La 7e semaine de l’eau du Caire, clôturée jeudi 17 octobre, a donné naissance à de nouvelles initiatives pour préserver cette ressource précieuse tant au niveau national que régional. Au coeur de ces annonces, une initiative intitulée « Ala Al-Qad » (selon les besoins) a été lancée, visant à réduire de 30 à 40 % la consommation quotidienne. Cette initiative s’inscrit dans « la deuxième génération du système d’irrigation », un programme de huit axes, dévoilé en détail par le ministère de l’Irrigation lors de cet événement. En parallèle, le ministre a présenté un projet régional de dessalement destiné à plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord afin de garantir une production alimentaire intensive. Il est à noter que 13 des 17 pays les plus touchés par la pénurie d’eau à l’échelle mondiale se trouvent dans la région MENA. C’est pourquoi la rationalisation de l’usage de l’eau est devenue un enjeu planétaire crucial.
Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, les pratiques actuelles de consommation pourraient entraîner un déséquilibre de 40 % entre l’offre et la demande mondiale en eau d’ici 2030. Pour l’Egypte, le défi est immense et permanent : le déficit en eau s’aggrave d’année en année et la part par habitant en eau est passée de 2 000 m3 dans les années 1960 à moins de 1 000 m3 par an dans les années 1990, pour atteindre aujourd’hui un niveau critique de 500 m3 par an.
L’enjeu de la rationalisation
Une large participation citoyenne est la clé de la réussite de la campagne nationale de sensibilisation à la rationalisation de l’usage de l’eau « Ala Al-Qad », a assuré Dr Hani Sewilam, ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques, avant de préciser que la campagne s’adresse à différents segments de la société : des agriculteurs aux étudiants, en passant par les femmes et les organisations de la société civile. Lancée en partenariat avec de nombreux acteurs-clés, notamment les ministères de l’Education, de l’Agriculture, des Transports, de la Culture, ainsi qu’avec Al-Azhar, l’UNICEF et la Radio égyptienne, cette campagne vise à sensibiliser les citoyens aux défis liés à l’eau, notamment la rareté des ressources, la croissance démographique et les changements climatiques. La campagne prévoit également la diffusion d’affiches de sensibilisation dans les gares, les trains et les métros, ainsi que le lancement de messages de sensibilisation via les médias, les réseaux sociaux et les prêches du vendredi.
« La sensibilisation est devenue impérative. Chaque individu a un rôle à jouer en adoptant un comportement économe pour utiliser l’eau de manière rationnelle. Le concept de rationalisation de la consommation s’inscrit dans un cadre plus large : le développement durable, qui vise à préserver les ressources pour les générations futures », explique Abbas Sharaky, expert en hydrologie au Centre des recherches africaines de l’Université du Caire. Avant d’ajouter : « En Egypte, la croissance démographique et l’augmentation des besoins en eau rendent la situation de plus en plus critique. Par exemple, il y a 20 ou 30 ans, nous n’utilisions presque pas les eaux usées agricoles, mais aujourd’hui, c’est devenu une nécessité. Nous utilisons ces eaux usées avec celles du Nil pour cultiver une surface plus grande. Nous voulons augmenter notre production car nous importons encore 50 % de notre nourriture ».
Station de traitement des eaux de Bahr Al-Baqar.
Les besoins de l’Egypte en eau s’élèvent à environ 114 milliards de m3 par an, un volume largement supérieur aux ressources disponibles, estimées à 55,5 milliards de m3 par an, dont 70 % sont destinés à l’agriculture, 20 % à la consommation domestique et 10 % à l’industrie. Par ailleurs, l’Egypte est contrainte d’importer environ 35 milliards de m3 d’eau virtuelle par an, sous forme de cultures comme le blé. « La baisse de la part par habitant est due à l’augmentation de la population, ainsi qu’à la présence de près de 9 millions d’invités en Egypte. Nous ne les appelons pas des réfugiés ou des étrangers, ce sont des invités, mais leur présence représente naturellement un fardeau pour les ressources en eau de l’Egypte », a souligné Sewilam.
Le changement climatique constitue un autre défi majeur. En Egypte, l’été 2024 a d’ailleurs enregistré le niveau de consommation d’eau le plus élevé de tous les temps. Selon le ministre de l’Irrigation, « les Egyptiens associent généralement le changement climatique à la hausse des températures et aux coupures d’électricité, mais il aurait pu également y avoir des coupures d’eau en raison de la forte demande, mais cela n’a pas eu lieu grâce aux efforts du ministère ».
