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Gerges El-Gawly : Sculpteur des dieux et des saints

Névine Lameï, Samedi, 26 août 2023

Spécialiste des sculptures monumentales, l’artiste Gerges El-Gawly rend hommage à la Vierge Marie, en lui attribuant une sculpture colossale au monastère de Dronka, à Assiout, en Haute-Egypte.

Gerges El-Gawly

Le 7 août, Gerges El-Gawly a baptisé sa gigantesque statue dédiée à la Vierge Marie, au monastère de Dronka, dans les alentours de la ville d’Assiout. La sculpture de bronze, la plus grande de toute l’Egypte, tend les mains aux fidèles, faisant le bonheur de plusieurs milliers de coptes qui viennent célébrer la grande fête de l’Assomption durant ce mois-ci (élévation de la Vierge Marie corps et âme à la gloire du ciel, au terme de sa vie terrestre).

Professeur de sculpture et d’art public, depuis 1995, aux beaux-arts de Minya et ancien chef de département, il s’est retrouvé du jour au lendemain sous les feux de la rampe. « Le moment où l’on a érigé la statue m’est inoubliable, c’était à la suite de la messe, dans la cour du monastère, perché sur une montagne. Cette terre bénie est le lieu exemplaire pour mon oeuvre sculpturale. La raison, c’est que chaque année, le 21 août, une procession prend lieu au monastère de Dronka, l’une des dernières destinations de la Sainte Famille en Egypte, après avoir fui la Palestine, où le roi Hérode cherchait à tuer Jésus. La statue mesure 9 mètres de long, 4 mètres de large et pèse plus de 10 tonnes. Elle est comparable à celle au sanctuaire de Notre-Dame de Harissa, au Liban. Et ce, à cause de sa couleur en blanc immaculé, signe de pureté et de paix. Il m’a fallu des préparatifs de deux ans, et trois mois pour l’exécuter dans mon atelier à Minya. Puis, sa fonte en bronze dans l’atelier du sculpteur iraqien Anas Al-Allousi, au Caire », raconte Guirguis El-Gawly, très influencé par l’art de l’Egypte Ancienne et ses monuments colossaux. D’ailleurs, il vit, avec sa famille à Minya, entouré de ses vestiges pharaoniques.

« Je cherche avant tout la clarté et l’équilibre, la pérennité et la gloire. C’est ce que j’ai essayé d’appliquer en réalisant la sculpture de la Vierge Marie à Dronka. Celle-ci repose sur un énorme socle de béton, supportant la hauteur », précise l’artiste. Et d’ajouter : « Encore étudiant, mon plus grand plaisir était de visiter la nécropole de Béni Hassan et les ruines de la ville d’Al-Amarna, le site archéologique d’Akhenaton et de Néfertiti, la nécropole de Touna Al-Gabal … », évoque El-Gawly qui travaillait auparavant avec de la fibre de verre et du bois pour réaliser des modèles proches des objets enfouis dans les tombeaux de Toutankhamon, d’Akhenaton, de Ramsès, du couple Youya et Touya et autres.

Outre ses postes universitaires, il a été embauché entre 1990 et 2011 dans l’une des plus grandes entreprises spécialisées dans les répliques de statues égyptiennes antiques : Horus Limited. Avec cette société, il a participé à des expositions internationales au Japon, en France, au Brésil …

Au cours de ses voyages continus entre Le Caire et Minya, il trouvait le temps de se rendre régulièrement au Musée égyptien, à la place Tahrir, qui a laissé un grand impact sur lui.

En 2022, il a été délégué afin d’enseigner aux beaux-arts de la nouvelle Université égypto-russe, sur la route désertique de Suez. Et a pris part à la grande cérémonie, organisée par l’université, afin de célébrer le centenaire de la découverte de la tombe du roi Toutankhamon. Il a réalisé alors une réplique colossale du masque doré du pharaon, mesurant 3 mètres de long. Et ce ne fut pas la première du genre pour lui, car il avait déjà réalisé la statue de Merit Amon, de 9 mètres de long, à la ville de Zagazig, en 2019 ; deux sculptures murales aux motifs pharaoniques, coptes et islamiques, au club Al-Mochah, pont Al-Fangari, à Abbassiya, en 2009 ; quatre statues en fibre de verre : La Paysanne, Antonio, Cléopâtre et Le scribe égyptien, en 2002, chacune de 4 mètres. Elles se dressent de nos jours à l’entrée de la ville de Dendara, en Haute-Egypte. Et en 1999, il a créé une sculpture murale de 45 mètres au sein d’un complexe dépendant des Forces armées à Minya. « Je suis spécialiste de sculptures monumentales. Sur cette dernière oeuvre murale gigantesque, j’ai tenté de représenter les divers aspects de l’Egypte : le Haut-Barrage, la paysanne, quelques monuments phares entre pharaonique, copte et islamique ».

