|
Phénomène.
Une étude officielle révèle que 97 % des femmes en Egypte
sont excisées. Or, ce chiffre soulève une vive polémique
et révèle à quel point la question demeure
sensible.
|
Les
chiffres muets de l’excision |
Selon
la dernière étude démographique (DHS, Demographic Health
Survey) effectuée par le Conseil national de la maternité
et de l’enfance, 97 % des Egyptiennes sont excisées. Un
chiffre alarmant qui a provoqué un tollé. D’après les
déclarations officielles lors de la conférence pour la
lutte contre l’excision qui s’est tenue à Nairobi en septembre
dernier, le nombre de femmes excisées serait en baisse.
Cependant, les activistes et les ONG qui œuvrent sur le
terrain ne sont pas de cet avis. « La question est bien
plus compliquée. Tout le monde s’accuse. La mère reproche
au père d’être le responsable alors que lui-même accuse
l’homme de religion et que ce dernier porte des accusations
contre le médecin. On a l’impression de tourner en rond
; il faudrait un grand bouleversement social pour en finir
», assure le Dr Magdi Helmi, directeur du secteur de la
santé à l’association Caritas et qui a travaillé pour
la lutte contre l’excision durant 10 ans en Haute-Egypte.
Et, bien que le ministère de la Santé
ait promulgué en 1996 un décret qui interdit aux médecins
de pratiquer des excisions, notamment dans les hôpitaux
publics, les chiffres assurent que presque 61 % des femmes
ont été excisées à domicile ! Plus encore, les deux dernières
études démographiques effectuées en 1995 et 2000 révèlent
que le nombre de femmes excisées est demeuré inchangé.
Pour les uns, ces associations ont sûrement des intérêts
personnels. « Certaines ONG tirent profit de ce phénomène,
non seulement pour exister, mais aussi pour recevoir des
aides provenant de l’étranger », confie le Dr Ahmad Abdel-Moneim,
responsable du Projet de la santé de la famille arabe
(PAFAM) à la Ligue arabe. Pour d’autres, ce chiffre est
une onde de choc pour l’opinion publique au point que
les responsables du Conseil national de la maternité et
de l’enfance qui ont effectué cette recherche ont beaucoup
hésité avant de divulguer ces résultats. « Il ne faut
pas adopter la politique de l’autruche. La première étape
pour résoudre le problème est d’admettre cette vérité
», rétorque Marie Assaad, coordinatrice du mouvement égyptien
pour la lutte contre l’excision.
Il faut cependant savoir que ce phénomène
a la peau dure. Déjà, en 1928, l’excision était interdite
dans les hôpitaux égyptiens. Et malgré cela, cette pratique
a continué. Et on a toujours trouvé des médecins prêts
à l’exercer.
|
Un casse-tête pour les chercheurs
|
Ce
sujet très sensible dont on ne parle pas ouvertement a
toujours été un vrai casse-tête pour les chercheurs, qui
ont du mal à aboutir à des résultats précis. Lors de la
conférence sur la population tenue en Egypte en 1994,
la chaîne satellite CNN avait diffusé un documentaire
montrant une petite fille égyptienne en train de se faire
exciser. L’affaire avait fait beaucoup de bruit et la
chaîne a été accusée de vouloir ternir l’image de l’Egypte
aux yeux du monde entier. Une situation qui a provoqué
l’effet contraire et, depuis, la lutte contre l’excision
est devenue pour l’homme de la rue une affaire suspecte
liée à des intérêts étrangers. « Lors de nos recherches
sur le terrain, lorsqu’on demandait aux gens leur avis
à propos de l’excision, on nous accusait de faire partie
d’un projet américain. De plus, le nombre des participants
à nos colloques ne dépassait pas les 5 personnes. Les
gens estimaient que le fait de boycotter ces rencontres
était un devoir patriotique. Et on n’obtenait jamais des
réponses correctes ou claires, le sujet étant sensible
», affirme Adham, coordinateur dans le projet national
de lutte contre l’excision dépendant du Centre national
de la maternité et de l’enfance au village d’Al-Galsa,
à Béni-Souef.
La réponse
dépendait parfois des tendances du chercheur. Riham, professeur
dans un village à Tanta qui a été excisée, de même que
ses filles, assure qu’elle a dû mentir au chercheur qui
l’a questionnée pour ne pas ternir son image, car en tant
qu’enseignante elle est supposée être une personne ouverte
et consciente des effets néfastes de l’excision !
Pour d’autres,
bien qu’elles ne soient pas excisées, elles préfèrent
dire le contraire car c’est un signe de respect pour leur
entourage. Soha, 22 ans, fille d’une féministe, habitant
le quartier de Hélouan, au Caire, s’apprête à se marier.
