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Démasquer l’oeuvre artistique

Dina Kabil , Jeudi, 05 décembre 2024

C’est une exposition intitulée A la recherche d’un sens dont les peintures reflètent parfaitement le titre. Une quête mutuelle de l’artiste Salwa Rashad et du spectateur. Une façon de déchiffrer notre réalité sur la base de l’art.

Démasquer l’oeuvre artistique

Sur fond de musique et de chant d’opéra live de Yasmin Zaki, les tableaux de Salwa Rashad déferlaient sous nos yeux, nous, les visiteurs de son exposition, le jour du vernissage. Comme si la mélodie de l’opéra, qui va à merveille avec les scènes quasi théâtrales de certaines toiles, était un guide qui nous invite à pénétrer à l’intérieur de chaque toile, à rêver en les regardant. Ce qui a réussi à faire du vernissage un jour mémorable. Parce que dans cette exposition, tout mène à surprendre le visiteur : d’emblée, l’atmosphère envoûtante d’une artiste bien placée nous fait oublier que c’est son premier solo. En plus, l’emplacement même de la galerie Moulk, espace d’art contemporain géré par de jeunes artistes et situé en pleine Alexandrie aux côtés du Musée gréco-romain rénové, du cinéma Metro et de l’espace Shelter. On dirait que l’ambiance artistique n’est pas pour rien.

L’aspect théâtre que l’on ressent provient probablement de ce groupe de toiles en acrylique des plus récentes et des très attrayantes parce que mystérieuses. Un mystère enveloppe les groupes de personnes qui posent, affranchissant la surface de la toile, adressées vers nous les spectateurs. L’artiste recourt aux masques sur certains visages en laissant la porte entrouverte à toutes les interprétations. Sont-ils des masques pareils à ceux funéraires, connus de l’histoire de l’Egypte Ancienne ? S’agit-il de la mort ou plutôt d’une renaissance ? Le tout rappelle la scène de théâtre : la disposition des corps alourdis et stagnés, alors que les visages sont là, imposants, et affrontant le public. Même couverts de masques, ces visages nous dévisagent. Ils reflètent « la recherche d’un sens », comme l’indique le titre de l’exposition. Comme si l’artiste, Salwa Rashad, recourait aux masques non pas comme une barrière, une entrave, mais au contraire pour aider tout un chacun à fouiller davantage au fond de lui, à la recherche d’un sens, de l’essence.


Des corps alourdis et stagnés, et des visages imposants.

« La recherche d’un sens est aussi la quête de ce qui nous concerne dans une réalité et un moment où nous vivons de violentes transformations et où notre rôle est devenu celui d’un spectateur dans le théâtre de la vie qui assiste à la scène avec le regard d’un contemplateur, en se sentant dépaysé », explique Salwa Rashad dans la note de son exposition.

On dirait que Salwa Rashad a accumulé son savoir à travers les années, ayant passé des années dans la photographie après des études de peinture à l’école des beaux-arts, pour replonger tardivement dans la peinture après une vingtaine d’années de recul. Elle a déjà présenté des oeuvres dans des expositions en commun avec d’autres artistes, mais elle garde ses questionnements qu’elle se pose à elle-même, à l’existence et aux sujets qu’elle aborde pour les épargner à sa nouvelle exposition. Dans la recherche de sens, le visiteur peut suivre ses pas dans l’exploration de l’oeuvre artistique : le groupe de toiles des masques, un autre groupe de corps en aquarelle et un troisième de visages aux yeux vrilles qui rappellent ses clichés de photographie avec la franchise du regard qui vous transperce.


Une femme opprimée.

Et nous les spectateurs ? Comment entamer cette recherche du sens, doit-on suivre les pas d’artistes ou bien déchiffrer l’oeuvre pour en faire sa propre interprétation ? La réponse doit-être recherchée dans les strates superposées les unes contre les autres. Se laisser complètement au feeling de chaque oeuvre, puis éplucher les couches que révèle la toile. Dans une toile, placée au centre de l’exposition, un corps de femme morte, figé, s’imposant verticalement sur le large espace de la toile ; des deux côtés du corps, des fleurs et de nombreuses mains se placent de part et d’autre comme pour porter le cadavre ou le cercueil. Le personnage donne une première impression, non d’une femme morte, mais plutôt opprimée. A la regarder de près, l’on découvre les strates de l’oeuvre, à travers la technique du collage : des petites photos posées qui révèlent son passé, on tombe sur d’anciennes photos de femmes et d’hommes, est-ce sa famille de la classe moyenne, d’Alexandrie, ou bien sont-ils ses patrons ? Les interprétations se multiplient en s’attachant au fil des strates du tableau. L’on se disait : non, si elle était employée, on ne l’auréolerait pas de roses ! Elle est sans doute une femme opprimée, parmi d’autres, qui a payé des prix chers de la famille et de la société.

Fil Bahss An Maana, Exposition de Salwa Rashad à la galerie Moulk jusqu’au 5 décembre 2024. Rue Ahmed Fahmy, près du Musée gréco-romain, Alexandrie.

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