L’industrie de la Bande Dessinée (BD) essaie de se frayer un chemin en Afrique. Pour atteindre cet objectif, Abuja, la capitale du Nigeria, vient d’accueillir la première édition de l’initiative « Capital City Comic Con » destinée à mettre l’industrie des BD et des illustrations sur les rails dans ce pays africain. « C’est un événement qui célèbre la culture, l’animation, la BD, bref la culture POP (populaire) », a dit Emmanuel John, patron de Creative Art Studio, l’un des participants à l’initiative. Au Nigeria comme en RDC ou en Côte d’Ivoire, l’industrie de l’art de la BD et des illustrations prospère. Selon Eris Elkanem, auteure nigérienne de BD chez la maison d’édition Zikoko : « Nous devons tenir compte de la façon dont les gens conçoivent cet art aujourd’hui et l’adaptent à leurs besoins ». Et d’ajouter: « Il est impératif de promouvoir la BD qui peut être utilisée dans des domaines comme la publicité, la narration et la célébration des héros africains. Ce produit artistique a donné lieu à un vaste marché générant des emplois et révélant de nouveaux talents ». D’ailleurs, tout comme en Afrique francophone, l’industrie de la BD et des illustrations est en plein essor en Afrique anglophone. L’Afrique du Sud a accueilli sa quatrième édition du festival Capital City Comic Con qui s’est tenue à Naserc à Johannesburg, en août 2024. C’est lors de cet événement que l’artiste sud-africain Trevor Nagwenva a présenté son dernier projet, il s’agit d’un super-héros inspiré du roi Shaka, un roi sud-africain très vénéré pour avoir uni les tribus zouloues. Par ailleurs, c’est dans le cadre de la Saison Africa 2020 que l’initiative BD20/21 a réuni plusieurs grandes manifestations qui ont permis de découvrir toute la diversité et la richesse de la création bande dessinée africaine.
Peu de maisons d’édition
Cependant, et en dépit de ces efforts pour promouvoir le développement de l’industrie créative en Afrique, celle-ci ne représente que 5 % du marché mondial des industries créatives évalué à 2,4 milliards de dollars. Et ce, pour des raisons aussi économiques que culturelles. En RDC, c’est le facteur économique qui empêche l’épanouissement complet de cet art. « Ce sont des maisons d’édition étrangères qui publient mes oeuvres. Ma dernière bande dessinée, qui s’appelle Mbote Kinshasa, est vendue à 25 dollars, ce qui est inaccessible au commun des Congolais », souligne le bédéiste congolais Kash Thembo. « A cela s’ajoute le fait que le secteur de l’industrie créative en RDC a été longtemps négligé à cause de la crise économique qui frappe le pays depuis des décennies, un fait qui n’encourage pas les opérateurs économiques à investir dans ce domaine considéré comme peu rentable », souligne un autre bédéiste congolais, Dan Bomboko. Ce dernier a décidé de prendre les choses en main et a publié une revue bimestrielle nommée Bulles et Plumes qui était un mélange de presse écrite et de bande dessinée. La demande croissante du public congolais sur cette forme d’art l’a poussé trois ans après à monter sa propre maison d’édition, la maison Elondja, qui fait la promotion de la lecture en mettant à la disposition des lecteurs des ouvrages à bas prix. « Pour réussir une telle stratégie, nous avons eu recours à un sponsor, afin de réduire le coût de l’impression. Cela nous a permis d’éditer des BD d’une qualité raisonnable et de les vendre à un prix à la portée de tous », souligne Dan Bomboko. D’ailleurs, les défis qui planent sur la diffusion des BD ne sont pas propres à la RDC. Ils existent dans la plupart des pays africains à des degrés différents. Presque partout, le problème de l’édition est le même. Il existe peu de maisons d’édition spécialisées dans la publication des albums de BD. Les langues ethniques constituent également une autre barrière. Cependant, et en dépit de ces contraintes, le personnel du secteur tente de faire la promotion de cet art en organisant des festivals qui sont un outil de promotion essentiel et une occasion de rencontrer les artistes, les diffuseurs et les éditeurs. La tenue régulière de ces festivals finira par promouvoir le 9e art.
Yirmoaga, Dago et Monsieur Zézé
Après près d’un siècle d’existence, la bande dessinée africaine a développé ses propres héros devenus des personnages emblématiques. Au Rwanda, la BD Matabaro conte les aventures d’un jeune garçon dont le nom signifie le Brave. Différents thèmes y sont abordés comme l’enfance, le rapport entre la ville et le village, l’exode rural… Il y a aussi les personnages de Yirmoaga au Burkina Faso, Dago et Monsieur Zézé en Côte-d’Ivoire, Boy Melakh et Goorgoorlou au Sénégal. Cependant, la BD africaine a évolué avec le temps, et au côté des contes traditionnels, on a vu émerger une nouvelle vague de BD ayant pour thème l’Afrofuturisme. C’est le cas de l’album Anaki où l’aventure se déroule sur l’île de Tazeti, symbiose entre l’Homme, la Bête et la technologie. Là, les vaisseaux humanoïdes croisent les hommes insectes. « Puiser dans la science-fiction est une façon d’intégrer nos cultures et nos valeurs dans un univers moderne », souligne Nathanaël Ejob, scénariste et illustrateur au sein du collectif Zebra Comics. La BD Hellalsteen raconte l’histoire postapocalyptique d’un pays africain en l’an 3000 envahi par des extraterrestres qui ont réduit en esclavage les autochtones. « C’est une sorte de métaphore pour aborder la question de l’esclavage de façon digeste », souligne l’auteur Martini Ngola, dessinateur et membre du collectif Blcktrek. Il s’agit pour lui ici d’une manière d’aider les jeunes à surmonter les obstacles, afin qu’ils soient fiers de leur culture, conclut-il .
Une histoire vieille de 110 ans
La première revue renfermant de la bande dessinée, au sens moderne du terme, date de la Première Guerre mondiale. Le Karonga Kronikal, magazine humoristique, a publié six numéros (de 1915 à 1916) qui furent édités au Malawi par le Livingstonian Mission Press pour divertir les troupes britanniques de Jan Christian Smuts. Mais le vrai début de l’industrie de BD était dans les années 1950 dans le nord du continent. L’hebdomadaire égyptien Sabah Al-Kheir était le premier à publier, en 1953, des dessins très populaires signés Higazi et Ehab. De 1950 à 1960, le magazine pour enfants Sindbad présentait des récits illustrés (Aventures de Zouzou, par le dessinateur Morelli et Les voyages de Sindbad), fruit du travail de dessinateurs égyptiens tels Ettab, Labbad ou Koteb. La réussite de ce journal incite un autre éditeur à publier également de la BD à partir de 1956. La revue pour enfants Samir publie en langue arabe des adaptations de Tintin et Spirou. Les premières histoires mises en image en Afrique noire furent celles de NY Ombalahibemaso (Madagascar) inspirées de l’ouvrage éponyme du révérend père Rahajarizafy et dessinées par Jean Ramamonjisoa. Les éditions Saint-Paul de Kinshasa ont inondé le continent avec des oeuvres publiées en langues locales comme le Lingala, le Swahili, le Kikongo, le Malgache et le Tshiluba. Ces oeuvres ont connu un grand succès.
Lien court: