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Malek Charkawy : Trump dispose de moyens pour mettre fin à la guerre au Proche-Orient

Osman Fekri , Mercredi, 22 janvier 2025

Malek Charkawy, expert des affaires américaines, analyse la politique du président Donald Trump envers le conflit israélo-palestinien et au Moyen-Orient.

Malek Charkawy

Al-Ahram Hebdo : Le président Donald Trump a joué un rôle majeur dans la conclusion de l’accord de cessez-le-feu à Gaza en exerçant des pressions sur Israël. Que sera sa politique envers le conflit israélo-palestinien ?

Malek Charkawy : Tout d’abord, il est dans l’intérêt de Trump que la paix soit instaurée au Proche-Orient afin qu’il puisse tirer parti économiquement des pays du Golfe. Il souhaite donc mettre en oeuvre un projet de paix durable et conclure « l’accord du siècle ». A mon avis, le Proche-Orient figurera en tête de son agenda. Nous nous souvenons tous que lors de son premier mandat, il avait pris une décision historique en transférant l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, ce qui revenait à reconnaître cette ville comme capitale d’Israël. Cette initiative avait été suivie par la reconnaissance du plateau du Golan sous occupation israélienne et par les accords d’Abraham avec plusieurs pays du Golfe.

L’Administration Trump soutiendra Israël dans sa volonté de reprendre le contrôle sécuritaire de Gaza, à l’image de la situation en Cisjordanie. Toutefois, les Etats-Unis préféreraient voir Gaza placée sous l’autorité de l’Autorité palestinienne, contrairement aux aspirations d’Israël. Les récentes évolutions sur le terrain montrent que l’Autorité palestinienne pourrait effectivement jouer un rôle dans la gestion de Gaza.

L’Administration américaine soutient généralement Israël, et Netanyahu agira avec prudence, conscient des attentes de Trump. Israël reste une entité coloniale implantée au Moyen-Orient. Je pense que la situation dans la région se stabilisera dans les six mois suivant l’entrée en fonction de Trump. Une conférence de paix pourrait être organisée, débouchant sur un nouvel accord. Il ne fait aucun doute que Trump sera préoccupé par le conflit au Proche-Orient et qu’il dispose de moyens pour mettre fin à la guerre. Cependant, certaines de ses déclarations, notamment sur Gaza, semblent surtout destinées à attirer l’attention des médias.

Le Proche-Orient qu’il retrouvera en 2025 est très différent de celui qu’il avait quitté en 2021. Les équilibres de pouvoir, qui étaient auparavant relativement stables entre Israël et ses alliés d’un côté, et l’Iran et ses alliés de l’autre, ont été bouleversés au cours des deux dernières années. Les événements du 7 octobre 2023, débutant à Gaza puis touchant le Liban et la Syrie, ont marqué un tournant majeur. Ces changements ont, en grande partie, profité à Israël.

Bien que Trump prenne souvent des décisions imprévisibles, ses politiques passées, ses déclarations actuelles et les nominations de ses conseillers donnent des indices sur ses priorités. Son second mandat pourrait être marqué par des initiatives telles que la conclusion d’un maintien du cessez-le-feu au Liban, l’exploitation de l’affaiblissement du régime d’Al-Assad en Syrie, la limitation des capacités nucléaires iraniennes et le renforcement des accords d’Abraham, notamment avec l’Arabie saoudite. Il est probable que Trump adopte une approche favorable à Israël dans la gestion de ces dossiers, y compris celui de la Cisjordanie.

— Justement, que sera sa politique envers les tensions israélo-palestiniennes en Cisjordanie ?

— La conclusion de l’accord du cessez-le-feu à Gaza coïncide avec les ambitions de l’Administration américaine de normaliser les relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Ces avancées pourraient retarder, mais non empêcher, le projet d’annexion formelle et directe de la Cisjordanie. La nouvelle administration, appuyée par certains dirigeants républicains, s’oppose à une mise en oeuvre immédiate de ce plan, estimant qu’il nuirait à Israël, particulièrement dans un contexte de ressentiment mondial provoqué par les crimes commis à Gaza.

— Quelle sera la position de l’Administration Trump face aux récents développements en Syrie ?

