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Le poète égyptien Ahmad Abdel-Moeti Hégazi fête ses 70 ans. A cette occasion, nous publions quelques-uns de ses vers composés pendant sa période florissante, entre les années 1950 à 80, traduits et regroupés par Jamel Eddine Bencheikh (Terre émeraude, éditions du Sycomore, 1980).

Hymnes

1

Nous sommes femmes noyées d'ombre

Et de crainte attendant

Notre messie crucifié dans le cœur des juifs

Notre messie

Au sang sur les collines les plages les montagnes

Notre messie

Aux yeux de pâturages aux cheveux torche couleur d'orange

2

Ö maître miséricordieux ne demande pas à tes élèves

De décrire le printemps

L'année ne leur donnera

Jamais que pluie

Et l'habit d'un enfant qui lui ... n'a jamais faim

3

Qui es-tu ? Qui es-tu

Ö fille de froid et de silence

Si tu avais un nom

Tu serais de ce temps à la maison

Diwan, 353-354

Chant d'Octobre

Il se peut que mon amie me quitte

Il se peut que la tristesse m'engloutisse

Il se peut que je me jette tel un cadavre

Dans un coin

Que j'essaie d'écrire un poème qui se refuse

Que je mâche des événements incolores

Mais quand s'achève le mois d'octobre

Les nuages descendent sur les murs

Je me souviens des couvre-feux sur ma ville

Je me souviens de l'ennemi

Je me répète l'histoire du peuple qui

Se réveilla ... comme un volcan dans un jardin

Je m'enivre ... porté par le souvenir

Vers un monde de douleur de joie de pardon

Comme si ... je respirais une trace de sang

Sur le vêtement d'un cavalier

Voici venu le temps de chanter pour toi

Ma ville

Dans l'une de tes maisons j'ai appris l'amour

Dans tes cafés j'essaie d'oublier

Dans tes nuits — à la fin de l'été

Quand s'enflamme le parfum des branches —

J'épouse l'ombre à pas de voleur

J'ai mal à l'âme

Je cherche, après le combat du jour,

Ton visage ...

Je te vois dans le fleuve image de silence

Tremblante architecture

Telle une dame sans merci ... ses victimes

Disparues et restée seule

Elle regarde dans son miroir ... ce qui fut

Elle lave d'eau les traits de son visage

Elle essuie l'ombre de ses paupières

Avec un sourire où se perd la douleur

Et la peine profonde et la soumission !

Je te vois dans la nuit ultime enfant

Innocente séparée de ses compagnes égarée

La nuit l'a recouverte et elle ne cesse

D'errer dans le parc

Comme l'amoureuse d'un premier amour

Prise entre désirs d'aveu ... et de secret

Je te vois dans la nuit ultime comme si

Le temps passé te racontait ...

La lune tournant dans un nuage

Brille sur les ténèbres du jardin

Et toi sur la hauteur ma reine

Comme jamais ne s'imagina règne plus beau

Je rêve ô ma ville d'un amour paisible

Qui me donne repos et foi

En toi je rêve ô ma ville de pleurer

Avec tous les chagrins du monde

Je rêve d'un prisonnier qui reviendrait

Sous un jour qui illumine les hommes

Diwan, 371-375

Et tout s'achève

Que nous ont laissé les jours pour rester fermes

Alors que chacun de nous annonce ... à l'autre

Que l'amour est mort !

Quelles heures de joie

Nous rappeler maintenant — pour résister

Aux vents du désespoir et du mépris qui soufflent sur nous —

En des paroles paisibles

Soudain ... étrangers solitaires à faire pitié

Nos yeux se rencontrent parfois ... puis se fuient

Et se détournent sans mémoire ... comme si nous ne nous

Etions pas rencontrés

Comme si nous n'avions pas connu la déchirure nocturne

Des séparations

Avec certains souvenirs

Soudain ... devenus vieux ... nous avions pris une route étroite

Devenus voisins sans le vouloir Nous avons fait

Quelques pas avant que chacun reparte seul pour ses routes

Soudain devenus ennemis malheureux

Comme les esclaves jadis nous avons prié ... puis sommes allés

Trouver notre mort sur la place

Qui donc parlera le premier et mettra fin à ce

Tête-à-tête étouffant

Qui donc annoncera ... que le temps a passé !

