Des joailliers en herbe travaillent d’arrache-pied. Une vingtaine de stagiaires, pour la plupart de jeunes filles, fabriquent des bijoux faits main. Entre les fils de cuivre et les plaques d’argent, ils commencent à tracer leur voie dans cette carrière professionnelle pas comme les autres. Inclinée devant une table, une pince à la main, l’une des stagiaires commence à créer un nouveau bijou. C’est l’école de formation en bijouterie de la célèbre joaillière Azza Fahmy, située à Masr Al-Qadima, quartier historique du Vieux Caire.
Dans les locaux de l’école, les cours ont lieu trois jours par semaine. A chaque séance d’enseignement-apprentissage, les thèmes diffèrent. Ici, les apprentis bijoutiers, tout yeux, tout oreilles, suivent attentivement les différentes étapes de fabrication des bijoux. Sabrine, la planeuse, découpe une plaque d’argent aux dimensions bien précises, parfois plate, ou en forme découpe ou de cône. Puis, à l’aide d’un maillet en bois de 30 cm de long, Aliya commence à écrouir le métal en argent. « A chaque étape de fabrication, la pièce est recuite à 700-730°C durant 30 à 60 minutes à l’aide d’un chalumeau, et ce, pour ramollir le métal et l’assouplir. Une fois sortie du four, il faut immédiatement la tremper dans l’eau froide et sans attendre qu’elle refroidisse. Enfin, il faut la passer à nouveau à une température de 300°C durant 30 à 60 minutes ». La jeune stagiaire répète ainsi ce qu’elle vient d’apprendre.
(Photo : Hassan Ammar)
Non loin se trouve Maha, la graveuse. Elle bouche les fissures et les trous avant de commencer par décorer les objets. Abdel-Basset, l’artisan argenteur, trempe les pièces dans un bain électrolytique pour maintenir la couleur argentée. Ensuite vient le rôle du polisseur. Ce nouvel apprenti utilise soit la polisseuse, le moteur suspendu, ou le tonneau à polir. « Nous conseillons aux jeunes d’utiliser la polisseuse, car elle est plus puissante et plus efficace pour faire briller la pièce », explique Aya Mohamad, responsable de l’école de formation Azza Fahmy. « Polir un bijou en argent sur une polisseuse est une activité qui a besoin d’une personne attentive à son travail. N’importe quel apprenti peut facilement commettre une erreur. Si le bijou n’est pas placé au bon endroit au niveau de la brosse, l’artisan bijoutier risque de se blesser. Malheureusement, ce type d’accident arrive souvent. Et dans ce cas, le bijou risque d’être fortement abîmé », poursuit la joaillière Hekmat, diplômée de la faculté des beaux-arts. Enfin, Nada, la perle rare, douée pour ce métier, assemble minutieusement chaque pièce, afin d’obtenir un objet solide et esthétique qui va de pair avec le goût des clientes qui aiment ce genre de bijoux.
En fait, les connaissances techniques, la dextérité, l’art de la finition et de la précision sont des compétences de base qui sont développées dès les premiers cours. Tout étudiant doit aimer ce qu’il fait pour réussir à l’école, tout en continuant à s’exercer chez lui. Chacun déploie des efforts consentis en vue de réussir et surpasser les évaluations semestrielles (quatre semestres s’étalant chacun sur 16 semaines).
Ce métier demande minutie, goût du détail et de la perfection pour réaliser un bon ouvrage. (Photo : Hassan Ammar)
« Nous avons construit une réputation sur le marché local et international grâce à la qualité de notre enseignement. Après avoir terminé la formation en atelier, les uns parviennent à planter leurs projets privés, les autres travaillent en ligne, soit sur Facebook ou Instagram, ou continuent à exercer le métier auprès de créateurs de bijoux contemporains, afin d’exporter leurs oeuvres d’art », signale Azza Fahmy, propriétaire de l’école de bijouterie. Autodidacte, cette dernière pratique le métier depuis la fin des années 1960. Aujourd’hui, c’est une griffe qui s’est forgée à coup de ténacité et de persévérance. Quand elle était toute jeune, Fahmy répétait à sa tante: « Ma très chère, je serai une notoriété ». Et elle a fini par y arriver. Aujourd’hui, Azza Fahmy cultive un chic avec un enracinement très fort dans les racines arabo-musulmanes. Ces bijoux sont gravés de vers soufis d’Al-Halladj, de Omar Ibn Abi Rabia, d’Ahmad Chawqi. C’est son image de marque.
