous la roue d’espace pour délivrer

Ta course.

***

Comme je touchais ta ceinture sans dégrafer

L’absence, tu m’as dit qu’il faudrait

Allumer dans la nef et attendre que l’amour

S’irise au vitrail :

Ta nudité n’aurait plus de lieu qu’en mon

Ame

***

Amour porté sur les mains

Repeint sur la paupière

Comme un fard impudique

Si transparent qu’un cristal

S’enfièvre moins d’azur

j’ose la courbe de ton corps

Pour comprendre la célébration

Du soleil

Lequel de tes gestes imitera

Pour moi

La coulée des fleuves

O distante à caresser d’éclair ?

***

Elle me disait tu ne m’as pas encore couchée

Sous le soir

Elle disait les feuilles d’automne cerclaient

Aussi mes chevilles d’enfance

Elle me disait de longer sa vie

Jusqu’à ce que la mer ramène des feux

A nos épaules

Elle se tut et les arbres gémirent

D’immortelle absence

Ah sertie de gemmes ! Je me dissous

En ton eau pâle

Perverse image de moi-même.

Tu te dénoues de mon étreinte

Tandis que nous ment le miroir !

Rêve de çà et là patience

A guetter la fièvre surprise

Dès que l’encens coule à ta hanche

***

Nous nous sommes adossés à la nuit

Pour nous rompre comme un métal

Sur la terre un vent de givre et de brûlure

Ces lumières vrillées aux façades

La nuit parlait de nous dissoudre

Nous marchons mais qu’est-ce que notre soif ?

Nous avançons mais

qu’est-ce que ce rêve de hasard ?

La mélancolie teinte nos mains de bronze

D’où venons-nous pour la première fois

Altérés d’un secret sonore à nos mémoires ?

***

La frayeur nous croise. Ton pas se défait de mon pas.

A l’inverse de ma route, tu réinventes l’exil.

Je me souviendrai de l’étoffe implacable

Sur ta fièvre. En lisière d’oubli, la main se lacère.

Tu es si nue en moi qu’il faudra la vie pour te voir.

***

Nous revêtirons nos robes de pierre

Pour couvrir la mort inutile

Nous aurons quelque chose des lenteurs de la terre

Quelque chose du partage des eaux

Nous résonnerons de mots inconnus

Qui viendront parcourir notre absence

Seuls quelques lucides en leur blessure

Verront que ta lèvre a saigné

Je veillerai tant que ma forme impassible

Revivra de ton âme vivante

***

Crains-moi je suis ton autour

Affaîté rameur de vent

Qui tient le ciel en balance

L’iris d’or limpide

Je te défierai pour te prendre rétive

Je ferai bonne gorge pour régner en soleil

Incendier la proie

Venue du fond de mon âme

Et mériter ta foi

***

O santal, je respire Sa légende et j’égare

La raison qui reconstruit nos murs

Je m’inonde de Son être et je défie la pente :

Un torrent ne pourrait imiter le silence.

Si l’on me demande d’orienter la prière,

Je saurai de qui détourner les yeux.

Je me déchire à Son secret, mais je ne puis

Boire à Sa larme : que pourrais-je contenir d’Elle ?

L’absence qui évide ma chair, épargne mes veines :

Je ne suis plus que sang.

Elle m’a placé sur sa paume comme un grain de musc :

J’ai compris l’immensité de sa solitude.

Sentinelle, écoute la pierre du rempart :

Quelque part une fourmi s’obstine à la confiance.

Le fracas n’est jamais grand qu’au fond du cœur :

Le monde reste insensible à l’évidence.

Ton visage se tranquillise au-dessus du signe

Mais ma lecture attise ta pudeur

Et ton regard me dénonce :

Les nuées ne savent que le passage.

O Basilis voleur de songes,

Retiens l’amour en son enfance !

Je ne crains pas la tombe

Mais de ne plus protéger sa gorge du froid .

Jamal Eddine Bencheikh

Né en 1930 au Maroc, à Casablanca, dans une famille de magistrats algériens, Jamal Eddine Bencheikh a fait ses études au Lycée français à Alger avant de se rendre en France en 1956 pour entamer des études de langue et littérature arabe. Il rentre à Alger en 1962, où il est chargé de cours avant de repartir pour la France en 1969, pour ne plus la quitter. Il y sera professeur de littérature arabe et de littérature comparée à Paris VIII et Paris IV, jusqu’à sa retraite en 1997. Plus qu’un professeur, Bencheikh était surtout un passionné de littérature arabe ancienne, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, dont Poétique arabe (2e éd. Gallimard, 1989). Il s’est également consacré à cette littérature par ses traductions, d’abord et avant tout celle des Mille et Une Nuits, sur laquelle il a travaillé avec André Miquel, cherchant à proposer une nouvelle lecture de cette œuvre dont il critiquait la réception orientalisante en Occident. Le premier tome de cette nouvelle édition vient de paraître il y a quelques mois à La Pléiade. Professeur, intellectuel, traducteur, Bencheikh nous a également laissé ses poèmes, dans lesquels il chante la violence de la passion amoureuse et les déchirures de l’identité et de la patrie. Parmi ces recueils, L’Homme poème (Actes Sud, 1983), Les Mémoires du sang (Rougerie, 1988), Transparence à vif (La Rougerie, 1990) et aussi un roman, Rose noire sans parfum, chronique d’un vrai faux prophète (Stock, 1998).

Décédé d’un cancer le 8 août dernier à l’âge de 75 ans, Bencheikh aura marqué des générations d’arabisants par son esprit de rigueur, et a laissé une contribution majeure dans l’étude de la littérature arabe ancienne, en la libérant de la rigidité des exégèses traditionnelles et des clichés orientalistes réducteurs.

 

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