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A l’académie des apiculteurs

Dina Darwich , Samedi, 23 septembre 2023

Chabchir est le premier village d’Egypte en termes d’exportation du miel. Mais c’est aussi là que les nouveaux apiculteurs apprennent les rouages du métier. Un savoir-faire que les maîtres transmettent aux plus jeunes. Reportage.

A l’académie des apiculteurs
Berceau de l’apiculture, ce village est devenu une grande école où se transmet le savoir-faire du métier d’une génération à une autre. (Photo : Moustapha Emeira)

« Des leçons de persévérance, de détermination et de travail ardu, c’est ce que nous apprenons des abeilles qui forment une colonie bien organisée. Chaque abeille apporte sa contribution individuelle, mais l’objectif de tous est le bien commun. L’abeille est réellement un exemple à suivre », explique Béchir Chahine, apiculteur au village Chabchir, situé au gouvernorat d’Al-Gharbiya, le premier village en Egypte exportateur de miel. Son rucher a pour vocation de former les jeunes apiculteurs. Ce village est le berceau de l’apiculture qui est pratiquée depuis plus d’un siècle. « C’est Ismaïl Etman, un vieil homme du village, décédé l’année dernière à l’âge de 103 ans, qui a lancé la production du miel ici et a pris l’initiative de former la première génération d’apiculteurs », raconte Béchir. Et d’ajouter : « Devenue depuis le pilier de cette industrie, elle a transmis son savoir-faire à d’autres, y compris aux agronomes, quand la production du miel est devenue sous la tutelle du ministère de l’Agriculture dans les années 1940 », raconte Béchir. Et d’ajouter : « J’ai commencé à travailler chez cet homme plein d’expérience à l’âge de 16 ans. Et pendant 10 ans, il m’a appris le secret de ce monde fascinant et mystérieux qui continue toujours à m’éblouir. On recevait des apiculteurs du monde entier pour partager nos expériences et augmenter la rentabilité de la production de miel. Ismaïl Etman a même formé des apiculteurs étrangers. Au fil des ans, je suis devenu un apiculteur chevronné. Un savoir-faire que j’essaye de transmettre actuellement, afin de sauver cette industrie qui fait face à de nombreuses difficultés ».


(Photo : Moustapha Emeira)

Béchir occupe une place centrale au sein de sa ferme, exactement comme la reine des abeilles au rucher. Il gère son fonctionnement avec beaucoup d’enthousiasme tout en guidant les jeunes apiculteurs. Vêtu en combinaison pour se protéger contre les piqures d’abeilles, Ahmad, un jeune apiculteur de 22 ans, tient dans ses mains un enfumoir et envoie de la fumée vers les abeilles. « Une astuce pour calmer les abeilles et visiter la ruche en toute sérénité. C’est vrai que le venin d’abeilles est utilisé à des fins thérapeutiques pour réduire des douleurs inflammatoires, mais plus de 100 piqures peuvent être fatales et tuer une personne ou un animal », explique Béchir en transmettant ses conseils à son équipe de travail. Prenant des précautions, les jeunes apiculteurs visitent la ferme où les ruches d’abeilles sont alignées les unes à côté des autres. Ils soulèvent les couvercles des ruches doucement car tout mouvement violent risque d’exciter les insectes.

Les abeilles,  un monde fascinant

Découvrir le monde des abeilles est réellement fascinant. « Chaque abeille a une tâche bien précise. Postées à l’entrée de la ruche, les abeilles gardiennes contrôlent l’identité des abeilles et s’assurent qu’il ne s’agit pas d’individus d’autres colonies venus piller leurs réserves. Elles veillent aussi à la sécurité de la ruche, empêchant les prédateurs de voler leur miel. D’autres abeilles, les butineuses, sont chargées d’aller collecter le pollen et le nectar sur les fleurs. Mais avant cela, une butineuse explore les environs de son abri (un rayon de 3 km), puis retourne à la ruche pour entraîner derrière elle les autres membres de la ruche dans une danse en zigzag à l’instar du joueur Chikabala lorsqu’il marque un but », explique Sayed, assistant de Béchir. « Les abeilles ventileuses ont pour mission de battre des ailes pendant plusieurs heures par jour pour produire de l’air et ventiler la ruche durant l’été ou de réduire l’impact de la ventilation, afin de la réchauffer en hiver et empêcher toute infiltration de courant d’air en bloquant le passage avec de la cire. D’autres, les abeilles nourricières, sont de jeunes abeilles chargées de produire de la gelée royale pour nourrir les larves présentes dans les alvéoles, ainsi que la reine des abeilles », explique Sayed, qui assure que toutes ces informations sont une véritable richesse qu’il veut transmettre aux jeunes apiculteurs. « Et dans cette colonie où le travail est ardu, les abeilles ouvrières sont celles qui travaillent le plus. Elles se consacrent en premier au nettoyage des alvéoles qui doivent être préparées pour accueillir les oeufs et les larves, ainsi que les réserves de pollen et de nectar ».


