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Au Liban, la vie, malgré tout …

Dina Darwich , Mercredi, 06 novembre 2024

Avec une longue histoire de conflits, les Libanais ont appris à jongler pour vivre avec la guerre. Un quotidien pourtant lourd et dangereux avec lequel ils ont à nouveau aujourd’hui rendez-vous. Témoignages.

Au Liban, la vie, malgré tout …

Un Libanais sur le toit d’un immeuble en train de faire un barbecue, alors que les raids ne s’arrêtent pas. Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Une autre, sur TikTok, montre une jolie femme, les Libanaises étant connues par leur coquetterie, réclamant l’arrêt des bombardements israéliens au moins deux heures par jour afin que les filles puissent aller chez le coiffeur ou chez l’esthéticienne et garder toute leur beauté ! Des vidéos peut-être drôles, mais qui reflètent l’état d’esprit de tout un peuple. Car le Liban a connu bien des conflits et a toujours été capable de se relever et de recommencer, un slogan qui trônait sur le mur de l’ambassade libanaise au Caire. Un quotidien acharné où les Libanais mènent une lutte pour survivre, mais aussi pour jouir de la vie.

Habitante de Beyrouth, M. Z., septuagénaire, gérante d’une maison d’édition, un business familial, raconte : « J’ai envoyé la famille de mon frère vers l’Egypte, alors que la famille de ma soeur est partie en France rejoindre son fils. La famille de ma soeur aînée s’est rendue au nord, moi, je demeure avec mon jeune frère à Beyrouth. Je ne peux plus partir et céder le projet auquel mon père a consacré sa vie. C’est à Beyrouth que se trouve la librairie qui compte un bon nombre d’employés. Je me sens responsable de tous ces foyers ». Ce n’est pas la première fois que M. Z. vit ce genre de situation. « Quand la guerre civile a commencé en 1975, je suis restée seule au Liban, alors que mon père et le reste de la famille sont partis au Caire. Dans un quotidien où les batailles se déroulaient d’une rue à une autre, j’avais l’habitude de garder une petite valise dans le coffre de ma voiture. Quand les routes étaient bloquées et que je n’arrivais pas à rentrer chez moi, j’allais à l’hôtel le plus proche pour passer la nuit », se rappelle-t-elle. Des souvenirs douloureux, mais une expérience enrichissante qui l’aide à continuer le périple et qui lui a appris à vivre dans n’importe quelle condition. « Aujourd’hui, les bombardements ont surtout lieu à la banlieue sud de Beyrouth, loin de notre maison, située à proximité du centre-ville ; pourtant nous entendons beaucoup le bruit des explosions. Le pire, c’est que les attaques risquent de toucher nos magasins ou nos entrepôts. En plus, ma famille possède une grande maison et une ferme au sud, jusqu’à présent on ne sait pas quel est leur sort, faute de communication », avance M. Z.


(Photo : AFP)

La résilience comme mot d’ordre

Le cas de M. Z. n’est pas unique. Elle fait partie d’une population qui a atteint en 2024 plus de 5,8 millions d’individus (d’après le Worldometer) et qui se trouve aujourd’hui obligée de vivre sous les bombes israéliennes. Une situation récurrente dans le pays du Cèdre qui a subi plusieurs offensives israéliennes.

« Il existe plusieurs facteurs qui ont fait des Libanais des survivants en quête de joie de vivre coûte que coûte. Tout d’abord la nature géographique du pays où le port et la montagne tracent le profil des habitants qui sont, en fait, des commerçants et des aventuriers, cela fait partie intégrante de leur identité. D’ailleurs, c’est un peuple migratoire, la diaspora libanaise est plus importante que le nombre de Libanais vivant au Liban. Autre facteur : la longue histoire de conflits que le pays a vécus, surtout la génération X née sous la guerre civile. Et ce, sans compter que le Libanais se distingue toujours par la puissance douce, ce qui lui permet de traverser les crises les plus difficiles », analyse le politologue Mohamed Al-Agati, directeur du Forum arabe des Alternatives à Beyrouth.


(Photo : AP)

L’éternel exode

Et bien que ce ne soit pas la première fois que le Liban vit cette expérience, les voix des sinistrés de la guerre s’entendent plus dans le sud. Nesmah Alabdallah, graphiste et reporter, est originaire de la ville de Tyr (à 83 km au sud de Beyrouth). Pourtant, elle était obligée de partir vers Sidon pour les besoins de son travail. « Mon père et mon frère sont encore au sud où les conditions sont hyper difficiles. Les bombardements ont lieu 24h sur 24, les routes sont très dangereuses, et ce, sans compter que beaucoup d’immeubles résidentiels sont complètement rasés. Ma famille séjourne aux camps Al-Rachidi qui témoignent des frappes aux abords et aux alentours. Le bruit terrifiant des raids s’y entend partout. On voit même les missiles en tombant. Il est très difficile de sortir acheter des denrées. On souffre d’une pénurie de nourriture et de médicaments car nombreux sont les magasins qui ont fermé, à l’exception de certaines petites échoppes qui vendent des céréales ou des conserves alimentaires. Il n’y


