Une nouvelle étude publiée dans le journal JAMA Network Open, de l’American Medical Association, révèle que le veuvage est associé à une diminution des fonctions vitales et physiques, ainsi qu’à une augmentation de la mortalité chez les personnes âgées souffrant de maladies graves telles que le cancer, la démence ou la défaillance d’organe. Cet effet, connu sous le nom d’« effet du veuvage », est particulièrement marqué chez celles qui dépendent fortement de leur conjoint pour leur soutien psychologique et physique. Cette étude souligne une question importante : l’expérience du veuvage représente un bouleversement affectif majeur dans la vie d’une personne. Bien que complexe et multifacette, le veuvage est avant tout une expérience intime.
« Ce n’est pas vrai », « C’est un cauchemar, je vais me réveiller », « Pourquoi toi, pourquoi nous ? », « Comment vivre sans toi ? », « Que deviendrons-nous, moi et les enfants ? », « Nous étions un couple, nous étions deux, et tout à coup, je me retrouve seul(e) ». Tels sont les propos souvent échangés entre ceux qui ont traversé une telle souffrance.
Environ 258 millions de femmes dans le monde partagent cette douleur, dont une sur dix vit dans une pauvreté extrême. Ces chiffres, malgré les données limitées de l’ONU, illustrent l’ampleur du problème. Cette situation a conduit l’organisation à consacrer le 23 juin à la « Journée internationale des veuves » pour soutenir ces femmes. En Egypte, on dénombre 2,3 millions de veufs pour 3 millions de veuves, selon les chiffres de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS). Une expérience qui présente des particularités dans notre société.
Le veuvage est particulièrement difficile pour les femmes en raison des nombreux rôles qu’elles assument souvent au sein du couple, de la famille et de la communauté. Elles doivent jongler seules avec leurs responsabilités parentales et ménagères, tout en affrontant d’importants défis émotionnels et financiers. En Egypte, les femmes portent souvent une multitude de responsabilités, ce qui accroît le stress après le décès de leur mari.
Un parcours de combattante
Une fois les cérémonies de deuil achevées, la veuve est obligée d’affronter un parcours semé d’embûches. « Mon quotidien est devenu surchargé par des courses interminables pour rassembler les documents nécessaires concernant la pension, l’héritage et les droits des enfants. C’est un véritable casse-tête, surtout que j’ai dû entrer en conflit avec les héritiers. Après le départ de mon mari, j’ai découvert un nouveau revers de la vie. On commence à appliquer les procédures d’Al-Maglès Al-Hasbi (un conseil dépendant de l’Etat quand la tutelle est confiée à la mère pour le versement des fonds des mineurs). C’est un cauchemar, car pour chaque détail, il faut présenter des factures timbrées en fonction de divers paramètres financiers. J’étouffais, surtout que parfois, les fonctionnaires me traitaient comme une suspecte. Cela pèse lourdement sur la psychologie d’une femme qui se retrouve soudainement seule. La moindre remarque me faisait pleurer. Je voulais m’effondrer, mais je n’avais pas ce luxe, car je devais rester forte pour le bien des enfants. C’est un nouveau départ auquel je ne m’attendais pas », confie Omayma, mère de trois enfants dont l’aîné a 14 ans.
La charia musulmane impose à la femme dont le mari est décédé des rituels symbolisant sa fidélité au défunt. Elle doit porter le deuil pendant quatre mois et dix jours, comme le stipule le Coran, et durant cette période, elle doit éviter de se parer de vêtements ornés, de porter de l’eye-liner (khôl), de se parfumer ou de porter des bijoux en or, en argent et en diamant, jusqu’à l’achèvement de l’iddah. En plus, elle doit s’abstenir de quitter ou de dormir en dehors de sa maison conjugale.
« Cette condition me paraissait très dure. Face à ma tristesse, je n’avais guère envie de m’embellir. Cependant, j’ai voulu me rendre chez mon fils, qui travaille aux Emirats arabes unis, pour me sentir entourée de sa petite famille. Je n’ai pas pu le faire pour respecter les normes religieuses, mais j’ai réussi à obtenir une fatwa me permettant de partir vers la Côte-Nord, où ma villa pourrait être considérée comme une seconde résidence conjugale », confie Nahed.