La durée de vie de la reine varie entre deux et trois ans. (Photo : Moustapha Emeira)

Le volume intérieur des alvéoles se réduit au fur et à mesure que les naissances se produisent. Pour cette raison, il faut remplacer ces cadres. Car, si les alvéoles rétrécissent, les nouvelles souches d’abeilles seront plus faibles et ne pourront pas parcourir de grandes distances pour cueillir le nectar des fleurs, leurs pharynx seraient plus étroits, ce qui ne permet pas au jabot de contenir une grande quantité de nectar. « Et là, un apiculteur expérimenté doit intervenir pour aider les abeilles ouvrières dans leur mission en changeant ces cadres par d’autres plus larges, et ce, pour obtenir des larves robustes », explique Saad. Avant d’ajouter avec humour : « Dans ce royaume, les mâles n’ont qu’une seule tâche, celle de féconder la reine qui vit entre deux ou trois ans, alors que la durée de vie des abeilles ouvrières est de 40 à 50 jours. Pour être fécondée, la reine s’envole sur une altitude de 3 km au-dessus de la ruche. Elle est suivie des abeilles mâles. On essaie de lui envoyer les plus robustes, car seul le plus fort parvient à féconder la reine. Lorsqu’elle est pleine, elle retourne à son abri, mais le mâle gagnant va être expulsé de la ruche ».

Tout apprendre de l’insecte

Aujourd’hui, la plus importante leçon apprise par les jeunes apiculteurs dans cette académie est d’observer et prendre exemple du mode de vie des abeilles qui travaillent dur pour survivre. « On travaille en Egypte dans des conditions difficiles et bien différentes de celles des autres pays producteurs du miel. L’expansion urbaine qui date de trois décennies ne cesse de dévorer la surface agricole, alors qu’en Europe par exemple, les terrains agricoles sont vastes, ce qui donne aux abeilles l’opportunité de parcourir les vergers, butiner et ramener du pollen et du nectar de fleurs en grande quantité ». Et de poursuivre : « Par contre, ici, nous devrons faire le tour de l’Egypte durant les quatre saisons de l’année, afin de nous rendre dans les endroits où les fleurs poussent », explique Béchir Chahine. « On se déplace vers le côté nord où la pluie permet aux herbes et aux fleurs de pousser, ce qui nous permet d’avoir du miel de montagne. Au mois d’avril, on se rend à Ismaïliya et à Béheira où l’on trouve des champs d’agrumes, puis on retourne pour un mois dans notre village, afin de profiter de la saison de la luzerne, avant d’aller en août dans les bananeraies et les endroits où l’on trouve des camphriers. Une tournée que nous faisons en Egypte pour sauver nos abeilles, car si on reste sur place, elles risquent de mourir de faim. Raison pour laquelle on ramène deux souches seulement : l’abeille africaine et l’abeille italienne qui sont robustes et peuvent supporter toutes ces conditions climatiques et environnementales », confie Chahine.


 Le monde des abeilles, un monde de secrets. (Photo : Moustapha Emeira)

Malgré ces difficultés, l’Egypte continue de produire 30 000 tonnes de miel par an et se place en deuxième position dans le monde arabe. Et les apiculteurs se battent pour maintenir la position de l’Egypte, voire l’améliorer en termes de production et d’exportation de miel.

Si les apiculteurs établissent leur propre calendrier étroitement lié à la présence des fleurs pour nourrir les abeilles, cette transhumance des ruches d’abeilles au rythme des saisons et d’une région à une autre au fil des floraisons donne une certaine particularité au miel égyptien. L’Arabie saoudite se distingue pour son miel de montagne. La Libye par le miel amer. Quant à l’Egypte, elle est réputée pour sa grande variété de miel, vu la diversité des lieux de butinage des abeilles. On trouve le miel de bersim (luzerne), le miel des agrumes, le miel de camphrier, le miel de bananier, le miel de Marjolaine et le miel de nigelle, produit en Haute-Egypte.

« Pourtant, nous faisons face aujourd’hui à de grands défis, et ce, après avoir surmonté, durant ces 20 dernières années, d’autres obstacles. Une maladie parasitaire, le Varroa, venue d’un pays étranger, a frappé certaines ruches et a touché les abeilles domestiques, ce qui a grandement affecté l’industrie apicole et sa productivité. Une sorte de guerre biologique lancée par la mafia des médicaments dont le but est de réduire la production de 80 % pour que les apiculteurs se pressent d’acheter le vaccin disponible sur le marché », avance Béchir.

A ce sujet, le Dr Sayed Hajjaj, professeur d’abeilles à l’Institut de recherche sur la protection des plantes, avait déclaré sur le site du ministère de l’Agriculture que la maladie de Varroa est transmise par une espèce d’acariens parasites qui s’installe au coeur même de la ruche et se multiplie très rapidement, produisant une génération tous les 8 jours. Des parasites qui se nourrissent du sang des abeilles, entraînant leur mort. « On a dû retrousser nos manches pour combattre cette maladie parasitaire et on est sorti vainqueur malgré les dégâts », poursuit Chahine.

Des leçons de détermination, de persévérance et de bonne volonté qui ont été transmises de l’insecte aux apiculteurs. Un insecte que Béchir ne considère non seulement comme un vrai trésor, mais aussi l’une des plus précieuses créatures existant sur la planète. « Il suffit de citer qu’une fois l’abeille pique un être humain, elle meurt. Y a-t-il une créature plus noble que cet insecte à tel point qu’une sourate du Coran porte son nom et parle de l’abeille, et de l’inspiration de Dieu à elle ? », conclut Chahine, qui ne cesse de raconter les histoires, les secrets et la philosophie qu’il a retenus des abeilles. Un moyen pour résister aussi et relancer la production malgré les difficultés, tout en croyant fermement au proverbe égyptien qui dit que celui qui veut du miel doit pouvoir supporter la piqûre des abeilles.

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