En plein air, les résidents de la maison de retraite Al-Baquiyat Al-Salehat, dans le quartier d’Al-Moqattam au Caire, ont déjà pris place sur la terrasse donnant sur le jardin, juste en face des locaux d’hébergement. Un espace à l’air libre qui allie calme, confort et sérénité. C’est là que se rassemblent les personnes atteintes d’Alzheimer pour vivre l’expérience de se retrouver ensemble après avoir perdu leurs repères. Sur les rythmes de belles chansons d’anciens chanteurs comme Mohamed Qandil et Oum Kalsoum, l’art-thérapeute Ayat Al-Khatib, toujours souriante, invite l’un des résidents à se joindre à la danse en l’encourageant à bouger légèrement son corps au rythme de la musique, faisant un peu de sport sans s’en rendre compte. « Au début du séjour, il arrive parfois que certains refusent de participer aux activités ; pour d’autres, cela peut durer des mois. Je me souviens d’un homme qui souffrait de dépression. Il ne pouvait pas formuler des mots dans une phrase avec un sens logique. Il avait des difficultés à reconnaître les visages et se tenait toujours à l’écart des autres pensionnaires. Aujourd’hui, après six mois d’activités collectives, il est devenu sociable et capable de chanter une longue chanson d’Oum Kalsoum du début jusqu’à la fin, sans même oublier un mot », déclare Ayat. Elle est fière de ce résultat, car cet homme âgé est devenu le chanteur du groupe musical de l’association.
Franchir le cap des malades d’Alzheimer n’est pas toujours évident, car cela dépend du stade de la maladie, qui peut être léger, modéré ou grave. En s’éloignant de la salle où se déroulent les activités interactives, on découvre d’autres espaces réservés aux cas les plus graves. L’air hagard, les malades atteints de déficit cognitif relativement grave sont allongés sur des lits, jetant des regards égarés sur les visiteurs. Ici, les soins personnels sont primordiaux, car les aides-soignants doivent respecter certaines consignes, comme celle de changer régulièrement la position des malades alités en alternant entre la position allongée et la position assise pour éviter les escarres.
En fait, la maladie d’Alzheimer ne se guérit pas. Nous ne connaissons pas la cause principale de la maladie, ni comment la guérir, mais il existe des facteurs de risque qui peuvent mener à la démence ou à la maladie d’Alzheimer. Ces facteurs sont liés à des maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète, ou peuvent survenir à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC) et de l’addiction au tabac.
Cependant, une prise en charge adaptée pourrait ralentir la progression de la maladie et améliorer la vie du patient, et c’est ce que tente de faire l’équipe d’Al-Baquiyat Al-Salehat pour éviter la détérioration de l’état de chaque malade. Des médecins spécialistes en gériatrie, des neurologues, des nutritionnistes et des auxiliaires de vie pour personnes âgées sont là pour coordonner l’ensemble des soins et assurer une prise en charge globale adaptée à chaque malade. Un travail laborieux et une mise à jour continue se font au sein de l’association pour aider les personnes atteintes de cette maladie afin qu’elles puissent mener une vie plus ou moins normale.
« C’est ma mère, Abla Al-Kahlawi (1948-2021), prédicatrice de renom, qui a eu l’idée de créer l’association. Cette fondatrice voulait aider les personnes âgées atteintes d’Alzheimer, car la maladie affecte la mémoire et cause des pertes de repères chez le malade. Elle a beaucoup réfléchi avant de lancer son projet, cherchant comment améliorer les conditions de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, qui engendre un déclin des facultés cognitives au point d’oublier les noms des membres de sa famille. Une maladie qui peut évoluer vers une perte d’autonomie, avec la difficulté de réaliser certains gestes quotidiens », déclare Marwa Yassine, présidente de l’association.
Les résidents d’Al-Baquiyat Al-Salehat participent à des activités qui jouent un rôle important dans leur épanouissement.
L’idée d’aider les malades d’Alzheimer n’est pas venue à l’esprit d’Al-Kahlawi du jour au lendemain. Au départ, il y a eu le témoignage d’un fils racontant avoir déployé tous ses efforts et son temps pour prendre soin de sa mère atteinte d’Alzheimer et le sentiment de faute qu’il ressentait. A bout de forces, cet homme a demandé à Dieu d’alléger son fardeau. Sa mère n’a pas tardé à rendre son dernier souffle, et le fils a ressenti un profond sentiment de culpabilité. « Au départ, l’objectif de la création d’Al-Baquiyat Al-Salehat en 2004 était de présenter la charité aux pauvres. En 2008, ce fut un nouveau départ en travaillant autrement pour aider les personnes âgées atteintes d’Alzheimer, car aucun endroit ne fournissait des soins avec accompagnement et surveillance 24 heures sur 24 pour ces malades lors des moments de faiblesse incontrôlable », raconte Marwa. L’association a lancé des séances de formation du personnel sur les soins aux malades d’Alzheimer. Des experts et des médecins ont contribué à la formation de l’équipe qui partage le quotidien de ces malades afin de réussir cette expérience et garantir la durabilité de ce projet.
Une nouvelle vie
Un autre moyen d’arrêter la détérioration de la mémoire est de profiter des carrières que les malades ont exercées pour stimuler leurs capacités mentales. Ahmad en est un exemple. « J’ai exercé le métier d’ingénieur agronome et je m’occupe actuellement de l’entretien du jardin, où je prends soin des arbres. Je suis heureux de continuer à travailler à 76 ans », dit-il. Il ne se souvient pas de ses débuts au sein de l’association, mais il est content de vivre à côté de son travail, c’est-à-dire le jardin, ce qui lui évite le transport, les embouteillages ou le stress.
Selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), le nombre de personnes atteintes d’Alzheimer s’élève à 400 000. « Ce chiffre n’est pas précis, car il y a des cas d’Alzheimer dont la pathologie n’a pas encore été identifiée », précise Abdel-Hamid Ibrahim, professeur adjoint à la faculté de médecine de Béni-Soueif, spécialisé en neurologie et médecine gériatrique. D’ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a signalé que les cas de démence et d’Alzheimer pourraient considérablement augmenter dans les pays à faible ou moyen revenu, comme l’Egypte, à mesure que ces pays voient leur population vieillir. D’après le ministère de la Solidarité sociale, le nombre de personnes âgées en Egypte s’élève à 9 millions.
Ces chiffres exigent donc la création d’autres maisons de retraite qui offrent des services à ce type de malades. Al-Baquiyat Al-Salehat, quant à elle, ne pose pas de conditions pour accueillir les personnes atteintes d’Alzheimer. Il s’agit d’un système de solidarité qui repose en principe sur les donations. Les riches qui en ont les moyens paient une somme supérieure pour couvrir les frais des résidents qui n’en ont pas les possibilités. L’essentiel est de trouver une place disponible au sein de cette maison de retraite, où le nombre de résidents s’élève à environ 160, tandis que la liste d’attente en compte 300. Par ailleurs, le coût pour un malade d’Alzheimer à Al-Baquiyat Al-Salehat s’élève à 40 000 L.E. par mois.
« Nous devons connaître le parcours de vie de chaque malade pour favoriser le lien social avec les autres résidents et rendre son séjour agréable. Nous essayons également de trouver des activités compatibles avec ses compétences pour occuper son temps et lui permettre de continuer à jouer un rôle dans la vie », affirme Moustafa Ibrahim, responsable de la protection sociale à Al-Baquiyat Al-Salehat. Il pense que le mot-clé est de prendre en considération les propres intérêts des résidents pour que chacun garde espoir en l’avenir.
Bien que les enfants qui déposent leurs parents dans ces foyers soient souvent mal vus, il est temps de changer ce cliché. En fait, la famille, et précisément les enfants des malades, ne réservent une place qu’après avoir vécu des moments difficiles qui ont eu un impact sur leur vie quotidienne. « C’était difficile pour moi de placer ma mère en maison de retraite, mais elle avait atteint un stade grave. Elle ne se rappelait plus qui j’étais et avait complètement oublié tous les noms de ses proches. Au moment des repas, elle n’utilisait plus ses mains et mangeait comme un chat avec sa langue. Depuis son séjour à la maison de retraite, elle a amélioré sa concentration et a recommencé à utiliser ses mains en mangeant. En plus, elle a retrouvé quelques traits de son caractère en exigeant d’entrer dans la cuisine de l’établissement pour donner ses conseils culinaires lors de la préparation du repas principal, qui est le déjeuner », décrit Tamer, enfant unique et fils d’une résidente à Al-Baquiyat Al-Salehat. En tant que guide touristique, il doit voyager au moins une fois par mois pour accompagner les touristes. Mais, dès son retour, il rend visite à sa mère chaque jour, quand il peut.
« Durant les fêtes ou la saison estivale, la maison de retraite accorde quelques jours de vacances aux résidents. Ces derniers les passent en famille, loin de la maison de retraite. Ce n’est pas par ingratitude que les enfants placent leurs parents en maison de retraite, bien au contraire, c’est plutôt bénéfique pour ces malades, car le personnel qui travaille ici est spécialisé et prend soin des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer », souligne Moustafa Ibrahim.
Le personnel hautement qualifié facilite les tâches au quotidien.
Par ailleurs, l’association cherche à améliorer ses services. Elle gère la maison de retraite sur des bases scientifiques tout en cherchant à parfaire continuellement les connaissances de l’équipe de travail pour améliorer la qualité du service. « Nous allons créer une académie sur la maladie d’Alzheimer comprenant plusieurs volets, organiser des stages de sensibilisation pour les familles des malades et former le personnel avec des informations médicales sur la maladie d’Alzheimer, des informations sur l’alimentation, la physiothérapie et les modifications psychologiques et comportementales des malades. Cela permettra aux stagiaires d’imaginer ce que peut ressentir une personne atteinte d’Alzheimer grâce à cette formation pratique », déclare Abdel-Hamid Ibrahim. En plus, cette académie jouera un rôle dans le diagnostic précoce d’Alzheimer afin de prévenir cette maladie autant que possible, ainsi que de réduire le coût élevé de la prise en charge et du traitement. A l’exemple du Japon, qui a créé le Sudoku, un jeu divertissant et bénéfique pour la santé mentale. Il a été constaté que ceux qui se livrent à des activités mentales ont moins de risques de développer la maladie d’Alzheimer.
L’association inaugurera, en mars 2025, un hôpital situé à proximité de la maison de retraite. Cet établissement de santé sera en mesure d’accueillir des personnes atteintes d’Alzheimer en cas de besoin. L’association a déjà créé une application mobile qui permettra de suivre les cas d’Alzheimer à domicile afin de pallier le manque de places. « Cette application facilitera les tâches en suivant les malades pris en charge par leurs familles ou les aides-soignants. C’est un service de suivi des patients avec un traitement continu et adapté à chaque malade », conclut Ahmad Al-Fiqui, directeur exécutif d’Al-Baquiyat Al-Salehat.
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