Les peintures de Vessela Farid touchent à la vie simple et modeste des femmes égyptiennes.
A l’entrée de la salle Karim Francis, une statue est à l’accueil des visiteurs. A l’image de son créateur Sobhi Guirguis (1029-2013), l’oeuvre représente un homme moqueur qui joue avec son récepteur. Sur l’une des façades de la sculpture est inscrit un texte poétique et sarcastique résumant l’histoire de l’artiste. Et sur une autre façade, il y a une devinette qui incite le public à déchiffrer ces textes. La sculpture traduit l’âme d’un sculpteur modeste, ironique et qui s’adonne entièrement à son art. Elle introduit l’expérience riche et prolifique de Guirguis. « Sobhi Guirguis est un artiste exceptionnel. Il avait une grande créativité et une forte imagination. Son travail est instinctif. Cette oeuvre était sous commande pour une exposition que j’ai organisée en 2010 réunissant trois générations successives : Sobhi Guirguis, Chérif Abdel-Badie et Hazem Al-Mestikwai. J’ai demandé aux artistes de travailler avec de l’étain », explique Karim Francis, curateur de l’exposition et propriétaire de la galerie. En dépit de sa riche expérience avec les sculptures en bronze et en cuivre, Guirguis était un artiste qui misait sur sa créativité quel que soit le matériau utilisé. Il a expérimenté le métal et avait beaucoup de sincérité et d’humour. C’était un artiste aventurier qui passait d’un matériau à l’autre, d’un médium à l’autre et qui multipliait les disciplines artistiques : sculptures, peintures, etc. Dans différentes salles de la galerie, son expérience est de mise. Quelques sculptures en bronze sont uniques et témoignent de la première phase de son parcours artistique. « Sobhi a travaillé le cuivre et puis l’aluminium. Vers la fin, il a même associé de petites pièces en bronze aux barres de fer d’armature », explique Karim Francis.
Les sculptures de Guirguis sont des variations figuratives symbolisant l’homme, ses maux et ses peines. Elles traduisent son côté spontané, son allure enfantine. Tout comme l’artiste lui-même, elles cherchent le salut éternel, préférant l’isolement. Chaque sculpture, avec ses proportions exagérées et son style surréaliste, nous ressemble beaucoup. On y retrouve un sentiment, une attitude, une position familière. Car l’artiste partait toujours de son entourage, des milieux populaires.
Dans une sculpture en aluminium, l’homme est enchaîné avec des cordes. Dans une autre sculpture mêlant le bronze et les barres de fer d’armature, l’homme est symbolisé par une forme surréaliste au milieu d’un grand grillage. Le message est clair. Guirguis dénonce les contraintes de la vie et aspire à la liberté de l’homme.
Dans ses peintures à l’huile, il traduit plutôt les relations humaines et les souvenirs d’enfance. Dans un tableau, il résume l’étreinte entre deux personnes par deux portraits et une petite main de trois doigts sur la tête de l’un d’eux. La mère qui joue avec son petit est représentée dans un tableau plus joyeux et plus intime.
Naema, un portrait en plâtre par Abdel-Badie Abdel-Hay.
Des portraits et des peintures égyptiens
Si Guirguis part de son entourage pour évoquer l’homme dans le sens le plus large, les sculptures et portraits de Abdel-Badie Abdel-Hay (1916-2004) qui sont exposés dans une petite salle de la galerie évoquent plutôt le monde rural, égyptien et primitif de ce sculpteur autodidacte. Abdel-Badie est le maître de l’art spontané et instinctif dont les sculptures en plâtre ne cessent de surprendre. Né en 1916 au gouvernorat de Minya, Abdel-Badie, à l’âge de 27 ans, a suivi des études libres à la faculté de beaux-arts. Il est surtout réputé pour ses statues qui narrent l’histoire à leur manière, non sans recourir aux symboles. Abdel-Badie taillait la pierre, comme il travaillait le bronze et le plâtre, pour éterniser des figures qu’il croisait tous les jours. Les ciseaux et le marteau ont longuement constitué ses outils d’expression favoris. Il montrait souvent des personnages de son entourage, des gens ordinaires et des paysans. Ses portraits en plâtre sont originaux et colorés par l’artiste lui-même. Son style figuratif capte des moments-clés de la vie des gens ; il maintenait les proportions classiques et s’intéressait aux minutieux détails du corps.
Taabat Shaaran représente un garçon qui joue avec un serpent. Le corps sculpté en plâtre et coloré en noir révèle une approche classique qui mêle le style africain et celui de la sculpture de l’Egypte Ancienne. Les portraits d’une petite jeune villageoise : Naema, ou d’un enfant qui retrouve le sommeil sur une pierre dans Tofoula Mocharada, ou encore d’un homme de la Haute-Egypte qu’il intitule Le Gardien de la faculté dévoilent des traits de visages égyptiens authentiques.
Une sculpture en étain et une devinette reflétant l’âme de Sobhi Guirguis.
Dans une autre salle, cinq peintures de Vessela Farid (1915-2007) reflètent des femmes et des enfants du monde rural et populaire de l’Egypte. Cette artiste bulgare qui s’est installée en Egypte avant la Deuxième Guerre mondiale et qui a étudié les beaux-arts dans son pays a trouvé dans la vie quotidienne des femmes égyptiennes avec leurs djellabas noires des détails et des émotions humaines très expressifs. Pour elle, ces femmes populaires, qui causent ensemble et qu’on trouve dans un marché populaire ou dans les villages avec leurs habits traditionnels, leurs corps volumineux et leurs positions accroupies, constituaient une source d’inspiration infinie. Elles sont confidentes et partagent le même sort. Parfois, elles sont plus joyeuses avec des habits plus clairs et parfois elles attendent en silence une nouvelle, un événement, etc. Même quand elle a peint deux adolescents avec des djellabas blanches assis tête-à-tête, elle les a représentés comme deux complices intimes. Les lignes noires de Vessela Farid cadrent bien ses personnages et sa palette limitée mise sur une coloration nuancée et un jeu de clair-obscur bien mis en relief. « Avec cette exposition réunissant ces trois vétérans : Sobhi Guirguis, Abdel-Badie Abdel-Hay et Vessela Farid, j’ai voulu souligner l’expérience de trois artistes de la génération du siècle passé. Les trois étaient fortement touchés par leur entourage égyptien. Ce sont de vrais pionniers qui maîtrisent la création et les bases fondamentales de l’art », conclut Karim Francis.
OEuvres de Sobhi Guirguis, de Abdel-Badie Abdel-Hay et de Vessela Farid, jusqu’au 14 novembre, tous les jours de 13h à 20h (sauf le vendredi) à la galerie Karim Francis, 1, rue Al-Chérifeine, centre-ville.
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