El-Gawly se plaît à reproduire des dieux et des déesses, mais aussi des martyrs et des saints, des symboles nationaux influents ; bref, ceux qui font vibrer les coeurs des Egyptiens.

En 2020, El-Gawly crée au diocèse copte orthodoxe de Samallout, précisément au musée du village d’Al-Our, une immense sculpture montrant les 21 martyrs coptes, tués cruellement en Libye par les terroristes de Daech. Et en 2021, il s’occupe de la décoration de l’église de la Vierge Marie et du pape Kyrollos VI, à Assiout, en y dressant notamment une statue en polyester coloré montrant le pape Kyrollos VI.

Puis en 2022, il sculpte au sein du monastère d’Antoine le Grand, dans la mer Rouge, une immense statue d’environ 8 mètres, représentant ce fondateur du monachisme en Egypte. « Le coronavirus a bouleversé nos vies, la production de sculptures pharaoniques a reculé à cause de la baisse du nombre de touristes. De quoi avoir fait place à la sculpture religieuse », dit-il, souhaitant voir de belles statues sur la plupart des grandes places publiques.

Plus jeune, il n’avait pas rêvé de faire carrière dans le domaine des arts plastiques, mais voulait se spécialiser plutôt en Histoire, notamment celle de l’Egypte Ancienne. Mais en étudiant la sculpture, dans les années 1990, il a réussi à combiner ses deux passions. « La sculpture donne un sens à la matière, elle l’humanise. Car depuis la préhistoire, le corps humain a été son modèle privilégié et presque exclusif », indique cet enfant de la nature.

Il a toujours adoré rester au bord du Nil, presque tous les jours, dans son village natal au gouvernorat d’Assiout, afin de contempler la splendeur sauvage pendant des heures. Son père était un simple agriculteur de la famille Al-Ghanamiya. Il a hérité de lui son grand amour pour la nature et le sentiment d’appartenance à la terre des ancêtres.

« Toutes les familles chrétiennes de mon village aiment porter le nom d’El-Gawly, d’après le pape Boutros El-Gawly, ou Pierre VII (né au village d’El-Gawly et mort en 1852). Il fut le 109e pape et patriarche copte orthodoxe d’Alexandrie et de toute l’Afrique. El-Gawly est aussi le nom d’un prince mamelouk qui remonte au temps du roi Noureddine Al-Zinki. D’ailleurs, la mosquée d’Al-Nouri existe à présent dans mon village », explique ce passionné de l’Histoire.

Brillant élève du collège Moustapha Loutfi Al-Manfalouti, à Manfalout, il trouvait un plaisir énorme à travailler la pierre, mais aussi à créer à partir de toutes sortes de perles bleu-verdâtres. Il les collectait un peu partout, dans le village, ainsi que les petits médaillons portant lettres alphabétiques ou têtes de sphinx.

« Pendant les cours de dessin au cycle primaire, mon professeur appréciait mes créations de pierres à chaux et de calcaire, représentant la tête de sphinx. Il les a même exposées dans la cour de récréation. A chaque fois que je passais devant, je me sentais très fier », se souvient le sculpteur qui se considère comme un « alpha leader » dans son domaine. Et d’ajouter : « Ce n’est pas question d’être le numéro un, pour avoir du pouvoir ou maintenir un rapport de domination, mais c’est pour chercher à influencer les autres par ses actes. Les sculptures de grands formats exigent une grande maîtrise de ses outils, une technicité d’expert ».

Son doctorat a porté sur l’art de la sculpture dans le monde arabe entre identité et aliénation. Donc, toujours en lien avec la grande Histoire. « Si nous ne restons pas fidèles à notre identité, à nos racines, à notre héritage culturel assez riche, comment pourrons-nous créer un art contemporain à la hauteur du présent ? », s’interroge El-Gawly. « Je suis un grand fan du maître sculpteur Mahmoud Mokhtar. Son chef-d’oeuvre Nahdat Misr (le réveil de l’Egypte) traduit, de par son format monumental, son engagement politique et sa passion pour les arts de l’Egypte Ancienne ».

Guirguis El-Gawly se prépare à réaliser une nouvelle sculpture monumentale religieuse. Cette fois-ci, c’est le tour de saint Georges, afin d’être éternisé par les doigts de l’artiste.

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