My Favourite Cake (mon gâteau préféré).
A Téhéran, la vie d’une vieille dame peut n’intéresser personne. Dans ce pays où les règles de conservatisme et les mesures de répression sont imposées forcément par le régime politique et les règlements stricts de la police des moeurs, on peut avoir l’impression que les vieilles femmes se ressemblent de par leurs tenues amples et leurs voiles conservateurs. Elles mènent une vie ordinaire avec leurs maris ou souffrent de solitude et de problèmes de santé en tant que veuves, abandonnées par leurs enfants.
L’image qu’on a d’elles peut être ainsi stéréotypée et répétitive. Or, dans My Favourite Cake (mon gâteau préféré), écrit et réalisé par le couple Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha, l’image de Mahin (Lily Farhadpour) est toute autre.
Veuve depuis trente ans, la septuagénaire dont le film raconte l’histoire est bien différente. Mahin est consciente de son âge, de sa solitude, et décide de se rebeller pendant un seul jour. Elle réclame ouvertement son droit à vivre, à aimer et à retrouver un compagnon de route. Elle rompt avec la routine quotidienne, après avoir rassemblé chez elle ses amies de longue date pour un dîner chaleureux.
Les femmes ôtent leurs voiles, parlent de leurs maladies, évoquent leur peur de la mort et leurs anciennes pratiques sexuelles. Elles font l’éloge de l’amour et parlent de la nécessité de trouver quelqu’un. Leur causerie intime est hilarante. Le lendemain, Mahin décide de partir à la quête d’un compagnon, après trente ans de solitude.
Le film a été écrit en solidarité avec les femmes qui réclament leur liberté face au régime conservateur et autoritaire de la République islamique. Le couple de scénaristes-réalisateurs Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha, dont les films audacieux critiquent souvent le régime au pouvoir, a travaillé sur ce projet juste après la mort de la jeune Mahsa Amini, arrêtée par la police des moeurs pour port de vêtements inappropriés. Elle est décédée à l’hôpital après trois jours de coma à cause d’une fracture osseuse, une hémorragie et un oedème cérébral.
Des manifestations se sont ensuite déclenchées réclamant la liberté des femmes et dénonçant l’autoritarisme du régime répressif. « Nous avons décidé de franchir toutes les lignes rouges restrictives et d’accepter les conséquences de notre choix de peindre une image réelle des femmes iraniennes, des images qui ont été interdites dans le cinéma iranien depuis la Révolution islamique », ont déclaré dans la presse les cinéastes qui ont été interdits de voyager pour assister à la première du film à la Berlinale en février dernier. Ils sont encore sous le joug des autorités iraniennes.
Dans un restaurant pour les retraités, Mahin entend une conversation entre un chauffeur de taxi célibataire et ses amis. Elle le poursuit jusqu’à son lieu de travail et le prie de l’emmener chez elle. Ainsi, elle a pu bavarder avec lui tout au long du trajet. Elle finit par l’inviter chez elle et lui prépare des plats savoureux.
L’Iran d’autrefois
A travers les portraits de Mahin et Faramarz, le chauffeur de taxi, interprété par Esmaeel Mehrabi, le film présente des personnages forcés de se soumettre à des règles strictes, imposées par la police des moeurs. Au fond d’eux-mêmes, ils gardent un esprit ouvert et rejettent la rigidité qui s’attache uniquement aux apparences. Sur un ton narratif simple et à l’aide de dialogues sarcastiques, le film nous fait plonger dans la nostalgie de l’Iran d’antan, celui de l’avant-Révolution islamique.
Dans un parc public, Mahin défend une jeune fille arrêtée par la police des moeurs pour port d’un voile inapproprié. Elle s’en prend à l’officier, et conseille à la fille de s’insurger. Elle-même forme un nouveau couple avec Faramarz ; ensemble, ils passent une soirée très agréable. Ils bavardent ensemble, boivent du vin et mangent un repas délicieux ; ils écoutent de vieilles chansons et dansent. Ils partagent la même envie de ne pas être seuls, échangent leurs histoires, leurs craintes …
Mahin porte de très jolies robes et le chauffeur de taxi lui souffle des compliments sincères et touchants. Ils se méfient quand même des conséquences de leur rencontre, non sans ironie : « La police des moeurs va certainement nous forcer à nous marier », dit Faramarz en éclatant de rire.
La femme prépare son gâteau préféré et l’homme s’allonge sur le lit après avoir avalé une pilule bleue. Il trouve la mort tranquillement. Mahin, choquée, tâche de le réveiller en vain. Après ses pleurs, elle passe au lavage de son ami mort, l’enrobe dans sa couverture et l’enterre dans son jardin. Sous des airs mélancoliques, on la voit de dos, assise dans un silence total.
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