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Enfants de la lune : Vivre dans le noir

Chahinaz Gheith , Mercredi, 13 novembre 2024

Ils sont atteints de Xeroderma Pigmentosum, une pathologie rare, mais ils sont davantage connus comme les « enfants de la lune ». Absolument intolérants au soleil et aux rayons ultraviolets, ils doivent s’en protéger toute leur vie. De quoi rendre leur quotidien bien compliqué. Focus.

Enfants de la lune : Vivre dans le noir
Les personnes atteintes ne tolèrent pas les rayons ultraviolets, car elles ont une peau 4 000 fois plus sensible qu’une peau ordinaire.

C’est seulement quand il fait noir qu’elle peut l’enlever. Quand il fait jour, Merna Ahmed, 13 ans, doit porter son niqab (voile intégral) pour protéger l’intégralité de sa peau du soleil. « Tu sors au soleil, tu meurs », lui disent ses parents. Merna est une enfant de la lune, des personnes atteintes d’une pathologie qui les rend extrêmement sensibles aux rayons ultraviolets (UV). La maladie a commencé à se manifester il y a 7 ans, sous forme de taches de rousseur, avant que n’apparaisse le premier bouton sur le visage. Le père n’hésite pas beaucoup avant de se rendre chez le médecin avec sa fille. Le premier diagnostic n’inquiète pas : une allergie passagère qui disparaîtrait dans quelques jours. Mais avec le temps, la situation s’est compliquée et les taches de rousseur se sont multipliées. Il emmène sa fille à plusieurs hôpitaux, le 57357 pour les enfants cancéreux, Al-Demerdach, Al-Houd Al-Marsoud et Al-Qasr Al-Aïni. Le diagnostic finit par tomber : les pédiatres et les dermatologues confirment tous que Merna est atteinte d’une maladie génétique rarissime, appelée Xeroderma Pigmentosum. Ils avertissent les parents qu’elle ne supporte pas les UV et que sa peau est « 4 000 fois plus sensible qu’une peau ordinaire ». « Le soleil provoque des lésions dermatologiques et ophtalmologiques. Sans protection, ma fille risque d’atteindre des cancers et de devenir aveugle en quelques mois. Et il n’existe à ce jour aucun traitement », explique le père Ahmad Aziz, originaire de Gharbiya, tout en soulignant le grand dilemme dans lequel il s’était retrouvé, en découvrant qu’il devait suivre des procédures exceptionnelles pour protéger son enfant des complications de cette maladie dont il n’avait jamais entendu parler.

Un quotidien chamboulé

Et au choc du diagnostic succède celui de la bataille à mener. Il raconte qu’au début, Merna ne sortait de chez elle qu’une fois par semaine pour aller à l’école, en portant un niqab blanc en plusieurs couches superposées, des gants et des lunettes de soleil. Cependant, et bien qu’elle fût couverte de la tête aux pieds, cette fréquence a suffi à aggraver sa maladie. La petite a donc dû quitter l’école et s’est retrouvée isolée, sans vie sociale. « Aller à l’école était un grand obstacle. Ma fille a souffert de nombreux troubles psychologiques en raison des moqueries directes de ses camarades d’école, à cause du niqab blanc qu’elle portait alors que sa mère ne le portait pas, et elle ne savait pas comment répondre à leurs commentaires cruels », confie Aziz, tout en assurant que la vie de sa famille a changé du jour au lendemain. Et d’ajouter : « Quand on a un enfant de la lune, il faut avoir un rythme de vie totalement adapté aux besoins de l’enfant. Autrement dit, c’est un immense défi. S’apprivoiser à une vie où, désormais, il faudra attendre la nuit pour que Merna puisse accéder sans protection aux plaisirs les plus simples, comme marcher dans la rue ou courir dans un jardin. Et ce n’est pas seulement le soleil qu’il convient d’éviter, mais toutes sortes de lumière produisant des UV, y compris les lumières artificielles. Il faut couvrir les vitres de la voiture si on sort, changer l’éclairage domestique, acheter des filtres, des ampoules Led, des rideaux opaques et vivre dans le noir ».

Bref, toute la famille essaie de s’adapter et de relativiser. Sans oublier l’utilisation des crèmes solaires et hydratantes trois fois par jour et les examens radiologiques et les rendez-vous médicaux tous les trois à six mois. Un coût très élevé. « Ces crèmes sont devenues très chères. Un seul tube de crème coûte entre 1 800 et 2 000 L.E., et ma fille en a besoin d’un par semaine ».


Il est difficile de trouver en Egypte les combinaisons spéciales qui protègent les patients.

