1
Nous sommes femmes
noyées d'ombre
Et de crainte
attendant
Notre messie
crucifié dans le cœur des juifs
Notre messie
Au sang sur les
collines les plages les montagnes
Notre messie
Aux yeux de pâturages
aux cheveux torche couleur d'orange
2
Ö maître miséricordieux
ne demande pas à tes élèves
De décrire le
printemps
L'année ne leur
donnera
Jamais que pluie
Et l'habit d'un
enfant qui lui ... n'a jamais faim
3
Qui es-tu ? Qui
es-tu
Ö fille de froid
et de silence
Si tu avais un
nom
Tu serais de
ce temps à la maison
Diwan, 353-354
Chant d'Octobre
Il se peut que
mon amie me quitte
Il se peut que
la tristesse m'engloutisse
Il se peut que
je me jette tel un cadavre
Dans un coin
Que j'essaie
d'écrire un poème qui se refuse
Que je mâche
des événements incolores
Mais quand s'achève
le mois d'octobre
Les nuages descendent
sur les murs
Je me souviens
des couvre-feux sur ma ville
Je me souviens
de l'ennemi
Je me répète
l'histoire du peuple qui
Se réveilla ...
comme un volcan dans un jardin
Je m'enivre ...
porté par le souvenir
Vers un monde
de douleur de joie de pardon
Comme si ...
je respirais une trace de sang
Sur le vêtement
d'un cavalier
Voici venu le
temps de chanter pour toi
Ma ville
Dans l'une de
tes maisons j'ai appris l'amour
Dans tes cafés
j'essaie d'oublier
Dans tes nuits
— à la fin de l'été
Quand s'enflamme
le parfum des branches —
J'épouse l'ombre
à pas de voleur
J'ai mal à l'âme
Je cherche, après
le combat du jour,
Ton visage ...
Je te vois dans
le fleuve image de silence
Tremblante architecture
Telle une dame
sans merci ... ses victimes
Disparues et
restée seule
Elle regarde
dans son miroir ... ce qui fut
Elle lave d'eau
les traits de son visage
Elle essuie l'ombre
de ses paupières
Avec un sourire
où se perd la douleur
Et la peine profonde
et la soumission !
Je te vois dans
la nuit ultime enfant
Innocente séparée
de ses compagnes égarée
La nuit l'a recouverte
et elle ne cesse
D'errer dans
le parc
Comme l'amoureuse
d'un premier amour
Prise entre désirs
d'aveu ... et de secret
Je te vois dans
la nuit ultime comme si
Le temps passé
te racontait ...
La lune tournant
dans un nuage
Brille sur les
ténèbres du jardin
Et toi sur la
hauteur ma reine
Comme jamais
ne s'imagina règne plus beau
Je rêve ô ma
ville d'un amour paisible
Qui me donne
repos et foi
En toi je rêve
ô ma ville de pleurer
Avec tous les
chagrins du monde
Je rêve d'un
prisonnier qui reviendrait
Sous un jour
qui illumine les hommes
Diwan, 371-375
Et tout s'achève
Que nous ont
laissé les jours pour rester fermes
Alors que chacun
de nous annonce ... à l'autre
Que l'amour est
mort !
Quelles heures
de joie
Nous rappeler
maintenant — pour résister
Aux vents du
désespoir et du mépris qui soufflent sur nous —
En des paroles
paisibles
Soudain ... étrangers
solitaires à faire pitié
Nos yeux se rencontrent
parfois ... puis se fuient
Et se détournent
sans mémoire ... comme si nous ne nous
Etions pas rencontrés
Comme si nous
n'avions pas connu la déchirure nocturne
Des séparations
Avec certains
souvenirs
Soudain ... devenus
vieux ... nous avions pris une route étroite
Devenus voisins
sans le vouloir Nous avons fait
Quelques pas
avant que chacun reparte seul pour ses routes
Soudain devenus
ennemis malheureux
Comme les esclaves
jadis nous avons prié ... puis sommes allés
Trouver notre
mort sur la place
Qui donc parlera
le premier et mettra fin à ce
Tête-à-tête étouffant
Qui donc annoncera
... que le temps a passé !
Diwan 321-322
Carnet d'Alexandrie
Noir un nuage
emplit le ciel
Laissant un fil
de crépuscule aux ténèbres des maisons
Mer des couleurs
mourantes ... à chaque étranglement du soir
Et nous ... mourons
dans un café
Marie que j'ai
sauvée d'un policier
Deux nuits auparavant
Je l'ai vue dans
la nuit marcher seule sur la plage
Offrant ses seins
athéniens pour deux lires
Nous avons traversé
la rue en hâte
La porte a claqué,
la clé a tourné
Elle m'a conté
l'histoire du jeune homme qui
Deux nuits auparavant
...
Elle a pleuré
... souri ...
Une lune en déclin
emplissait les vitres
Etonnant fut
Notre adieu ...
à la fin de l'été et à la fin du jour
Sans mot
Sur le chemin
de la mer l'espace désert derrière nous
Comme les héros
d'une vieille pièce
Sans décor
Qui commence
sans annonce
Qui s'achève
sans rideau
Villes traversées
jadis dans ma courte enfance
Bateaux d'illumination
lointaine puis d'absence
Refrain triste
d'une chanson populaire
Venu d'une noce
proche
Ma solitude une
nuit au désespoir d'exil
Tout ce qui fait
le retour des larmes
Mais je reviendrai
à moi du fond
Des larmes muettes
Voilà le drame
de mon dernier voyage
Diwan, 281-284
Personne
Je me suis vu
dans les rues ... nu
Je baissais les
yeux de honte
Puis les laissais
implorer qu'un visage
Furtif se tourne
Un regard de
pitié de quelqu'un ...
Rien
Alors ...
Si — qu'à Dieu
ne plaise — je devenais fou
Si j'allais nu
et pleurant ... sans pudeur
Personne ne jetterait
sur moi un manteau
Si — qu'à Dieu
ne plaise — j'étais emprisonné
Et qu'ensuite
affamé
Les Grands m'interdisent
de mendier
Aucun de ceux-là
n'apaiserait un peu de ma faim
Cette foule ...
personne .
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