Bien que la société égyptienne manifeste une certaine sympathie à l’égard des veuves, contrairement à certaines autres cultures où elles peuvent être perçues comme des porte-malheur, elle impose également ses normes. Siham Sayed, sociologue ayant vécu en France, raconte que son voisin a dû changer de trottoir en la croisant après avoir appris qu’elle était veuve. En Egypte, la divorcée est parfois mal jugée, alors que la veuve reçoit du soutien. Cependant, malgré cette sympathie, elle doit tracer son propre portrait et établir des limites, car elle est désormais seule.
La situation se complique si la femme devient veuve à un jeune âge, surtout si elle est belle. Magda, médecin de 32 ans et mère de deux garçons, a perdu son mari dans un accident de la route. Cette femme, issue d’une famille aisée, a dû retrousser ses manches pour affronter la vie et s’occuper de ses deux enfants, âgés de trois et sept ans. « J’étais douce et rêveuse, mais cette expérience dévastatrice m’a profondément changée. Je suis devenue plus agressive et parfois insolente, cherchant à me protéger, ainsi que mes enfants. Le moindre geste pouvait donner l’impression que j’étais une femme facile ».
Une épreuve psychologique
Les procédures et les normes qui suivent la perte d’un conjoint ne sont pas les seules épreuves. Le veuvage est aussi une épreuve psychologique. Faire face à la perte d’un conjoint est une période de transition, où il faut trouver en soi la force de surmonter la douleur. Comment surmonter un tel traumatisme ? Une question posée par Alia, 70 ans, qui a perdu son mari atteint d’un cancer. Bien qu’elle ait traversé des étapes pénibles et stressantes pendant son traitement, elle n’avait jamais ressenti le vide et la solitude qu’elle vit aujourd’hui. « Au moins, nous étions un couple. J’étais mariée à un homme d’affaires, le chef de sa famille. Ma maison, qui regorgeait de monde, est désormais vide. Je tente de survivre avec de nouveaux repères », explique Alia. Elle poursuit : « Malgré les tumultes de ma vie avec mon mari, j’ai l’impression aujourd’hui d’avoir connu un grand bonheur qui s’est évaporé, comme si je n’avais jamais eu de problèmes auparavant. Mon plus grand dilemme est de surmonter la solitude, surtout que mes enfants sont absorbés par leurs vies. Ils me rendent visite, mais la nuit, je me retrouve seule avec mes angoisses, ma peur et mon chagrin, devant les chasser de mon lit pour trouver le sommeil ». Ses mots résonnent avec ceux de nombreuses femmes éprouvées par le poids du veuvage.
Une question s’impose : du déni à la résilience, l’expérience du veuvage est traumatisante et nécessite un long chemin de reconstruction. Après de tels bouleversements émotionnels, comment retrouver le plaisir de vivre et la paix intérieure ?
Le veuvage, réalité incontournable pour de nombreuses femmes, représente une épreuve difficile où il faut naviguer dans un océan d’émotions complexes. Selon la psychologue Noha Essam, une fois devenues veuves, les femmes tentent de trouver divers mécanismes de consolation. Certaines relativisent leur malheur : « Il ne faut pas se plaindre, il y a tant de malheureux dans le monde. Nous ne sommes pas des cas exceptionnels. Je suis seule, mais au moins je n’ai que moi à assumer ». D’autres ressentent un sentiment de satisfaction, considérant qu’elles ont mené une vie conjugale riche, avec ses hauts et ses bas. Enfin, certaines vivent leur veuvage comme une adversité à surmonter, cherchant à « reprendre le dessus ». « J’ai pu remonter la pente, en me disant que j’avais perdu quelqu’un de cher, mais que je dois maintenant continuer ma vie et réaliser des choses que je n’ai pas pu faire pendant mes 40 ans de mariage », prescrit la psychologue.
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