Diwan 321-322

Carnet d'Alexandrie

Noir un nuage emplit le ciel

Laissant un fil de crépuscule aux ténèbres des maisons

Mer des couleurs mourantes ... à chaque étranglement du soir

Et nous ... mourons dans un café

Marie que j'ai sauvée d'un policier

Deux nuits auparavant

Je l'ai vue dans la nuit marcher seule sur la plage

Offrant ses seins athéniens pour deux lires

Nous avons traversé la rue en hâte

La porte a claqué, la clé a tourné

Elle m'a conté l'histoire du jeune homme qui

Deux nuits auparavant ...

Elle a pleuré ... souri ...

Une lune en déclin emplissait les vitres

Etonnant fut

Notre adieu ... à la fin de l'été et à la fin du jour

Sans mot

Sur le chemin de la mer l'espace désert derrière nous

Comme les héros d'une vieille pièce

Sans décor

Qui commence sans annonce

Qui s'achève sans rideau

Villes traversées jadis dans ma courte enfance

Bateaux d'illumination lointaine puis d'absence

Refrain triste d'une chanson populaire

Venu d'une noce proche

Ma solitude une nuit au désespoir d'exil

Tout ce qui fait le retour des larmes

Mais je reviendrai à moi du fond

Des larmes muettes

Voilà le drame de mon dernier voyage

Diwan, 281-284

Personne

Je me suis vu dans les rues ... nu

Je baissais les yeux de honte

Puis les laissais implorer qu'un visage

Furtif se tourne

Un regard de pitié de quelqu'un ...

Rien

Alors ...

Si — qu'à Dieu ne plaise — je devenais fou

Si j'allais nu et pleurant ... sans pudeur

Personne ne jetterait sur moi un manteau

Si — qu'à Dieu ne plaise — j'étais emprisonné

Et qu'ensuite affamé

Les Grands m'interdisent de mendier

Aucun de ceux-là n'apaiserait un peu de ma faim

Cette foule ... personne .

Diwan, 381-382

 

Ahmad Abdel-Moeti Hégazi

Il est né en 1935 dans une bourgade d’Egypte. A partir de 1956, sa réputation de jeune poète virtuose lui permit de s’essayer dans la critique dans nombre de publications comme Al-Adab à Beyrouth, Dar Al-Hilal et Rose Al-Youssef au Caire. Il dédie un premier poème à Nasser en juillet 1957. En 1958, il écrit son premier recueil de poèmes Madina bila qalb (Ville sans cœur) à Beyrouth, interdit en Egypte. En 1959, il part en Syrie où il collabore à la chronique littéraire Al-Djamahir jusqu’à l’interdiction de ce journal en 1959. Il adhère à la théorie du Baas qui lui permet de rendre son attachement à l’unité arabe plus concret et d’investir dans le socialisme son amour pour le peuple. Malgré sa fidélité à Nasser et ses principes d’arabisme, il se heurte à la répression qu’ont connue de nombreux intellectuels marxistes entre 1959 et 1964.

Puis au climat qui lui interdisait de lire ses poèmes retentit dans son recueil Lam yabqa illa al-iatiraf (Il ne reste plus que l’aveu), écrit entre 1959 et 1965.

Dans les années 1970 après ses démêlés avec des écrivains-fonctionnaires, puis les nouvelles orientations du régime égyptien, il décide de vivre quelques années à Paris, où il enseigne la poésie arabe.

Il écrit dans le quotidien Al-Ahram un article hebdomadaire depuis plus d’une vingtaine d’années, où il ne cesse de creuser dans les maux de la société et de lutter contre l’obscurantisme. Il y lance une critique acerbe contre la poésie actuelle et le poème en prose qui s’attachent au formalisme, au technicisme et rejettent le patrimoine arabe. Pour lui, accepter que le poète découvre et capte des formes nouvelles, c’est se résoudre à la découverte d’un monde autrement saisi. Le modernisme chez lui doit être inventé et recréé à partir de ses conditions culturelles et linguistiques.

A la prochaine Foire du livre du Caire, la Gebo (Organisme général égyptien du livre) sortira une réédition de son œuvre complète, de même qu’une collection d’études sur la poésie de Hégazi signées entre autres par les arabisants Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel.

 
 
 

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