A la galerie Picasso, à Zamalek, la rétrospective intitulée 60 ans d’art, de Samir Fouad, offre aux fans de ce grand peintre du figuratif l’opportunité de se balader entre un large et riche éventail de peintures à l’huile et d’aquarelles datant des années 1960 aux années 2024. Fouad est en recherche constante de l’existence humaine à travers le temps.

Une Ophélie se noie dans l’eau.
Une existence représentée par des protagonistes, le plus souvent des femmes peintes dans le flou mouvementé, dans un état d’abstraction et de distorsion dépeignant une peine, un cri d’alarme, une perplexité, une angoisse, une attente, un malaise, une solitude, un mal de vivre, etc. C’est la vie telle qu’il la conçoit en alliant héritage égyptien antique et modernité. « Cette rétrospective de Samir Fouad présente l’évolution de son art, depuis ses premières peintures jusqu’à ses aquarelles emblématiques, réputées pour leur mélange magistral de techniques modernistes dans leur quête de la liberté. Et ce, côte à côte avec des thèmes culturels et sociopolitiques qui ont la capacité de capturer l’émotion humaine comme à créer de l’intemporalité », affirme Nagwa Ibrahim, la directrice de la galerie Picasso et curatrice de l’exposition.
Pour Samir Fouad, l’art est un moyen d’expression essentiel, un pont entre le passé et le présent, né de changements sociétaux et historiques vécus. Il est le résultat d’une énergie artistique dédiée à la représentation la plus vraie du concept du temps.
Né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale dans le quartier huppé d’Héliopolis, Fouad a donné à son art une dimension mondiale et moderne. Et ce, sans jamais se détacher de ses racines égyptiennes. Disciple du grand peintre égyptien Hassan Soliman, il a travaillé avec lui dans les années 1980. Et ce, suite à ses études à Londres, où il a été profondément fasciné par les aquarellistes britanniques, en particulier William Turner et Russell Flint.

Une pose selfie en détresse.
L’influence de Hassan Soliman sur Samir Fouad se révèle dans cette rétrospective qui dépeint, avec une grande habileté artistique et technique, le parallélisme qui existe entre les diverses phases de la vie du peintre et les changements sociopolitiques survenus dans son pays natal, l’Egypte, et dans le monde entier. Dans ses tableaux, il suffit de remarquer ce qui suit : le choix de la lumière, des couleurs, les tenues vestimentaires populaires égyptiennes des modèles, les postures du corps, les sketches rapides au fusain et au crayon noir, la technique du clair-obscur, le jeu de l’ombre et de la lumière, l’usage des monochromes et des différents tons, notamment les tons grisâtres neutres et l’équilibre des couleurs.
Egalement disciple de Ragheb Ayad, Samir Fouad avait l’habitude, dans les années 1970, de fréquenter les ateliers de cet artiste pionnier. Par la suite, entre l’art qu’il affectionne plus que tout et des études en communication et en polytechnique, Fouad se voit profondément marqué par son environnement, faisant ainsi part de sa prise de conscience d’un monde qui perd ses vrais repères. D’où un art qui se situe au plus près de l’être humain.
Le flou et le temps
L’art de Samir Fouad ne se limite pas à plonger le récepteur dans un instant éphémère, à l’exemple des peintres impressionnistes, mais aussi à capturer la lumière et le mouvement, à questionner les normes établies, explorant ainsi des thèmes divers tels que l’identité, la société et la mémoire collective, à l’instar des artistes contemporains et surréalistes.
Le temps est le principal moteur dans l’art de Samir Fouad qui s’intéresse à incarner, sur la toile, l’équilibre entre la stabilité et le mouvement. Fouad use, le plus souvent dans ses peintures, le flou tremblé. Il est dépeint comme un fort vent, un tourbillon, un brouillard qui passe avec puissance et rapidité, par ses protagonistes.
Pour l’artiste, le fait de se détourner des images nettes ne signifie pas du tout se désintéresser du monde. Par contre, le flou incarne un temps qui dépasse les corps et les visages de ses protagonistes qui sont le plus souvent des femmes aux regards mélancoliques.
Dans cette rétrospective, chaque oeuvre raconte une émotion. Chaque coup de pinceau témoigne d’une histoire palpitante, narrée à la fois au passé et au présent. Avec ce temps qui s’écoule, le peintre ne cesse de saisir à sa manière l’instant présent, soit pour figer un moment précis dans le temps, sa fidèle source d’inspiration, soit pour accentuer la fuite du temps, du mouvement, de la contemplation, du souvenir, de la nostalgie … Chez lui, le temps n’est pas seulement un reflet du passé, mais il continue à évoluer, à inspirer, à voyager, comme à provoquer des émotions, un vécu, une mémoire, et surtout une expression de l’humanité. Chaque peinture porte en elle les échos des époques que Samir Fouad a traversées et qu’il continue à vivre au quotidien.
Femmes énigmatiques
Chez l’artiste, la femme, en tenue populaire et au cachet sensuel, est à l’instar d’une Shéhérazade. Une vingtaine de peintures à l’huile dépeignent des portraits de femmes, aux traits égyptiens pas clairement définis, aux corps déformés et aux tenues intemporelles. Ces portraits de femmes, en couleurs contrastées, oscillent entre le fade et le chaud, le lumineux et chaleureux, le flou et le flamboyant, le jaune et l’ocre grisâtre. C’est la magie de l’Orient.
Voici sur l’une de ses peintures, intitulée Al-Naddaha, une naïade ou une femme djinn en noir. Voici également une Ophélie, l’énigme tragique d’une héroïne shakespearienne, une mélodie douce-amère, une victime et un symbole complexe de la souffrance féminine. Elle se noie dans l’eau. Sur une autre peinture figurent trois femmes de la Nubie, de la campagne égyptienne, en robe noire, voire dans un état de deuil. Elles marchent dans « La même direction », titre de l’oeuvre. Une autre femme, en djellaba jaune, fait sa sieste sur un canapé chez elle. Une autre scène qui montre une femme sur un lion, symbole de puissance destructrice, de force, de courage et de royauté à travers les cultures. Des femmes assises ou debout pleurent sans larmes, dans une solitude intense. Elles ont les yeux baissés et le regard dans le vide. En djellaba verte, voici aussi une femme qui se prend en photo dans une pose « selfie ». Elle est censée être heureuse ; néanmoins, elle sombre dans la détresse, avec une pose ironique et un visage fade, perdu et aux traits effacés. A travers cette peinture, Fouad a voulu signaler une perte d’innocence et une identité menacée par la mondialisation.
S’agit-il d’un univers de fantaisie ou de réalité, d’une toile réaliste ou impressionniste ? Dans l’art de Samir Fouad, le tout se mêle à la fois dans la solitude et le flou mouvementé, voire perturbé. Fouad reflète les divers états d’âme de ses protagonistes qui n’arrivent pas à s’exprimer proprement. Chez lui, la femme a l’air faible et solitaire ; elle a le regard fixe, elle hurle de toutes ses forces, parfois même elle est usée par l’âge. Elle s’enferme dans sa caverne et se met à rêvasser. Puis, animée par un tourbillon de vie, elle accorde une touche lumineuse à ce monde grisaillant, lui apportant un peu de romantisme et de sensualité. Dans ce malaise palpable, Samir Fouad, avec des coups de pinceau rapides et successifs qui s’attachent profondément à la forme humaine, au dynamisme du mouvement, en estompant les détails, a le souci de refléter fidèlement la réalité.
A la galerie Picasso, jusqu’au 28 janvier, de 10h30 à 21h (sauf les dimanches). 20, rue Hassan Assem, Zamalek.
Lien court: