Al-Ahram Hebdo : Quel est l’impact de l’offensive israélienne sur la femme palestinienne à Gaza ?
Mona Al-Khalili : La femme palestinienne souffre, que ce soit à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, ou même dans les territoires occupés depuis 1948, et cette souffrance n’a rien de nouveau. Mais depuis octobre 2023, avec la guerre d’extermination que mène Israël, les femmes palestiniennes à Gaza vivent dans des conditions insoutenables sans accès à l’eau, à la nourriture, aux vêtements, aux médicaments ou à tout traitement. C’est encore plus le cas pour les femmes qui ont été forcées de quitter leurs maisons et qui se déplacent continuellement. Au niveau de la santé, la situation est donc désastreuse, spécialement pour les femmes malades.
— Vous avez déclaré que les femmes et les enfants ne sont pas seulement des victimes mais aussi des cibles …
— Les femmes et les enfants sont pris pour cible. C’est d’ailleurs le cas de tous les civils palestiniens. Ils sont victimes des bombardements brutaux sans discernement qui visent des maisons censées être « sûres » et qui abritent principalement des femmes et des enfants. En visant les enfants, les forces d’occupation israéliennes cherchent à tuer les futures générations palestiniennes, et en ciblant les femmes, elles s’en prennent à celles qui éduquent ces générations sur la question de la justice de la cause palestinienne et du projet national. Mais elles cherchent aussi à frapper la reproduction de la population palestinienne. Cela a toujours été leur but : altérer la réalité démographique. Et c’est pour cela qu’elles ciblent les femmes palestiniennes pour justement arrêter la croissance de la famille palestinienne. Par ses actions barbares, le gouvernement israélien viole continuellement le droit international, le droit humanitaire et tous les principes que le monde cherche à promouvoir.
— Que représente la femme au sein de la société palestinienne ?
— La femme a une importance fondamentale dans la société. Elle symbolise la persévérance et la résistance. C’est elle qui préserve les valeurs de la famille, qui transmet la culture et l’héritage nationaux et inculque aux enfants le sens de la détermination, de la justice de la cause palestinienne, de l’attachement à la terre et de la résistance contre l’occupation. La femme palestinienne est aussi une martyre et en même temps un partenaire essentiel dans la bataille pour la libération nationale. Elle joue un rôle crucial dans la lutte contre l’occupation. C’est précisément pour cela qu’elle est prise pour cible par l’armée israélienne.
— Avons-nous un nombre approximatif des déplacées palestiniennes à Gaza ?
— On évalue le nombre de déplacés parmi les femmes (adultes et jeunes filles) à environ un million. Ces femmes ont été forcées de se diriger vers des écoles ou des hôpitaux censés leur servir d’abris, mais qui ne sont pas adaptés et ne sont pas aptes à accueillir les réfugiés. Les conditions sont donc terribles : aucune intimité, un manque d’eau, et donc d’hygiène, qui donne lieu à une propagation rapide des maladies.
— Des rapports des Nations-Unies ont fait état de graves violations des droits de l’homme dans les prisons israéliennes …
— Les prisonnières palestiniennes, comme d’ailleurs les prisonniers, sont victimes de tortures, de violence et d’assauts sexuels. Ces abus sexuels ont lieu non seulement dans les prisons, mais sont aussi perpétrés lors des intrusions israéliennes dans les maisons palestiniennes, ou encore dans les check-points qui séparent les différentes régions en Cisjordanie. Les femmes sont forcées de se dénuder, sont systématiquement victimes de harcèlement verbal. Il s’agit d’un mépris envers la femme. Ces violations ont été mentionnées par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice. Les dirigeants de l’occupation doivent être jugés pour tous les crimes commis à l’encontre des Palestiniens. Ce qui se passe est une guerre ouverte contre l’être humain palestinien.
— Est-ce que c’est l’impunité, l’absence de responsabilisation qui ont donné lieu à toutes ces violations ?
