Le contexte est propice aux grands changements et aux deals décisifs : l’arrivée début juillet à la tête de l’Iran d’un président conservateur, Massoud Pezeshkian, suite au décès de l’ancien président, Ebrahim Raïssi, dans un accident d’hélicoptère, la guerre à Gaza et ses bouleversements régionaux avec la situation très tendue, voire au bord de l’explosion, entre le Hezbollah et Israël, l’entrée en jeu des Houthis en mer Rouge et surtout l’assassinat fin juillet du chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran.
Au centre de tous ces bouleversements se trouve l’Iran. Et depuis la mort de Haniyeh, tous les regards sont portés vers l’Iran et la riposte tant attendue. Avec une question centrale : pourquoi cette riposte tarde-t-elle et tout compte fait aura-t-elle lieu ou non ?
En réponse à cette question, de nombreux analystes estiment que le régime iranien aurait trop à perdre à s’engager dans une guerre directe avec Israël. D’où la retenue dont fait preuve Téhéran à l’heure actuelle. Car la décision de la riposte n’est pas si évidente que cela. Certes, la rhétorique officielle iranienne est ferme, il n’en demeure pas moins que dans les faits, le choix de la guerre n’est pas facile et répond à des calculs aussi compliqués que délicats.
A ce stade donc, l’Iran essaie probablement de trouver le meilleur moyen de réagir à l’assassinat de Haniyeh alors que ses relations avec Israël sont exécrables. Pour rappel, en avril dernier, en représailles à une frappe de missile sur un bâtiment diplomatique iranien à Damas, qui avait tué plusieurs membres du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, l’Iran avait lancé plus de 300 missiles, drones et roquettes sur Israël. Mais la quasi-totalité d’entre eux ont été abattus. L’attaque était alors présentée comme un acte de représailles de façade qui se voulait sans dégâts majeurs. Pour certains observateurs, Téhéran tente aujourd’hui de trouver un juste milieu entre sa frappe d’avril et une riposte un peu plus musclée. Cela passerait par une réponse mesurée par l’intermédiaire de ses alliés régionaux, notamment le Hezbollah et les Houthis.
Dans le même temps, il est tout à fait possible que l’Iran ne veuille pas lancer une attaque plus importante car cela pourrait déclencher une guerre plus étendue. Et Téhéran ne veut pas donner aux Américains ou aux Israéliens une excuse pour attaquer ses installations nucléaires.
Nouvelles orientations ?
C’est pourquoi il est également nécessaire de se pencher sur les nouvelles orientations de la politique étrangère de l’Iran. « Notre politique étrangère sera globale, active et influente. Nous avons défini trois missions pour notre politique étrangère. La première est de garantir nos intérêts nationaux. La deuxième est de renforcer notre force nationale et notre sécurité. La troisième est d’élever notre dignité nationale et la position de la République islamique d’Iran parmi les nations du monde », a récemment déclaré le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi.
Mais l’Iran est dans une phase influencée par la guerre à Gaza, et au-delà de ces déclarations générales, Téhéran est en premier lieu amené à revoir ou du moins clarifier le concept de « l’unité des fronts ». Pour l’heure, Téhéran tient à ses principes. La République islamique poursuivra sa politique de principe de soutien à la résistance, a affirmé Abbas Araghchi dimanche 1er septembre, en recevant le représentant du Hezbollah à Téhéran, Sayyed Abdallah Safieddine. Araghchi a souligné la poursuite de la politique de principe de l’Iran en matière de « soutien à la Résistance et à la lutte légitime des nations de la région contre l’occupation sioniste ». Auparavant, le chef de la diplomatie iranienne avait présenté les orientations internationales du gouvernement du président Massoud Pezeshkian à la télévision publique : L’Iran poursuivra son soutien à l’« Axe de la résistance » et à la Syrie. Il continuera ses partenariats avec la Chine et la Russie. Cependant, « il se montrera plus ouvert aux compromis avec toutes les puissances qui le désireront, particulièrement avec l’Union Européenne (UE), qui pourrait redevenir une priorité sous réserve d’un abandon des sanctions ». Il avait également révélé que le guide suprême, Ali Khamenei, avait comme premier objectif de « neutraliser les sanctions et leur impact sur le peuple ».
