On se prend en photo avec Ramsès II, dont la statue colossale veille sur le grand hall du nouveau musée égyptien, près des pyramides, avant de plonger dans une expérience inoubliable au coeur des fresques musicales qui ont marqué l’histoire du cinéma.
Les musiciens de l’Orchestre philharmonique royal, dirigé par le maestro britannique Stephen Bell, commencent par jouer trois chefs-d’oeuvre classiques durant la première partie de la soirée ; le public peut reconnaître des thèmes qui lui sont familiers, car très connus ou repris dans de vieux films. Ahmed Abouzahra, fondateur de la société organisatrice — Arabesque — et père des deux violonistes prodiges, Amira et Mariam Abouzahra, qui se sont produites avec l’orchestre durant sa tournée au Caire, a bien expliqué le choix du programme durant une conférence de presse, tenue avant le jour J : « Cela permettra d’attirer un large public et d’approfondir son appréciation de la musique classique ».
D’une part, le prestigieux Royal Philharmonic Orchestra (RPO), créé à Londres par Thomas Beecham en 1946, est réputé pour avoir enregistré plusieurs musiques de films et ce, outre les arrangements orchestraux de groupes comme Pink Flyod, Abba, Queen, etc.
Le maestro Stephen Bell, qui collabore de temps en temps avec le RPO, et lequel dirige depuis 2022 le RTE Concert Orchestra en Irlande, a souvent conduit des soirées de gala réservées aux bandes originales les plus célèbres de Hollywood et aux thèmes culte.
Et d’autre part, Ahmed Abouzahra, lui-même pianiste de formation classique, cherche à effectuer un travail de vulgarisation, en rapprochant le grand public égyptien de la musique dite savante. Ainsi, durant les deux concerts des 15 et 16 novembre, il a prévu avec l’orchestre une première partie purement classique et une deuxième reprenant les succès hollywoodiens.
En suivant les deux parties, l’une après l’autre, on se rend compte à quel point la musique classique reste une grande source d’inspiration pour des compositeurs qui ont marqué le cinéma moderne tels que Hans Zimmer et John Williams.
Par ailleurs, les morceaux classiques, tous du XIXe siècle, ont été sélectionnés de façon à rappeler des airs de films comme le Capriccio italien de Tchaïkovsky qui accompagne entre autres les événements de L’appel du courlis d’Henri Barakat, avec Faten Hamama (cette oeuvre a été interprétée par Mariam Abouzahra, le 16). Les pièces en question revêtent aussi une forme très libre, de quoi rendre l’oeuvre assez séduisante pour les solistes.
Amira Abouzahra au violon, une sensibilité à fleur de peau.
Caprice et fantaisie
La soirée du 15 a commencé par le Capriccio espagnol, l’une des oeuvres emblématiques de Rimsky Korsakov, avec Schéhérazade, La grande pâque russe et Le coq d’or. Le grand compositeur qui a beaucoup voyagé en tant qu’officier de la marine russe entre 1862 et 1865 a construit son oeuvre sur des mélodies espagnoles. Il l’a d’abord conçue pour être une fantaisie pour violon et orchestre, ensuite il a effectué un rééquilibrage avec les autres instruments, jusqu’à aboutir à sa forme finale. Il mentionne dans son autobiographie que ce qui la rend exceptionnelle est « le changement de timbres et l’heureux choix de conceptions mélodiques et de modèles figuratifs », pour chacune des sections d’instruments, plutôt que son orchestration.
Avec l’arrivée sur scène d’Amira Abouzahra, on a rendez-vous avec le violon du « sensible », celui aux émotions complexes et précises ; on passe en toute aisance du doux au fort, selon le ressenti du moment. La soliste, née en 2005, laquelle a commencé à faire du violon dès l’âge de 4 ans, nous transmet toute une gamme de sentiments. Frissons garantis. D’abord, en jouant Poème, du Français Ernest Chausson, un concerto pour violon et orchestre. Inspiré d’une nouvelle d’Ivan Tourgueniev, Le chant de l’amour triomphant (1881), la mélodie jouée au violon produit un envoûtement, comme décrit dans le récit fantastique.
Ensuite, elle entame la Fantaisie sur Carmen, composée par l’Espagnol Pablo Sarasate en 1883. Amira est à son zénith en interprétant les mouvements de cette fantaisie pour violon et orchestre, écrite sur le thème de l’opéra Carmen de Bizet. Les ornements que comprennent les différents thèmes lui permettent de révéler une grande virtuosité, notamment en jouant l’Aragonaise et la Haberna (l’amour est un oiseau rebelle). L’enfant prodige qu’on connaît dès son très jeune âge se transforme petit à petit en une artiste accomplie.
A 7 ans, elle s’est produite pour la première fois avec l’Orchestre symphonique du Mexique, et depuis elle n’a de cesse de récolter des prix internationaux dont celui de Fritz Kreisler en Autriche et d’Arthur Grimiaux en Belgique. Avec sa soeur, Mariam, plus jeune de 3 ans, elles sont installées à Vienne où elles poursuivent leurs études à l’Université de musique et des arts de spectacle, l’une des meilleures au monde.
Toutes les deux ont reçu une première éducation musicale rigoureuse auprès de leurs parents, un couple de pianistes hongrois et égyptien. Ces derniers leur ont fourni l’encadrement nécessaire et, par conséquent, elles ont développé une grande virtuosité qui a fasciné l’audience des deux concerts de l’Orchestre philharmonique royal (Amira le 15 et Mariam le 16).
Le père avec ses deux filles. Mariam vient de remporter le concours international de violon Viotti, le mois dernier.
Musiques de films
Le décor du Grand Musée, les inscriptions hiéroglyphiques sur les murs, les formes pyramidales tout autour, bref l’architecture époustouflante des lieux, ont accentué cette fascination.
Très éclectique et versatile, le chef d’orchestre Stephen Bell s’adapte à des contextes divers et noue un contact facile avec les différentes audiences. D’un sourire chaleureux, il accueille favorablement les applaudissements, parfois trop précipités du public égyptien, et nous emporte durant la deuxième partie du concert dans l’univers des superproductions et de la magie cinématographique.
Les bandes sonores de Hans Zimmer, de Howard Shore, d’Alan Silvestri et de Ramin Djawadi se suivent. Il s’agit de Pirates des Caraïbes, Gladiator, Le Seigneur des anneaux, Forrest Gump, Interstellar, Inception … Le programme de la deuxième soirée a englobé lui aussi d’autres bandes sonores qui ont fait date.
Zimmer et John Williams se sont taillés la part du lion, étant considérés comme deux maîtres incontestés de cette discipline. Mais la soirée du 15 s’est terminée sur une mélodie de la série TV Game of Thrones, composée par Ramin Djawadi. Les thèmes épiques de celui-ci ont fait le tour du monde ; vu leur succès, il a organisé une série de concerts, le Game of Thrones live concert experience, mettant en avant les morceaux qui incarnent l’ambiance de cette saga médiévale fantastique, nous faisant voyager dans un ailleurs lointain. Les musiques et images s’entremêlent dans nos têtes.
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