(Photo : AFP)

 a presque plus d’électricité au sud car les forces de l’occupation israéliennes ont bombardé les stations d’électricité et les réseaux Internet. On n’a accès à l’électricité que pour deux heures seulement par jour à travers les générateurs », raconte Nesmah, dont toute la famille, père, frère et soeur, a collaboré en travaillant depuis leur âge tendre à construire leur maison par les efforts personnels, en y déposant même leurs économies. « Je voulais regagner mon domicile afin de voir mes parents et couvrir les événements là-bas mais il est très difficile d’y accéder, les routes sont cahoteuses et dangereuses. Personne n’est à l’abri du danger dans tout le Liban », confie Nesmah dont le frère travaille comme infirmier. Ce dernier trouve actuellement de grandes difficultés pour secourir les gens à cause du grand risque dont font face ces gens de terrain. Les maisons de ses grands-parents paternels et maternels ont été bombardées, alors que celle de son oncle paternel a été complètement anéantie. Plusieurs membres de sa famille ont été blessés. Les alertes ont lieu tout le long de la journée. « Hier, on a lancé un avertissement pour évacuer la ville de Tyr mais mon frère et mon père n’ont pas pu sortir ; on manque d’abris dans cette ville. Le travail de mon frère exige qu’il reste à Tyr », dit-elle, tout en ajoutant : « On possède 10 chats dont nous sommes responsables, ce sont des êtres vivants qu’on doit aussi protéger. Si on quitte notre maison, qui va les nourrir ? », s’interroge-t-elle.

L’image ne paraît plus optimiste dans la région de la Bekaa, à l’est du Liban. Hassan Sendian, journaliste, assure que les conditions économiques pèsent sur les habitants de cette région, déjà marginalisés avant l’agression israélienne. Ils luttent aussi pour survivre. Pour eux, l’activité principale est l’agriculture. Mais ils se plaignent du rôle quasi inexistant de l’Etat car la Bekaa ne relève d’aucun parti politique ou de groupe social. Raison pour laquelle beaucoup de fermiers gagnaient leur vie aux dépens de la culture interdite de la marijuana.


(Photo : AFP)

Dans cette guerre, les gens meurent souvent en silence. Les secouristes et les ambulanciers ne se voient plus. « Tous les jours, des massacres ont lieu à la Bekaa. Des civils et des enfants trouvent la mort sous les décombres. Les écoles situées dans les régions ouest reçoivent des milliers de déplacés. Certains insistent sur le fait de tenir à leur vie d’antan même s’il s’agit de partager les mêmes toits avec le bétail. Ils ont préféré rester dans les écuries ou les étables afin de ne pas laisser leurs terrains agricoles », s’indigne Sendian. « Il est vrai que je me déplace avec une voiture privée, mais pour regagner la ville de Zahleh plus en sécurité, le chemin est semé d’embûches et on risque de cibler les voitures qui ont fait cet itinéraire plusieurs fois ».

Dans cette ambiance électrique, il faut aussi faire face à la flambée des prix, notamment ceux du transport. Par exemple, pour partir de Tyr à Sidon, les frais ne dépassaient pas les trois dollars, aujourd’hui le prix de ce trajet peut coûter 100 dollars ! Le loyer minimum d’un appartement de deux pièces qui manque d’électricité et d’eau potable atteint les 600 dollars et peut même s’élever à 3 000 dollars.

Système D

Mais avec ce même esprit de survivant, les Libanais qui habitent cette ville tentent de se débrouiller pour rester en vie. Certains ont loué des maisons à Sidon où à Beyrouth où le bruit de la guerre s’entend moins, alors que d’autres se sont précipités vers des amis ou proches. Ceux qui n’ont pas les moyens séjournent dans les écoles, et d’autres encore qui ont perdu leurs maisons ont occupé les routes ou ont cherché abri à proximité de la Corniche. Pas loin de la côte de la Méditerranée, ils ont installé des logements temporaires en attendant que les conditions s’améliorent, et ce, par des moyens médiocres, un tapis ou des draps. « Le rocher de Raouché, qui était une destination touristique, comprend actuellement des tentes établies par les déplacés qui ont quitté leurs foyers », avance Nesmah.


(Photo : AFP)

Les écoliers, quant à eux, s’attachent à leur droit de poursuivre les études. Ils ont profité de leur expérience sous la pandémie de Covid-19 pour suivre les leçons en ligne, d’autant que le ministère de l’Education n’a pas annulé l’année scolaire, même au sud. A Tripoli, située au nord, les enfants vont encore à l’école pour éviter de changer le plus possible leur rythme de vie. Et entre les décombres, l’alerte et les chagrins, les Libanais semblent avoir encore un rendez-vous avec la vie.

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