Reprendre langue avec l’Occident
Reprendre le dialogue avec les Américains et les Européens semble donc une priorité pour l’Iran. Araghchi a reçu des appels téléphoniques des ministres des Affaires étrangères français, allemand et britannique, ainsi que du responsable de la politique étrangère de l’UE, qui lui ont transmis leurs félicitations pour sa nomination tout en laissant entendre qu’ils étaient prêts à entamer des négociations nucléaires. Dans cette optique, la retenue de Téhéran serait liée à d’éventuelles discussions sur le dossier du nucléaire.
Araghchi a également déclaré que le ministère iranien des Affaires étrangères s’efforcerait de gérer les tensions avec Washington et de rétablir les liens avec les pays européens, ce qui constituerait une étape cruciale vers la levée des sanctions qui pèsent sur l’économie iranienne et la normalisation des échanges avec la communauté internationale, appelant à des « négociations sérieuses, ciblées et limitées dans le temps ». Et la semaine dernière, Ali Khamenei lui-même a ouvert la voie à la reprise des négociations avec les Etats-Unis, soulignant qu’il n’y avait « aucun obstacle » à entamer des discussions avec ce qu’il a appelé « l’ennemi », tout en fixant des lignes rouges strictes pour toute négociation sous le gouvernement du président réformiste Massoud Pezeshkian. Mais Washington n’a pour l’heure pas répondu. Des pourparlers indirects ont eu lieu entre l’Iran et les Etats-Unis ces dernières années, sous la médiation d’Oman et du Qatar, mais sans résultat tangible.
Cette volonté affichée de reprendre les négociations sur le nucléaire intervient alors que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) vient de publier un rapport selon lequel l’Iran continue à enrichir de l’uranium. D’après ce rapport, l’Iran a atteint un taux d’enrichissement de 60 %, niveau proche de celui requis pour l’arme nucléaire. Et le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, a exprimé dans ce rapport, préparé en amont d’une réunion du Conseil des gouverneurs de l’AIEA, qui s’ouvrira le 9 septembre à Vienne, « le souhait d’une visite prochaine en Iran afin d’établir un dialogue fluide et constructif menant à des résultats concrets », bien qu’il y déplore le manque de coopération de l’Iran. Outre l’expansion de ses activités nucléaires, l’Iran a fortement réduit depuis 2021 les inspections des sites par l’AIEA, des caméras de surveillance ont été débranchées et l’accréditation d’un groupe d’experts a été retirée. Autant d’éléments qui « nuisent » à la capacité de l’Agence à garantir la « nature pacifique » du programme, rappelle le rapport.
Plusieurs facteurs déterminants
Ces dernières années, l’Iran s’est nettement affranchi des engagements pris dans le cadre de l’accord international de 2015 conclu avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Ce pacte, connu sous l’acronyme JCPOA, était censé encadrer ses activités atomiques en échange d’une levée des sanctions internationales. Mais il a volé en éclats après le retrait américain décidé en 2018 par le président d’alors, Donald Trump. Des tractations menées à Vienne pour le ranimer ont échoué à l’été 2022.
Or, la volonté affichée de Téhéran de reprendre les discussions se heurte à un risque majeur : un éventuel retour de Trump à la Maison Blanche. Et même si c’est sa rivale démocrate Kamala Harris qui remporte la présidentielle américaine de novembre prochain, on ne sait pas comment elle gérera le dossier iranien, alors que Washington a engagé des pourparlers indirects avec l’Iran sous la présidence de Joe Biden. Lors d’un discours à la convention démocrate tenue du 19 au 22 août dernier, Harris a assuré qu’elle n’hésitera « jamais à prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre nos forces et nos intérêts contre l’Iran et les terroristes soutenus par l’Iran ».
Dernier point crucial, si pourparlers il y a, sous quel format auront-ils lieu ? Il ne fait aucun doute que les puissances occidentales, parties prenantes de l’accord sur le nucléaire, ne voudront pas du format du JCPOA qui incluait la Russie, alors que le conflit ukrainien a provoqué une rupture des relations entre l’Occident et la Russie. Selon certains observateurs, Washington pourrait impliquer davantage la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU qui entretient de bonnes relations avec l’Iran. La question a peut-être été à l’ordre du jour des discussions entre le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, en visite en Chine du 27 au 29 août, et ses interlocuteurs.
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