— Concernant la Syrie, Trump a été réservé, affirmant que ce pays n’était pas un allié et que les Etats-Unis ne devaient pas intervenir directement. Toutefois, le renforcement des forces américaines dans la région laisse penser qu’il y a des intérêts stratégiques à protéger, principalement liés au pétrole. Malgré les déclarations précédentes de Trump sur la Syrie, la situation dans ce pays a gagné en importance pour modifier les équilibres régionaux après la chute du régime d’Al-Assad. Assurer l’ordre en Syrie, tout en évitant qu’elle tombe sous l’influence de l’Iran ou de la Russie, est perçu comme une option moins coûteuse pour Israël et les Etats-Unis que de laisser perdurer le chaos. Cette approche est influencée par l’expérience iraqienne. Cela explique la tendance des Etats-Unis et des pays occidentaux à reconnaître le nouveau pouvoir syrien, surtout que ses dirigeants se disent prêts à limiter les influences iraniennes et russes et à contrôler les frontières avec le Liban pour empêcher l’armement futur du Hezbollah. Cependant, leur position reste ambiguë quant à l’occupation israélienne du territoire syrien.

Les Etats-Unis devraient maintenir leur présence militaire et renforcer leur coordination avec les acteurs sur le terrain, y compris Israël. Les relations américano-turques pourraient également évoluer à la lumière de ces changements, compte tenu de l’intersection des intérêts entre les deux pays, en particulier avec un régime turc pragmatique malgré son idéologie. Au Liban, Washington cherchera à stabiliser l’accord de cessez-le-feu en tenant compte des pressions économiques et politiques qui pèsent sur le pays, ainsi que des répercussions stratégiques des développements régionaux, notamment en Syrie, à Gaza et en Iran.

— Qu’en est-il de l’Iran, du dossier nucléaire et des sanctions ?

— Pour Trump, le moment pourrait être opportun pour freiner les ambitions nucléaires iraniennes. Après s’être retiré de l’accord nucléaire et avoir rétabli les sanctions, il pourrait répéter ces mesures. Cependant, ses déclarations sur ce dossier inquiètent Israël, car il a exprimé son intention de négocier un nouvel accord nucléaire avec Téhéran plutôt que de mener une frappe militaire. Israël, incapable d’affronter seul l’Iran, pousse Trump à envisager une action militaire conjointe, ce à quoi il semble réticent malgré les pressions du gouvernement Netanyahu. Cela explique certaines analyses israéliennes selon lesquelles une attaque majeure contre l’Iran pourrait être imminente pour impliquer l’Administration américaine. Toutefois, il est peu probable qu’Israël agisse sans le consentement des Etats-Unis, surtout dans un contexte géostratégique qui lui est favorable.

— Les récentes évolutions au Moyen-Orient auront-elles un impact sur les perspectives de normalisation entre les pays arabes et Israël ?

— Ces changements, qui ont affaibli l’Iran et ses alliés, pourraient favoriser une normalisation accrue avec Israël, malgré l’amélioration des relations entre les pays du Golfe et l’Iran, ainsi que la fracture creusée par la guerre à Gaza entre Israël et les pays arabes. Trump, qui a signé d’importants accords de normalisation au cours de son premier mandat, ne cache pas son ambition de normaliser les relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Les orientations de l’Administration Trump ne devraient pas différer de celles de son précédent mandat. Les récents développements augmentent les chances de poursuivre les accords d’Abraham.

Cependant, l’opposition du gouvernement de droite en Israël aux plans américains pourrait compromettre ces ambitions et ouvrir la voie à des scénarios plus complexes, que l’Administration Trump pourrait avoir du mal à contenir malgré les liens étroits entre les deux pays.

— Comment expliquez-vous la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle ?

— L’une des raisons de la victoire de Trump réside dans le fait qu’il a acquis de l’expérience et a appris de ses erreurs. En plus, il a appris à mieux maîtriser sa nervosité. Il sera sans doute plus prudent et évitera de reproduire les erreurs du passé. Les tentatives d’assassinat à son encontre ont également renforcé sa détermination et contribué à son retour à la Maison Blanche. Je pense que la Russie a joué un rôle dans son retour au pouvoir. Par ailleurs, le retard du Parti démocrate à convaincre Joe Biden de renoncer à sa candidature a affaibli les chances de Kamala Harris et provoqué des tensions internes au sein du parti, augmentant ainsi les chances de Trump. Les erreurs des démocrates ont donc favorisé sa Victoire.

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