Souq Al-Fadda, la foire aux bijoux en argent
Autres lieux, autres scènes. Au vieux quartier du Caire islamique Al-Hussein se trouve Souq Al-Fadda ou le marché de l’argent. Le nom du marché est très significatif, car très réputé pour ses objets typiquement égyptiens et pharaoniques. Ce gigantesque marché se trouve dans la rue Al-Salhiya, regroupant un nombre élevé d’artisans dont la plupart des hommes. Fringant et coloré, le marché regorge de petites échoppes juxtaposées vendant des bijoux en argent, tout au long de la rue.
Ce métier demande minutie, goût du détail et de la perfection pour réaliser un bon ouvrage. (Photo : Hassan Ammar)
Les marchands qui subliment ce métal entreposent leurs produits de qualité dans de curieuses petites boîtes pour attirer leur clientèle. D’autres exposent fièrement leurs différents objets précieux en vitrines: colliers, bagues, boucles d’oreilles ...
En fait, l’artisan bijoutier effectue un travail de précision fait main qui nécessite une bonne vue, une certaine capacité de concentration et de patience. Il doit également être créatif et avoir un sens esthétique développé. Ce sont les qualités d’Anis Gaber, surnommé « Al-Khawaga », et ce n’est pas par pur hasard qu’il est appelé ainsi. « Depuis plus de 60 ans, je vends des motifs pharaoniques qui vont de pair avec le goût des touristes, à savoir les petites répliques des pyramides de Khéops, Khépren et Mykérinos, des objets à l’effigie des rois et des reines de l’Egypte Ancienne, comme le buste de Toutankhamon, de Néfertiti, d’Osiris ou bien les scarabées qui ornent les bijoux en argent … », énumère Al-Khawaga Anis, qui a commencé à pratiquer la profession depuis son jeune âge et qui fabrique des bijoux inspirés de ceux des pharaons.
A vrai dire, la bijouterie a marqué l’Histoire. Les femmes de l’Egypte Ancienne portaient des bijoux assortis à leurs tenues pour les embellir, et c’est aussi une marque de distinction sociale. Durant l’époque pharaonique, les accessoires étaient faits d’or et d’argent incrustés de pierres précieuses. Et, on plaçait les bijoux d’une personne dans sa tombe pour qu’elle les utilise dans l’au-delà. Plus tard, en 970, ce site historique a été transformé d’un mausolée où on reposait les dépouilles des califes fatimides en un grand marché, très connu à travers le monde.
Des bijoux éternels
Que ce soit une cliente égyptienne ou étrangère, la question est la même. « Comment nettoyer un bijou en argent qui s’est oxydé? La solution est très simple et se résume en trois mots: Bicarbonate de soude, citron et vinaigre blanc », répond Hadj Mazhar, l’un des anciens artisans orfèvres de la rue Al-Salhiya. Il s’arrête un instant puis précise les ingrédients qui ont une relation étroite avec le sujet. « Rassurez-vous, vos précieux bijoux ne sont pas du tout à jeter. L’argent qui noircit est un phénomène naturel, il suffit seulement de savoir comment nettoyer vos objets en argent pour les rendre comme neufs. Déposez le bicarbonate de soude sur une vieille brosse à dent souple humidifiée et récurez patiemment votre bijou. Ou coupez un citron en deux et pressez-le sur un chiffon doux et frottez bien votre bijou », explique Hadj Mazhar les techniques de nettoyage.
Les stagiaires assistent aux cours théoriques et pratiques pour apprendre les rouages du métier.
Ce dernier continue de former et conseiller aux apprentis bijoutiers qui ne cessent de lui poser des questions: « Quel type d’argent pourrait-on utiliser, le pur argent, dit 999? Ou bien le 925? ». La réponse est simple. D’après lui, l’argent 925 est composé de 92,5% d’argent pur et 7,5% d’alliage de cuivre et d’autres métaux communs. En règle générale, quand on veut faire des bijoux en argent, on ne doit pas utiliser d’argent pur. Nous préférons le 925. Car la présence du cuivre permet de modifier les propriétés de l’argent et le rendre plus résistant à la déformation. A titre d’exemple, une bague en argent 925 aurait moins de chance de se déformer sous l’impact des chocs variés qu’une bague en argent pur. Donc, elle serait plus irrésistible. Tandis que dans la technique du Foldforming qui consiste à donner du volume à une plaque de métal, nous pouvons utiliser l’argent 999 pour sa plus grande malléabilité, ce qui permettra d’obtenir plus facilement de volume.
« Moi, personnellement, je préfère porter des bijoux en argent et non pas en or : symbole d’élégance, de modernité et de féminité. Authentique et indémodable au fil des ans, l’argent convient à tous les looks. L’argent agrémente ma tenue et hausse son style. En plus, il n’est pas cher comme l’or », conclut Névine, une cliente fidèle.
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