« Tu n’as qu’à suivre ta passion ». Nous avons tous entendu ce conseil au moins une fois. Suivre sa passion ou faire de sa passion un métier et une source de revenus sont les slogans les plus « trendy » ces dernières années. Dans les vidéos de motivation, les livres de développement personnel, les sites de recrutement, c’est le même slogan qui revient tout le temps. Dans les médias et les réseaux sociaux, on voit des personnes qui nous expliquent comment ils ont pu faire de leur passion un projet professionnel. Les images d’un photographe au sommet d’une montagne ou de la jeune femme qui adore faire de la pâtisserie et qui a commencé à vendre ses produits en ligne …
L’idée est devenue tendance à tel point qu’elle est désormais pour certains une question existentielle. Trouver sa passion est devenu synonyme d’une quête de sens et de valeur dans la vie, comme s’il fallait à tout prix identifier sa vocation de façon obsessive ou chercher quelque chose d’extérieur à soi. Ainsi, l’idée d’exercer un travail qui nous passionne risque de nous obliger à exclure de multiples possibilités.
Et si suivre sa passion pour réussir était un mythe ? Nombreux sont les experts qui mettent en cause la théorie de la passion, tentant de mettre en valeur d’autres critères de motivation, tels que la rémunération, le contenu du travail, les opportunités de développement et l’environnement dans lequel la personne exerce son métier. Pour eux, une fois dans le monde du travail, il faut faire la différence entre épanouissement et cette projection idéaliste de son rêve d’enfance. Voici pourquoi il ne faut pas suivre « que » sa passion pour trouver sa voie professionnelle.
Un métier, pas un hobby
Une passion est une émotion trop forte, pas toujours ton allié. Ce n’est pas parce que vous adorez un sujet que vous devriez en faire votre carrière. Peut-être vous êtes passionné par la mode ou la musique, mais le fait de les transformer en métier peut être incertain. Pour faire une carrière, d’autres facteurs doivent être pris en compte, tels que vos qualités, vos valeurs et vos compétences. Un métier n’est pas un hobby. C’est un domaine que vous allez exercer tous les jours. Il est donc important que vous puissiez le réaliser même quand vous n’en avez pas envie. Dans votre vie professionnelle, tout compte : vos valeurs, votre nature, vos intérêts, votre personnalité, vos talents.
Le fait de tout reporter en attendant de trouver votre passion peut vous empêcher de trouver votre voie. Le mieux est de vous engager pas à pas dans ce qui a du sens pour vous. Parfois, la passion devient aveuglante au point d’ignorer les réalités du marché, des compétences nécessaires et des besoins personnels, devenant une épée à double tranchant. La passion doit donc être tempérée avec sagesse, guidée par la réalité.
Et puis, pourquoi devrait-on aimer exclusivement une seule chose ? D’après Manal Lotfy, psychanalyste, il y a très peu de personnes qui connaissent leur véritable passion dans la vie. Nombreux sont ceux qui n’ont pas cette envie, soit parce que c’est dans leur caractère ou tout simplement parce qu’ils ne veulent pas se priver de cette diversité de possibilités. Pour Lotfy, suivre sa passion peut être très risqué, surtout en ce qui concerne ses choix de carrière. « Dans le travail, la passion n’est que la conséquence des compétences que l’on développe au fil des ans. Ainsi, suivre sa passion peut faire perdre à la personne beaucoup de temps pour rien ».
Cela peut aussi être un piège dangereux. Tout d’abord parce que personne ne naît avec une passion déjà existante. En plus, dans la vie réelle, la plupart des offres d’emploi ne ressemblent vraiment pas à une passion. Il est donc illusoire de penser que la passion est là, quelque part, à vous attendre et que vous n’avez qu’à la découvrir, et qu’une fois cette passion atteinte, votre vie sera elle aussi passionnante. Premier drame, vous jugez votre vie actuelle comme malheureuse, et votre seul souci devient de trouver votre passion.
L’idée du métier/passion est probablement trop erronée. C’est une façon d’idéaliser la vie et les décisions, alors que la réalité est tout autre. Dans son étude sur 539 étudiants, le psychologue américain Robert J. Valleran confie que 84 % d’entre eux ont une passion. Pourtant, moins de 4 % de toutes les passions citées peuvent avoir une relation avec le travail. Faire d’une passion un métier est donc extrêmement rare.
Tant que vous n’avez pas essayé, vous n’arriverez jamais à découvrir si c’est vraiment votre passion ou vocation. Le conseil « suivre sa passion » part de la supposition que vous ne la connaissez pas. Or, vous ne le saurez jamais avant d’avoir vraiment tout testé et à fond. Vous pouvez adorer dessiner, l’idéal serait de pouvoir en vivre. Car l’idée de le faire et le faire pour gagner sa vie sont deux choses différentes. Les gens sont souvent passionnés par l’idée, mais peu enclins à l’action. C’est seulement après avoir fait une chose sans relâche, traversé des hauts et des bas de cette activité, pendant des mois ou même des années, que vous pourrez dire que c’est votre passion. En plus, il est très fréquent de constater que lorsqu’une passion devient un métier, l’activité qui nous passionne n’est pas forcément le coeur de notre métier. Le plus souvent, d’autres activités sont à mener et prennent la majeure partie de notre quotidien.
Ironie du sort, nombreux ont fini par détester ce qu’ils adoraient. Lorsque la passion se transforme en pression, la personne risque de la perdre en route. Une personne qui peint pour se détendre se trouve obligée de vendre ses toiles pour vivre. Avec le temps, chaque coup de pinceau devient source de pression.
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