Stigmatisation et isolement

Reste le regard d’autrui. Si Merna a réussi à fuir les moqueries de ses amies en se cachant derrière son niqab. Amr, âgé de 11 ans, ne l’a pas, d’autant qu’il n’est pas du genre à rester cloîtré. Aucune anomalie n’a été détectée à sa naissance, mais plus il grandissait, plus sa peau se pigmentait. Concernant les difficultés de Amr avec le harcèlement, sa mère Azza, vivant au gouvernorat de Béheira, raconte : « Quand mon fils était allé à la maternelle, il a constamment été victime de stigmatisation et de harcèlement de la part de ses camarades, y compris des enseignants. Tout le monde fuyait loin de lui, ne souhaitant pas interagir avec lui à cause de son apparence étrange et de ces taches de rousseur couvrant son visage, croyant que c’est une maladie contagieuse. Et comme il n’existe pas en Egypte de casque et de matériels adéquats, je lui ai fabriqué une cagoule et il portait des lunettes de ski pour le protéger du soleil qui brûlerait sa peau et pourrait entraîner sa mort. Mais les gens ne cessaient pas de demander pourquoi il portait cette cagoule qui lui faisait ressembler à un monstre, et pourquoi il portait des gants en été ». Et malgré cette protection constante contre les UV, Amr n’a pas échappé au cancer de la peau. A l’âge de six ans, il a subi sa première intervention chirurgicale pour retirer cinq petites tumeurs de son visage, suivie d’une seconde opération plus tard pour retirer d’autres tumeurs. « Chaque fois que j’emmène mon fils chez les médecins, je vois leur étonnement qu’il soit encore en vie », confie la mère les larmes aux yeux. Et de poursuivre : « Laissez-le vivre normalement, il va mourir avant 15 ans et on ne peut rien pour lui », alors que le rêve de son fils est de devenir un jour footballeur et de vivre un jour sous le soleil sans crainte.

Souffrance, isolement, discrimination et marginalisation, c’est ce que vivent les enfants de la lune. En effet, le Xeroderma Pigmentosum, cette maladie génétique, orpheline et très rare a été découverte pour la première fois en 1870 dans la capitale autrichienne, Vienne, par le médecin Moritz Kaposi.

Les recherches médicales indiquent que les mariages consanguins sont la cause principale de son apparition, d’autant plus si les deux parents sont porteurs du gène. D’où le fait que les médecins recommandent vivement d’éviter ces liaisons entre membres de la même famille. « Le Xeroderma Pigmentosum est une maladie qui se transmet de génération en génération. Pour qu’elle s’exprime, il faut que l’enfant hérite d’une copie du gène muté de la mère et d’une autre du père. Les parents peuvent donc être porteurs sains. Ces derniers possèdent chacun un seul exemplaire de gène muté, mais peuvent le transmettre à leur enfant qui, lui, déclarera la maladie », précise Dr Heba Ahmed, chercheuse au département de la génétique clinique au Centre national des recherches, tout en ajoutant qu’il est nécessaire de prévenir les maladies héréditaires le plus tôt possible en faisant une analyse de gènes, afin d’éviter ceux qui sont porteurs de la maladie.

Méconnaissance et désintérêt

Selon l’Organisation mondiale de la santé, en Europe et aux Etats-Unis, les cas de Xeroderma Pigmentosum restent rares. Seulement 1 à 4 sont comptés pour 1 million. Dans les pays de la région MENA, la moyenne passe à près d’un cas pour 100 000 personnes. Toutefois, d’après Dr Heba Ahmed, il n’existe pas en Egypte des statistiques officielles permettant de dresser des chiffres exacts. Pourtant, il suffit de signaler qu’au Centre national des recherches, on peut trouver une cinquantaine de cas dont certains sont à un stade avancé de la maladie en raison de la méconnaissance de sa dangerosité. « Cette maladie peut être diagnostiquée au cours de la première ou de la deuxième année après la naissance. Parfois, elle peut apparaître même à un âge plus avancé. Ses symptômes peuvent apparaître au niveau de la peau, de l’appareil auditif, de la vue, mais aussi au niveau du cerveau, entraînant ainsi un retard et une détérioration des capacités cognitives. Ainsi sans protection, beaucoup d’enfants décèdent avant l’âge de 10 ans, mais avec une totale protection et des soins réguliers, leur espérance de vie peut aller largement au-delà de 25 ans », souligne-t-elle. Cependant, ajoute-t-elle, vu sa rareté en Egypte, peu d’intérêt est accordé aux recherches et aux traitements. Cette méconnaissance est particulièrement forte dans les zones rurales.

Pourtant, c’est un énorme défi auquel font face les enfants de la lune, en Egypte et ailleurs. A défaut de trouver un traitement à leur mal, il est au moins crucial d’attirer l’attention sur la souffrance des malades et de leurs familles désemparées, dans une société qui les stigmatise et les isole. « Il est temps de largement sensibiliser au sujet de cette maladie pour que la société change sa perception stéréotypée à l’égard des enfants de la lune. Pour que, à défaut de ressentir la chaleur du soleil, ils puissent ressentir la chaleur humaine », conclut Dr Heba Ahmed.

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