Elle a dû mentir pour ne pas subir des reproches de sa
belle-famille qui considère encore l’excision comme un
symbole de chasteté. « Faut-il sacrifier mon mariage ou
bien se soumettre à la volonté d’une société ? J’ai opté
pour le compromis », assure-t-elle. « Les études concernant
l’excision posent les questions de manière directe alors
que la meilleure méthode pour obtenir de bons résultats
est de former des groupes d’étude (Focus Groups) et d’enregistrer
leurs tendances à l’égard de cette pratique. Mais le problème
est que cette méthode employée dans les recherches sociales
est rarement appliquée dans les études effectuées en Egypte
», confie le Dr Abdel-Moneim, chercheur qui a fait plusieurs
études sur la maternité et l’enfance dans le monde arabe.
Il ajoute qu’il avait effectué des études sur l’excision
dans certains pays qui n’ont pas le poids de l’Egypte,
comme le Yémen et Djibouti, où le taux de femmes excisées
n’a pas dépassé les 30 %. « Alors, pourquoi ce taux est-il
si imposant en Egypte ? », s’interroge-t-il.
Marie Assaad
assure que l’Egyptien est fidèle à ses traditions. « Je
travaille dans le domaine de la lutte contre l’excision
depuis les années 1950. Et lorsqu’on posait des questions
concernant cette pratique, on obtenait toujours les mêmes
réponses. Cela veut dire que cette mentalité est transmise
de père en fils, malgré les efforts déployés », souligne-t-elle.
|
L’échantillon mis en cause
|
Et
ce n’est pas tout. Aujourd’hui, le bureau des plaintes
au Conseil national de la femme ne cesse de recevoir des
doléances qui mettent en cause ce chiffre. « Dans mon
entourage et mes connaissances, aucune fille n’a été excisée,
est-ce que je vis sur Mars ou en Egypte ? Où sont donc
les 97 % des filles excisées ? », s’indigne Abla, comptable
de 58 ans dont quatre générations de sa famille n’ont
pas eu recours à cette pratique. De plus, il existe aujourd’hui
des villages, ajoute Mahmoud, journaliste de 45 ans, où
l’on a irradié l’excision, comme à Deir Al-Barcha situé
à Mallawi, en Haute-Egypte. « Comment l’excision peut-elle
enregistrer ce taux élevé alors que la Haute-Egypte, où
les traditions semblent solides comme les roches, commence
à évoluer », poursuit-il.
Marie Assaad,
quant à elle, assure qu’on ne peut pas fonder une étude
scientifique sur des observations personnelles. « Notre
entourage ne représente pas toute la société », avance-t-elle.
Cependant,
Abdel-Moneim, chercheur, exprime un certain doute quant
à la représentativité de l’échantillon choisi. « Il ne
faut pas, par exemple, baser cet échantillon sur Manchiyet
Nasser ou bien les bidonvilles des alentours du Caire.
Cela veut dire que si les Cairotes représentent 11 % de
la population égyptienne, cela doit apparaître dans l’échantillon
», assure-t-il.
Le problème
réside également dans le fait que la catégorie d’âge interrogée
ne représente pas souvent la société. « On effectue les
études sur les femmes en âge de procréation, c’est-à-dire
entre 15 et 49 ans », avance Magdi Helmi.
Cela justifie
la raison pour laquelle le taux de l’excision affiché
par le dernier chiffre officiel est le même que celui
de 1995. « C’est quasiment le même échantillon de femmes
dans la même catégorie d’âge qui a été interrogé, encore
une fois par la deuxième étude en 2000 », confie Assaad.
L’étude effectuée
en 2001 par la sociologue Nahed Ramzi, chercheuse au Centre
national des études sociales et criminelles, révèle que
le taux des filles excisées est de 80 % au niveau de l’Egypte.
Mais ce chiffre devient important dans les régions rurales
et atteint plus de 94 % dans les bidonvilles, comme Manchiyet
Nasser, aux environs du Caire.
Cette bataille
des chiffres est donc loin d’être terminée. Mais sur le
terrain, y a cependant l’espoir de voir les choses changer.
Ainsi, un projet adopté par le Conseil national de la
maternité et de l’enfance vise à créer des villages sans
excision. Ce projet est actuellement en cours dans 60
villages égyptiens de 6 gouvernorats de Haute-Egypte (Béni-Souef,
Minya, Sohag, Assouan, Qéna, Assiout).
Une expérience
dont la nouvelle génération de femmes va profiter. « On
a remarqué au cours de ces dernières années que les familles
ont de plus en plus tendance à rejeter cette tradition.
On peut même observer dans une même famille une grande
sœur excisée alors que la cadette et la benjamine n’ont
pas subi ce même sort », explique Assaad.
Elle donne
l’exemple de Nadia, âgée de 5 ans, qui habite un village
du gouvernorat de Qéna et qui est la première fille dans
sa famille à n’avoir pas été excisée après des siècles
qui ont vu toutes les femmes subir cette mutilation .
|
Dina
Darwich |
|
|
|
|