Génération 2.0 du système d’irrigation
C’est dans ce contexte que l’Egypte a lancé cette semaine « le système d’irrigation 2.0 » face aux défis hydriques croissants. Ce système repose sur huit axes principaux pour réaliser un triple objectif : assurer une gestion durable de l’eau, améliorer la sécurité alimentaire et s’adapter aux défis du changement climatique. Le premier axe concerne « le traitement et le dessalement de l’eau pour une production alimentaire intensive ». Ces dernières années, l’Egypte a considérablement étendu le traitement des eaux usées agricoles en mettant en oeuvre trois grands projets : Delta du Nil, Bahr Al-Baqar et Al-Mahsama, pour réutiliser les eaux usées agricoles avec une capacité de 4,80 milliards de m3 par an. La création d’une unité spécialisée dans le traitement et le dessalement de l’eau au sein du ministère est en cours d’étude.
Ce système repose également sur la transformation numérique, qui constitue le deuxième axe et qui comprend la numérisation des données relatives aux canaux, aux drains et aux infrastructures hydrauliques, ainsi que le développement d’applications pour informer les agriculteurs sur les horaires d’irrigation et l’utilisation de drones pour surveiller les cours d’eau et les cultures. Quant au troisième axe du système d’irrigation de deuxième génération, il porte sur la gestion intelligente, à travers des modèles de prévision des précipitations, le calcul des besoins en eau des cultures à l’aide d’images satellites, l’utilisation de modèles de réseaux de canaux pour optimiser l’exploitation et la planification, le recours à l’apprentissage automatique pour estimer les niveaux d’eau et l’utilisation de la plateforme Digital Earth Africa pour suivre les travaux de protection des côtes égyptiennes.
Le quatrième axe comprend la réhabilitation des infrastructures hydrauliques et des canaux. A ce jour, 7 700 kilomètres de canaux ont été réhabilités. Des études sont en cours sur l’utilisation de matériaux écologiques pour la réhabilitation des canaux et la protection des côtes. Le renforcement des capacités des employés du ministère de l’Irrigation, l’organisation de séminaires de sensibilisation et la coopération internationale sont autant d’axes-clés de ce nouveau système d’irrigation de deuxième génération. « L’enjeu principal de ce nouveau système réside dans l’utilisation de technologies de pointe, comme l’intelligence artificielle et l’imagerie satellite, pour déterminer les besoins en eau précis de chaque plante afin d’optimiser l’usage de chaque goutte d’eau », souligne Sharaky.
Un projet pour la région MENA
D’une session à l’autre, promouvoir la coopération régionale était l’objectif central de la Semaine de l’eau, qui a réussi à devenir une plateforme de dialogue sur les enjeux mondiaux de l’eau, tout en mettant en avant les défis spécifiques auxquels sont confrontés les pays africains. Selon la Banque mondiale, la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) fait face à une pénurie d’eau sans précédent. D’ici 2030, la quantité d’eau disponible devrait tomber en dessous du seuil absolu de pénurie, fixé à 500 m³ par personne et par an.
Par ailleurs, pour répondre à la demande croissante, la région aura besoin de 25 milliards de m³ d’eau supplémentaires chaque année d’ici 2050, ce qui nécessiterait la construction de 65 nouvelles usines de dessalement. Dans ce contexte et à l’issue de la septième édition de la Semaine de l’eau, le ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques a proposé, lors d’une réunion avec des représentants du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) et du Centre international de recherche pour le développement du Canada et de l’Organisation internationale pour le dessalement et la réutilisation de l’eau, de mettre en oeuvre un projet régional dans le cadre de l’initiative AWARE, couvrant plusieurs pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord dans le domaine du dessalement en renforçant le lien entre « l’eau, l’alimentation et l’énergie ».
« Face à la pénurie d’eau qui sévit dans de nombreux pays au Moyen-Orient, la coopération internationale est essentielle. L’enjeu est de renforcer la coopération entre les pays riches en eau et ceux qui en manquent afin de partager les bénéfices. Par exemple, les pays africains, riches en ressources en eau, pourraient bénéficier des investissements des pays du Golfe, confrontés à une demande croissante en eau douce, dans des projets hydrauliques », conclut Sharaky.
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