Eviter une dévaluation et la hausse de la TVA. Tels étaient les objectifs de la délégation égyptienne qui a mené cette semaine à huis clos des négociations difficiles avec les experts du FMI à Washington.
L’Egypte était sous le feu des projecteurs lors des réunions annuelles des institutions de Bretton Woods du 21 au 26 octobre. Celles-ci ont fêté cette année leur 80e anniversaire. Pendant une semaine, il a semblé que le gouvernement égyptien était aux prises avec le FMI.
Certains désaccords ont été rendus publics entre l’institution financière et le gouvernement égyptien. Ces désaccords peuvent être effrayants pour certains, car le programme avec le FMI est, aux yeux des investisseurs, une marque de confiance en l’économie égyptienne. Mais une source de l’équipe égyptienne présente à Washington a déclaré à l’Hebdo que cette dernière était désormais « rassurée que les institutions et les banques qui investissent dans la dette publique égyptienne savent parfaitement que l’Egypte est toujours engagée dans le programme de réforme avec le FMI ».
Ce genre d’investisseurs à court terme (les capitaux flottants ou hot money) se dirige vers les pays qui offrent des taux d’intérêt élevés sur leur endettement à court terme (majoritairement pendant trois mois dans le cas de l’Egypte), pourvu que le taux de change reste flexible et que la sortie de ces capitaux soit garantie. L’Egypte est donc une destination idéale pour ces investisseurs.
Le pays a reçu un chiffre record de 39 milliards de dollars sous forme de bons du Trésor, depuis que l’accord avec le FMI a été relancé (en augmentant le montant du crédit offert à l’Egypte en avril 2024 et en dévaluant la livre de plus de 40 %). Une somme qui équivaut aux exportations et que l’Egypte aimerait préserver, à un moment où les besoins financiers en dollars sont à leur apogée.
Appréhensions
Tout a commencé quand le président Abdel Fattah Al-Sissi avait demandé à ce que les accords avec le FMI soient revus s’ils mettent « une pression intolérable » sur la population. Le premier ministre, Mostafa Madbouly, a annoncé, quelques jours après, que le gouvernement va commencer un processus de « réévaluation des objectifs et du programme (conclu avec le FMI), afin d’alléger le fardeau qui pèse sur le citoyen ». Sans pourtant révéler la nature des mesures gouvernementales.
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, n’a pas tardé à réagir. « Mieux vaut pour l’Egypte de mettre en place les réformes tôt que tard », a-t-elle dit lors d’une conférence de presse, le lendemain des déclarations de Madbouly, soit le 24 octobre. Le mot qu’elle n’a pas explicitement prononcé est « dévaluation ».
A Washington, tout semble indiquer que c’est la pomme de discorde. Georgieva a déclaré que ce type de réforme ne devait pas être « abandonné ». Et d’ajouter : « Le seul résultat, c’est que le coût de ces actions ne fera qu’augmenter ». Une déclaration qui rappelle que quand l’Egypte — avec des besoins croissants pour financer sa dette extérieure depuis 2020 — a opté pour la dévaluation graduelle de la livre sur trois ans, en introduisant des règles fermes pour réduire les importations et ralentir le rapatriement des profits des investisseurs étrangers en dollars, le marché noir des changes a pris le dessus, et le dollar a presque doublé par rapport à son prix dans les banques. C’est ainsi que l’inflation a sauté à plus de 40 %, et reste toujours supérieure à 25 %.
Le programme signé avec l’Egypte exige l’adoption d’un taux de change flexible face aux chocs extérieurs. Cependant, une source proche des négociations souligne que cette phase du programme ne renferme aucun délai pour une dévaluation.
Jihad Azour, directeur du département MENA au sein du FMI, a défendu, lors d’une conférence de presse, l’importance de maintenir la flexibilité des taux de change en temps de crise, qui pour le FMI, aidera à stabiliser l’économie locale, et « donnera plus de prévisibilité des flux de capitaux », en réponse à une question posée par Al-Ahram Hebdo.
Emprunter plus au FMI ?
Il semblerait qu’une hausse du montant du crédit offert à l’Egypte dans le cadre du programme en cours avec le FMI soit également au menu. L’idée est d’augmenter l’offre en dollars au lieu de dévaluer. La délégation égyptienne n’en a pas explicitement parlé. Cependant, les déclarations des responsables du FMI pointent dans cette direction. La question est donc : est-ce qu’il y a un besoin d’emprunter plus au FMI ?
Pour le FMI, non. Le montant qui a été alloué à l’Egypte est exceptionnellement élevé, passant de 3 milliards de dollars initialement à 8 milliards, ce qui fait que le pays a emprunté des sommes équivalentes à 5 fois son quota. Et, en dépit d’une baisse des revenus du Canal de Suez, le tourisme se porte plus ou moins bien ne perdant ni emplois, ni revenus.
« Le programme est conçu d’une manière à prendre en considération les chocs extérieurs », argue Azour. La logique du FMI est la suivante : la flexibilité des taux de change et les taux d’intérêt élevés vont continuer à séduire les capitaux flottants (hot money) et les amener à rester en Egypte, offrant au pays les dollars dont il a besoin.
Georgieva a rappelé, pour sa part, les récentes mesures prises par le FMI offrant à l’Egypte des ressources supplémentaires, soit presque 100 millions de dollars par an. Un montant jugé très maigre par les ONG qui mènent depuis 2021 des négociations avec le FMI. « L’Egypte profite très peu de la suppression partielle des charges (intérêts supplémentaires payés par les pays qui empruntent auprès du FMI au-delà de leurs quotas), vu ses amples engagements en devises et l’étroitesse de son espace fiscal », estime Chérine Talaat de MENAFem, et négociateur sur ce dossier depuis plus de trois ans.
Des mesures en attente
Entre les mois de septembre et novembre, le gouvernement devait prendre six mesures, dont aucune n’a été prise. D’après le rapport de la troisième révision, il s’agit surtout d’augmenter la progressivité de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et d’éliminer les exemptions. Une autre mesure qui engendrerait des pressions inflationnistes.
Le programme inclut par ailleurs d’autres mesures qui n’ont toujours pas été prises, liées à la transparence et à la bonne gouvernance des fonds publics, comme la publication annuelle des bilans d’affaires des entreprises publiques à partir de septembre 2024 et la publication mensuelle de tous les appels d’offres et les marchés publics conclus par les 50 plus grandes entreprises publiques.
La porte des négociations n’est cependant pas fermée entre l’Egypte et le Fonds. Sa directrice générale a décidé, en effet, de faire une visite au Caire, après les réunions de Washington. Cette visite précédera celle des experts du Fonds, qui entame en novembre sa quatrième révision destinée à vérifier l’engagement du gouvernement égyptien en faveur du programme de réforme.
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