— Il y a beaucoup de témoignages palestiniens à ce sujet. Nous constatons que les soldats israéliens ont le feu vert pour se comporter librement avec toutes leurs impulsions monstrueuses. Donc, rien ne régule leur comportement et rien ne les empêche de commettre de telles atrocités contre les civils palestiniens, en particulier les femmes. C’est pour cela par exemple que vous voyez tant d’images de soldats en possession de sous-vêtements de femmes palestiniennes. Ce qui illustre le caractère barbare de l’occupation et le fait que les soldats israéliens se moquent éperdument du droit international et aussi de leur image face à la communauté internationale.
— Le cadre juridique international actuel est-il suffisant pour protéger les femmes palestiniennes, notamment la résolution 1 325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité ?
— Il y a un cadre juridique international qui concerne les droits de l’homme en général, mais aussi des mécanismes qui concernent directement la protection des femmes en situation de conflits armés, comme la résolution 1 325 du Conseil de sécurité, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou encore les Objectifs du développement durable. Tous ces outils juridiques visent à défendre et promouvoir les droits de l’homme. Cependant, dans le cas palestinien, avec l’agression en cours, ces résolutions et accords n’ont pas été appliqués. Ils ne sont pas adaptés à la réalité de la situation actuelle et par conséquent, ils ont manqué à leur devoir de protéger la femme palestinienne ou d’imposer aux occupants le respect du droit humanitaire. Nous avons donc besoin d’une résolution spéciale du Conseil de sécurité qui se consacre à la condition de la femme palestinienne sous l’occupation, en prenant en compte les clauses du droit international, la responsabilisation et la poursuite judiciaire de l’occupant pour ses actions.
— Les droits de la femme font partie des priorités de la communauté internationale et des organisations féminines. Pourquoi ce silence envers les violations contre les femmes palestiniennes ?
— Il y a un silence face à l’extermination menée par Israël contre les Palestiniens et face au sort de la femme palestinienne. Cette inaction de la communauté internationale est d’autant plus frappante quand on la compare aux efforts et la mobilisation sans précédent pour mettre un terme à la guerre en Ukraine. Ce silence n’est autre qu’une complicité avec l’occupation qui vise à mettre fin à la cause palestinienne, mais notre peuple est conscient de ce fait. Il a su résister dans le passé, et aujourd’hui, il poursuivra sa résistance.
— Il semblerait toutefois qu’il y ait une prise de conscience de la cause palestinienne au niveau des peuples à travers le monde, surtout par la nouvelle génération. Est-ce le cas ?
— L’ampleur des crimes contre les Palestiniens est tellement énorme qu’elle a suscité l’intérêt du monde. La cause palestinienne existe depuis la Nakba de 1948, mais l’extermination en cours et l’exposition (médiatique et par les réseaux sociaux) de ces crimes ont contribué à une prise de conscience de la gravité des crimes israéliens sur le terrain, surtout au sein de la nouvelle génération. Cette dernière a compris qu’un peuple entier souffre de l’occupation, qu’il y a une politique de deux poids deux mesures flagrante et que les résolutions internationales ne sont jamais appliquées dans le cas des Palestiniens. Cela engendre aussi la crainte que cela ne puisse se reproduire ailleurs, à l’encontre d’un autre peuple dans un autre Etat.
— Pensez-vous que ce changement de la nouvelle génération puisse aider à changer la donne ?
— Il faut continuer à élever la voix. Le monde doit faire appel à sa conscience humaine et s’opposer aux crimes commis contre les enfants, les femmes et les vieillards. On a vu toutes les manifestations et les marches de protestations en Occident qui condamnent Israël, appelant à sa responsabilisation et la fin de l’occupation. C’est précisément notre objectif, et malgré le fait que nous tenions la communauté internationale pour responsable à cause de son inaction et sa lenteur, nous continuons à y croire et demandons à ce que le droit international soit appliqué, ainsi que toutes les résolutions des Nations-Unies, notamment la résolution 181. Cette dernière stipule la création de deux Etats en Palestine. Alors que l’Etat israélien a été créé, l’Etat palestinien n’a toujours pas vu le jour. Il faut également que des sanctions soient imposées à Israël qui n’est pas au-dessus de la loi. Cette impunité doit cesser.
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